Je regrette de n'avoir pu participer hier soir à la réunion qui a eu lieu à Berlin en solidarité avec votre pays après les événements de la semaine dernière.
L'Allemagne est souvent désignée comme le bon élève de l'Europe mais, si elle a moins de défis à relever à court terme, elle en a beaucoup à moyen et long termes, à commencer par la démographie. La population allemande va diminuer de 20 % d'ici 2060. D'ici 2025, 400 000 personnes sortiront chaque année du marché du travail ; l'immigration représentera 200 000 personnes, soit une perte nette de 200 000 actifs par an. La population de l'Allemagne et de la France sera comparable en 2050. C'est pourquoi les Allemands s'attachent à réduire leur dette, puisque celle-ci doit tenir compte de leur population d'ici 20 à 30 ans. L'Allemagne devra devenir un pays d'immigration en acceptant d'accueillir 300 000 à 400 000 personnes par an. Nous proposons qu'elle adopte un système à points, qu'elle s'ouvre davantage.
Les femmes doivent être mieux intégrées dans le marché du travail. Le taux d'activité des femmes y est comparable à celui de la France mais l'OCDE note que l'Allemagne n'incite guère les femmes à travailler et le temps partiel y est plus important. Enfin, les jeunes Allemands suivent de longues études si bien qu'ils rejoignent le marché du travail fort tard ce qui impacte la démographie.
L'Allemagne aura à revoir son modèle de croissance : les salaires doivent augmenter et l'épargne s'orienter vers des placements en actions. Il lui faudra beaucoup investir dans les années à venir, non pas pour relancer la machine économique européenne, mais pour sa propre croissance. Une fois respecté le frein à la dette qui a une valeur constitutionnelle, il lui faut investir 8 milliards de plus par an pour rattraper son retard. Depuis cinq à dix ans, les excédents ont servi à la consommation et non à l'investissement : la tendance doit s'inverser. Ce pays devra fixer un seuil minimum d'investissement, dans le respect de la règle du frein à la dette. Près de 70 % des investissements sont réalisées par les collectivités : ce ne sont pas tant les grands projets qui manquent que les écoles, les piscines, les petites infrastructures.
Le plan Juncker mobilise 315 milliards pour 28 États européens. L'outil est bon, mais l'argent frais fait défaut : 300 des 315 milliards annoncés étaient déjà inscrits... Pas d'argent nouveau, pas de dette, mais 315 milliards d'investissement ? Nous recommandons d'apporter de l'argent nouveau et d'avoir un contrôle extérieur pour trouver les bons projets. Une centaine de milliards conviendrait, à condition de retenir de vrais projets, avec une valeur ajoutée. Or, la Banque européenne d'investissement (BEI) ne nous semble pas le meilleur organisme pour sélectionner ces projets. Demander à des non-Européens de participer au choix éviterait les inévitables marchandages entre pays de l'Union. Nous proposons aussi la création d'un fonds pour subventionner les investissements publics qui n'ont pas de retours directs. Le plan Juncker n'est pas fait pour cela.
Nous devrons aussi nous interroger sur l'intégration des économies européennes. Jusqu'à présent, le marché unique se borne le plus souvent à des interdictions, mais ne définit pas de réglementations ni de lois. Au lieu de cette intégration négative, nous recommandons que la France, l'Allemagne, et tous les pays qui le souhaiteront, définissent des règlementations communes dans les secteurs de l'énergie, du numérique et de la mobilité des travailleurs. Cela implique un régulateur commun et une approche commune.
Quand on m'a demandé quel était notre projet d'Airbus pour le XXIe siècle, j'ai suggéré une législation commune sur la protection des données, qui créerait un marché pour les Google européens : si Allemagne et France s'entendaient, le Benelux puis l'Autriche suivraient. Il s'agirait alors d'un véritable « Schengen économique ». Ce concept trouble les esprits, mais les pays qui partagent des valeurs doivent se rapprocher pour aboutir à des initiatives communes.