Commission des affaires européennes

Réunion du 14 janvier 2015 à 16h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je remercie MM. Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein d'avoir répondu à notre invitation. Je salue la présence de Mmes Michèle André, présidente de la commission des finances, et Élisabeth Lamure, présidente de la nouvelle délégation sénatoriale aux entreprises, ainsi que plusieurs de nos collègues de la commission des finances et de la délégation aux entreprises.

Commissaire général à la stratégie et à la prospective depuis mai 2013, M. Pisani-Ferry a une longue expérience d'économiste, grâce à ses activités d'enseignant et à de nombreuses publications. Son parcours professionnel intègre la dimension européenne. Certains d'entre nous ont eu l'occasion de le rencontrer entre 2005 et 2013, lorsqu'il était directeur de Bruegel, centre d'analyse et de débat sur les politiques économiques en Europe : ces entretiens ont toujours été d'une grande qualité.

M. Enderlein a commencé son parcours d'économiste par une thèse sur l'union économique et monétaire - il était déjà dans le ton. Ses fonctions à la Banque centrale européenne (BCE) - il était toujours dans le ton - l'ont conduit à participer aux travaux de la convention européenne que présidait Valéry Giscard d'Estaing. Il enseigne depuis 2005 à la Hertie School of Governance. Son parcours européen est décidément bien affirmé, puisqu'il dirige également l'Institut Jacques Delors à Berlin, lequel, par des études, des analyses et des opinions d'experts, vise à promouvoir les questions européennes. Il connaît parfaitement notre pays et il a effectué une partie de ses études à Sciences Po.

En octobre dernier, les deux ministres allemand et français de l'économie, MM. Gabriel et Macron, vous ont confié un rapport afin de définir pour la France et l'Allemagne des domaines prioritaires d'investissement, de réformes structurelles et d'actions communes. Votre rapport a été publié fin novembre.

La situation économique de l'Europe demeure difficile avec une croissance atone et des taux de chômage très élevés, en particulier chez les jeunes. Le débat est donc ouvert sur les indispensables mesures d'assainissement et la façon de retrouver le chemin de la croissance. La nouvelle Commission européenne a proposé un plan d'investissement ambitieux de 315 milliards sur trois ans. Nos collègues Didier Marie et Jean-Paul Emorine travaillent sur ce plan qui suscite des espoirs. Sur leur suggestion, nous avons adressé un avis politique à la Commission européenne et nous reviendrons sur ce sujet le 11 février.

Le Monde du 25 novembre a publié un portrait de vous, monsieur Enderlein, dont deux phrases ont retenu mon attention. De la France, que vous aimez, vous dites : « Une dose de pragmatisme ferait du bien : les choses y sont parfois politiquement compliquées » ; et vous ajoutez, à propos des États-Unis : « L'ouverture d'esprit qui y règne m'a beaucoup apporté : nous pouvons beaucoup apprendre de leur pragmatisme ».

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective

La démarche des deux ministres n'est pas tout à fait usuelle, puisqu'ils nous ont confié à titre individuel le soin de rédiger un rapport sur les réformes, les investissements et la croissance dans nos deux pays. Sans doute voulaient-ils que nos conclusions ne soient pas l'objet d'un compromis entre leurs administrations.

La semaine dernière, quand nous avons présenté notre travail à Bruxelles, j'ai été frappé par la demande de franco-allemand : on nous a dit qu'on souffrait d'une absence de leadership franco-allemand. Ce rapport nous donne l'occasion de dresser un diagnostic et de présenter des idées nouvelles. Les deux ministres sont conscients de la gravité de la situation et du fait que nous sommes souvent enfermés dans des postures ou des dialogues de sourds.

Parce que l'Europe souffre à la fois de la faiblesse de la demande et de l'offre et de fragmentations internes, il nous faut agir sur ces trois fronts. On entend souvent dire que l'Allemagne doit investir et la France se réformer. Cette approche n'est pas satisfaisante, car l'Allemagne a, elle aussi, besoin de se réformer, et parce que l'on n'échange pas des réformes dans un pays contre des investissements dans un autre. Il faut répondre aux défis par des initiatives communes et bénéficier ainsi d'un réel effet d'entraînement.

Nous n'avons pas établi une liste de choses à faire, dans laquelle on pourrait faire des choix : les réformes doivent être complémentaires les unes des autres afin de franchir des seuils, de traiter des problèmes les plus urgents et de créer une dynamique. En outre, il faut distinguer les réformes à effet immédiat de celles qui modifient les comportements ou encore de celles qui améliorent les négociations sociales.

La faiblesse de l'investissement est liée à la faible dynamique économique de l'Europe. Or, l'investissement d'aujourd'hui représente, selon l'expression de Mario Draghi, l'offre de demain : l'on peut parvenir à un consensus entre les partisans de l'offre et ceux de la demande tout en réconciliant court et moyen termes.

La relance de l'investissement dépend en grande partie de la puissance publique : celle-ci investit en effet beaucoup, même si la baisse a atteint 50 à 75 % dans les pays les plus affectés par la crise. Si l'investissement public allemand a diminué, le niveau du nôtre reste satisfaisant, quoique l'on puisse parfois s'interroger sur la pertinence de son allocation.

En deuxième lieu, le cadre réglementaire détermine les décisions des entreprises, partant leurs investissements, surtout dans les secteurs de l'énergie, des transports et de l'environnement. Les entreprises ont besoin d'une visibilité à long terme. Or, tel n'est pas le cas en Europe : ainsi le prix, très bas, du carbone, constitue presque une désincitation à investir dans des technologies propres.

En troisième lieu, le système financier européen repose largement sur le système bancaire, où se concentre le risque. Or, les règlementations comme « Bâle » ou les mécanismes de résolution des crises bancaires ont pour objet de réduire les risques qu'elles prennent, de sorte que l'appétence pour le risque diminue.

Dans notre rapport, nous mettons l'accent sur la transition vers un nouveau modèle de croissance : la flexisécurité. La compétitivité est notre deuxième priorité : la fiscalité ne peut être le seul levier dans ce domaine. Contrairement à ce qui a été dit, nous n'avons jamais prôné le gel des salaires. En revanche, il faut passer à une obligation triennale de négocier et indexer le smic sur la productivité. Enfin, l'efficacité des dépenses publiques est notre troisième priorité : la France pourrait mieux faire.

Debut de section - Permalien
Henrik Enderlein, fondateur de l'Institut Jacques Delors à Berlin

Je regrette de n'avoir pu participer hier soir à la réunion qui a eu lieu à Berlin en solidarité avec votre pays après les événements de la semaine dernière.

L'Allemagne est souvent désignée comme le bon élève de l'Europe mais, si elle a moins de défis à relever à court terme, elle en a beaucoup à moyen et long termes, à commencer par la démographie. La population allemande va diminuer de 20 % d'ici 2060. D'ici 2025, 400 000 personnes sortiront chaque année du marché du travail ; l'immigration représentera 200 000 personnes, soit une perte nette de 200 000 actifs par an. La population de l'Allemagne et de la France sera comparable en 2050. C'est pourquoi les Allemands s'attachent à réduire leur dette, puisque celle-ci doit tenir compte de leur population d'ici 20 à 30 ans. L'Allemagne devra devenir un pays d'immigration en acceptant d'accueillir 300 000 à 400 000 personnes par an. Nous proposons qu'elle adopte un système à points, qu'elle s'ouvre davantage.

Les femmes doivent être mieux intégrées dans le marché du travail. Le taux d'activité des femmes y est comparable à celui de la France mais l'OCDE note que l'Allemagne n'incite guère les femmes à travailler et le temps partiel y est plus important. Enfin, les jeunes Allemands suivent de longues études si bien qu'ils rejoignent le marché du travail fort tard ce qui impacte la démographie.

L'Allemagne aura à revoir son modèle de croissance : les salaires doivent augmenter et l'épargne s'orienter vers des placements en actions. Il lui faudra beaucoup investir dans les années à venir, non pas pour relancer la machine économique européenne, mais pour sa propre croissance. Une fois respecté le frein à la dette qui a une valeur constitutionnelle, il lui faut investir 8 milliards de plus par an pour rattraper son retard. Depuis cinq à dix ans, les excédents ont servi à la consommation et non à l'investissement : la tendance doit s'inverser. Ce pays devra fixer un seuil minimum d'investissement, dans le respect de la règle du frein à la dette. Près de 70 % des investissements sont réalisées par les collectivités : ce ne sont pas tant les grands projets qui manquent que les écoles, les piscines, les petites infrastructures.

Le plan Juncker mobilise 315 milliards pour 28 États européens. L'outil est bon, mais l'argent frais fait défaut : 300 des 315 milliards annoncés étaient déjà inscrits... Pas d'argent nouveau, pas de dette, mais 315 milliards d'investissement ? Nous recommandons d'apporter de l'argent nouveau et d'avoir un contrôle extérieur pour trouver les bons projets. Une centaine de milliards conviendrait, à condition de retenir de vrais projets, avec une valeur ajoutée. Or, la Banque européenne d'investissement (BEI) ne nous semble pas le meilleur organisme pour sélectionner ces projets. Demander à des non-Européens de participer au choix éviterait les inévitables marchandages entre pays de l'Union. Nous proposons aussi la création d'un fonds pour subventionner les investissements publics qui n'ont pas de retours directs. Le plan Juncker n'est pas fait pour cela.

Nous devrons aussi nous interroger sur l'intégration des économies européennes. Jusqu'à présent, le marché unique se borne le plus souvent à des interdictions, mais ne définit pas de réglementations ni de lois. Au lieu de cette intégration négative, nous recommandons que la France, l'Allemagne, et tous les pays qui le souhaiteront, définissent des règlementations communes dans les secteurs de l'énergie, du numérique et de la mobilité des travailleurs. Cela implique un régulateur commun et une approche commune.

Quand on m'a demandé quel était notre projet d'Airbus pour le XXIe siècle, j'ai suggéré une législation commune sur la protection des données, qui créerait un marché pour les Google européens : si Allemagne et France s'entendaient, le Benelux puis l'Autriche suivraient. Il s'agirait alors d'un véritable « Schengen économique ». Ce concept trouble les esprits, mais les pays qui partagent des valeurs doivent se rapprocher pour aboutir à des initiatives communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je me réjouis que nous puissions parler de ce qui nous rapproche. Il faudra expliquer à nos compatriotes quels sont les enjeux pour nos deux pays dans les années à venir. La protection des données est essentielle, surtout dans le temps que nous vivons.

On entend souvent dire en France qu'il faut réduire les rentes. Cela angoisse et paralyse les professionnels concernés. Comment avancer sur ces sujets ? De même, comment parler d'immigration après les événements dramatiques que nous venons de connaître ? Enfin, vous voulez encourager les femmes à travailler mais le modèle en vigueur n'est-il pas celui de la famille classique ? Là encore, comment éviter de cristalliser les « moins » au lieu de rassembler les « plus » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Merci d'avoir convié à cette audition les membres de la nouvelle délégation aux entreprises, délégation qui a pour mission d'informer le Sénat sur la situation et les perspectives de développement des entreprises. Notre coeur de cible sera les PME et les Entreprises de taille intermédiaire (ETI). Nous allons très prochainement aller sur le terrain pour comprendre leurs problèmes. Pourquoi est-il plus difficile en France qu'en Allemagne aux PME de devenir des ETI. Quelles pourraient être les mesures favorisant la croissance des entreprises ? La création de la Banque publique d'investissement (BPI) facilite-t-elle leur financement ?

Votre rapport indique que les très grandes entreprises françaises ont réorganisé leur chaîne de valeur sans forcément inclure leurs sous-traitants. Comment améliorer cette coopération, dans une logique de réseau ou de cluster ? Les bonnes pratiques allemandes sont-elles transposables chez nous ?

Comment pallier les difficultés françaises à l'export ? Lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie des entreprises, j'ai découvert que malgré la récente fusion d'UbiFrance et de l'AFII, une cinquantaine d'organismes se chargeaient d'accompagner les entreprises françaises à l'export.

Debut de section - Permalien
Henrik Enderlein, fondateur de l'Institut Jacques Delors à Berlin

Vous évoquez les craintes dues à l'intégration. L'on pense au mouvement AfD ou aux manifestations contre la prétendue islamisation de l'Allemagne. Il convient d'expliquer plus clairement l'Europe, sans prétendre que l'Union détient toutes les solutions ni qu'elle est à l'origine de tous les problèmes. Cessons d'en faire un bouc-émissaire, cherchons des solutions pragmatiques.

Entre 1997 et le moment où l'Allemagne a découvert qu'elle devrait mener des réformes et celui où elle les a mis en oeuvre avec les lois Hartz, il s'est passé six ans. Ce pays doit remettre l'ouvrage sur le métier et préparer de nouvelles réformes. Je suis assez confiant.

Renforçons les outils de négociation collective au sein des entreprises, tout en les rendant plus flexibles. Pendant la crise, le nombre d'heures travaillées en Allemagne a très fortement baissé, grâce aux syndicats qui ont joué le jeu et qui ont fait confiance au patronat. A contrario, lorsque la croissance repart, les salaires recommencent à augmenter. Cette flexibilité fait parfois défaut en France.

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective

Nos secteurs économiques ouverts à la concurrence internationale se sont étiolés : nous avons privilégié ceux qui ne sont pas délocalisables, c'est-à-dire la partie de l'économie non soumise à la concurrence internationale. Or, une économie compétitive se doit d'aller à l'export, car les opportunités de développement sont bien plus grandes. Lorsqu'on se met à l'abri, on ne peut tenir durablement sa place au niveau mondial. Le coût du travail dans le secteur manufacturier dans nos deux pays est identique. En revanche, le coût des intrants dans les entreprises manufacturières est moins élevé en Allemagne. Il est nécessaire de réduire les rentes pour rediriger les facteurs de production vers l'exportation. Il y a vingt ans, les taux d'ouverture de nos deux pays étaient sensiblement identiques ; celui de l'Allemagne est désormais bien plus élevé que le nôtre. Notre approche doit donc évoluer.

Mme Lamure a raison d'évoquer le financement des entreprises : le rôle de la BPI est positif. La manière dont elle s'est imposée sur certains segments de marché est impressionnante. Cependant, la croissance des entreprises ne tient pas seulement à leur financement, mais aussi au fonctionnement du marché des produits et à leur capacité à se développer. Le premier arrivé a souvent tendance à prendre une position dominante, notamment dans le secteur de l'Internet. Ainsi en est-il de Booking.com dans le secteur de l'hôtellerie. En revanche, de meilleures relations se nouent en France entre les grands groupes et les PME, grâce à des modèles d'innovation ouverte et d'interaction.

Certes, il y a de trop nombreux organismes dédiés à l'aide à l'export. L'exportation est l'élément fondamental de la performance pour l'entreprise : c'est à la fois un processus de sélection et d'apprentissage. En se tournant vers l'exportation, on réalise des bénéfices internes ; les meilleures entreprises sont récompensées et cela profite à leurs salariés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

La France prélève et dépense 11 % de plus que l'Allemagne. Sur 29 millions d'actifs, nous déplorons près de 11 % de chômeurs. Notre pays compte 22 % de fonctionnaires, dont un million d'actifs employés dans nos entreprises publiques, contre 11 % chez notre voisin. Cela pèse-t-il sur nos prélèvements obligatoires et sur nos dépenses publiques ?

Didier Marie et moi-même suivons le plan Juncker qui se monte à 315 milliards pour les 28 pays membres. L'effet levier serait d'environ 21 milliards. Ce plan répond-il à vos préoccupations, alors qu'il ne peut subventionner les projets ? Dégagera-t-il une capacité d'emprunt, comme le souhaite M. Macron ? Suffira-t-il pour mener à bien des grands projets comme ceux liés à l'économie numérique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Pensant à notre rapport intitulé Le modèle allemand, mais à quel prix ?, j'ai été très sensible au diagnostic formulé par M. Enderlein. Les problèmes se posent en effet à court et long terme. Un contraste analogue existe entre le modèle chinois et le modèle indien : la Chine a beaucoup investi dans les infrastructures, l'Inde plutôt dans la formation. La France, quant à elle, privilégie son secteur non marchand, en particulier les équipements collectifs. Avec la réduction des dotations des collectivités françaises, cet investissement diminuera mathématiquement.

Loin d'être alimenté en argent frais, le plan Juncker tirera ses ressources d'un recyclage budgétaire européen. On peut douter, dans ces conditions, de l'effet levier qu'il est censé induire. Les trente-deux projets présentés par la France correspondent-ils aux grandes priorités - transports, énergie, numérique - que vous défendez dans votre rapport ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Si j'ai entendu avec plaisir l'introduction de M. Pisani-Ferry, qui refusait d'opposer un modèle français grevé par des problèmes de réformes et un modèle allemand où il n'y aurait que des problèmes d'investissement, j'ai eu l'impression que le développement qui a suivi retombait dans cette perspective dichotomique - mais la conclusion m'a plutôt rassuré. Il a bien peu été question de l'État stratège. Quels sont les vrais problèmes ? Ayant participé l'année dernière à une mission sur la gouvernance mondiale de l'Internet, j'ai pu interroger nos interlocuteurs allemands : ils m'ont appris que, dans leur pays, la compétence sur le numérique est répartie entre quatre ministères, si bien que personne n'était à même d'expliquer ce que la chancelière entend par « internet européen ».

Nous touchons là du doigt les limites du fonctionnement de la Commission européenne et de la DG-concurrence : si les crédits d'impôt - recherche sont licites, les crédits d'impôt sectoriels, destinés à soutenir des filières industrielles, sont très limités. La direction de l'industrie n'existe pour ainsi dire pas, alors qu'elle représente l'enjeu principal de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

J'ai été séduit par votre conclusion sur la nécessité d'une évolution de la gouvernance européenne relativement aux investissements et à leur financement. Comment les projets doivent-ils être sélectionnés ? Le jury international dont vous avez évoqué l'idée ne nous exposerait-t-il pas au risque de financer des éléphants blancs ? Comment identifier ces projets d'investissement risqués, jugés non rentables par le secteur privé, mais porteurs de progressions significatives, dans le domaine numérique notamment ? Quant à leur financement, suggérez-vous une intégration croissante des outils publics d'investissement, comme la BEI et autres banques publiques ou parapubliques, afin qu'elles apportent leur concours dans des délais brefs ?

Debut de section - Permalien
Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective

La question de la dépense publique en France et en Allemagne est mal appréhendée, du fait de différences dans les données, sur l'investissement public notamment. France Stratégie a récemment publié une note à ce sujet. Le niveau de dépenses supérieur de la France s'explique en partie du fait que ce qui y est du domaine public ne l'est pas en Allemagne : ainsi l'assurance maladie des personnes dont les revenus sont supérieurs à un certain seuil. Notre attention doit plutôt se porter sur les domaines où pèse une présomption d'inefficacité : nous dépensons beaucoup pour le logement, avec des résultats médiocres ; nous dépensons peu pour l'enseignement primaire, beaucoup pour le secondaire : est-ce la bonne allocation ? La comparaison entre France et Allemagne doit bien sûr être corrigée, en premier lieu, par les facteurs objectifs comme la démographie.

Quant au plan Juncker, notre souhait est de disposer d'un instrument propre à pallier l'insuffisante appétence pour le risque du secteur financier ; nous voulons, autrement dit, financer des projets dont nous espérons qu'ils seront rentables, mais pour lesquels la prime de risque exigée par un investisseur privé serait trop élevée. Voilà un propos tout différent de celui consistant à financer par des subventions des projets dont la rentabilité privée est intrinsèquement trop faible. Le risque est qu'il bénéficie à des projets qui trouveraient facilement un financement privé, mais dépourvus de tout effet macro-économique : il est malheureusement arrivé que la BEI contribue à des projets déjà financés par des investisseurs privés, ce qui n'a créé aucune activité supplémentaire. Méfions-nous donc des objectifs de taille de bilan. L'identification des bons projets, évidemment délicate, doit échapper aux marchandages et aux tentations de la réciprocité entre décideurs. Un jury international semble un bon instrument pour cela.

Coordonner l'action de la BEI et celle des banques de développement nationales est une très bonne orientation, d'autant que nous avons désormais en Europe des acteurs de poids, comme la BPI ou la Caisse des dépôts italienne.

Debut de section - Permalien
Henrik Enderlein, fondateur de l'Institut Jacques Delors à Berlin

Les différences entre niveaux de prélèvement et de dépense en France et en Allemagne résultent des choix collectifs de chaque société. Il s'agit d'identifier les dépenses les moins efficaces. L'Allemagne, avec les réformes Hartz, a remis en cause quelques acquis. Sans être socialement faciles, ces choix sont politiquement possibles.

M. Gattolin a parlé de l'État stratège et du pilotage d'Internet : l'État est-il cependant toujours l'instance la plus apte à gérer de tels enjeux transfrontaliers ? La gestion d'Internet est un défi considérable, pourquoi ne pas l'affronter ensemble ? Les différences séparant les États-Unis et l'Europe sont bien plus grandes que celles qui existent entre la France et l'Allemagne. Nous négocions pourtant un traité avec les États-Unis ; commençons donc par trouver chez nous une approche commune de la gestion du numérique. La protection des données n'est qu'un exemple, parmi beaucoup d'autres sujets qui pourraient être débattus lors des conseils des ministres franco-allemands.

M. Marc a évoqué les risques encourus lors du choix de projets à financer. Tout investissement comporte cependant un risque ; doit-on se féliciter, par exemple, que la BEI ne connaisse quasiment pas de pertes ? Si c'était la marque d'une exceptionnelle clairvoyance, nous le saurions ; c'est plutôt celle d'un engagement insuffisant. Si le rôle de l'État, dans le contexte de croissance très faible que nous connaissons, est de prendre des risques, il doit aussi assumer des pertes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Bouchet

Maire de Tain-l'Hermitage, jumelée avec la commune allemande de Fellbach, j'ai eu l'occasion de parler des points forts de la société allemande dont nous devrions nous inspirer, à commencer par le dialogue avec les syndicats. J'ai été surpris d'entendre que le coût du travail était le même en France et en Allemagne, alors que nos petites entreprises croulent sous le poids des contraintes et des normes. L'accompagnement que leur offre les banques est au reste très insuffisant. Qu'en est-il en Allemagne ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Certaines de vos préconisations aux entreprises sont aisées d'application, d'autres particulièrement difficiles à réaliser : vous proposez par exemple de faire explicitement référence aux conventions collectives dans les contrats individuels de travail afin de limiter les possibilités de conflits, ce qui est assez simple ; élargir, en revanche, le champ des dérogations possibles aux dispositions légales dans les conventions collectives de branche, y compris au détriment des employés, nous exposerait à des difficultés considérables. La loi française s'applique en France, et en Alsace encore plus. Les seules dérogations possibles dans les conventions collectives sont celles qui vont au-delà des garanties légales.

Pourquoi jugez-vous qu'il faille que la majorité des embauches prennent la forme de contrats à durée indéterminée ? Je ne connais pas d'entreprise qui ne conserve pas un salarié si elle a du travail à lui donner ; dans le cas contraire, que devrait-elle faire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Si la baisse du prix du pétrole, depuis quelque mois, remet en cause les orientations de nos politiques énergétiques, celles de la France et de l'Allemagne restent très différentes. Beaucoup d'entreprises s'interrogeaient même sur l'intérêt de leur implantation en Allemagne à cause de l'insécurité touchant l'approvisionnement et les prix de l'énergie. Le choix du nucléaire nous donne évidemment un avantage. Comment faire converger nos politiques énergétiques et sécuriser notre approvisionnement, tout en préservant cet avantage ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous avons justement abordé cette question tout à l'heure avec le président Larcher, qui a reçu l'ambassadeur d'Allemagne à Paris. Nous sommes très attachés à la coopération énergétique franco-allemande.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

L'Allemagne passait, il y a quinze ans, pour l'enfant malade de l'Europe ; c'est aujourd'hui le tour de la France, entre autres pays. Les causes du rattrapage allemand n'ont-elles pas été, simultanément, celles du déclin relatif de la France, qui entraînera à son tour celui de l'Allemagne, tant les liens du commerce intra-communautaire sont étroits ? Vers quel objectif la vision commune de la France et de l'Allemagne s'oriente-t-elle désormais ? Dans vingt ans, ni l'une ni l'autre ne figurera plus parmi les huit premiers PIB mondiaux : le temps n'est plus aux rencontres inefficaces.

Je suis inquiet de constater que nos pays investissent beaucoup dans la formation et la recherche, mais que leurs excellents résultats dans ces domaines sont bientôt rachetés par des entreprises américaines ou chinoises. Comment faire pour les conserver en Europe ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

M. Pisani-Ferry a affirmé que l'investissement public était un facteur de croissance ; je suis d'autant plus heureux de l'entendre qu'il est souvent stigmatisé de ce côté-ci du Rhin, et que nos lois de finances tendent à le réduire. M. Enderlein préconise-t-il que l'Allemagne inscrive dans la loi un seuil d'investissement de 60 % ou 70 % pour les finances locales ? Vérité au-delà du Rhin, erreur en-deçà... Comment les commissaires européens réagissent-ils à cette proposition ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

D'où viendra l'argent frais indispensable aux investissements dans l'économie européenne ? Pourriez-vous revenir sur la nécessité, évoquée par M. Pisani-Ferry, de revoir l'allocation de l'investissement public en France, à l'heure où nous débattons des compétences des différentes collectivités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Forissier

En tant que chef d'entreprise depuis 1968 et législateur depuis trois mois, j'aimerais vous interroger sur les procédures applicables aux entreprises en difficulté. La réforme de la faillite est évoquée, une fois de plus, par votre rapport, après que le volet prévention a été traité par l'ordonnance du 12 mars 2014. Quels sont selon vous les changements à apporter à cette législation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Delattre

Qu'en est-il exactement des 315 milliards du plan de relance européen ? J'avais cru d'abord qu'il s'agirait d'eurobonds, mais il semble désormais que ce montant soit celui de simples garanties de prêts. Le défaut d'une banque centrale coopérante est aujourd'hui un handicap pour la France, et en sera un demain pour tout le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Cette question sera en effet au centre de l'entretien que le président Larcher aura avec le président Juncker le 5 février. Leurs propos vous seront rapportés.

Debut de section - Permalien
Henrik Enderlein, fondateur de l'Institut Jacques Delors à Berlin

Les conventions collectives sont en Allemagne un outil de flexibilité, grâce auquel patronat et syndicats élaborent des solutions communes à des défis communs. Le contrat de travail individuel doit cesser d'y faire obstacle, cet aspect de la législation française appelle une évolution. La vraie question n'est pas de savoir si des CDI valent mieux que des CDD, mais à quelles conditions un contrat peut être cassé et quels engagements incombent à l'entreprise qui embauche un salarié. Nous proposons un modèle de flexisécurité, que des débats législatifs ultérieurs auront à préciser.

Si l'approche allemande de la question énergétique est très différente de celle de la France, nous partageons déjà un marché de l'électricité. Nous manquons en revanche d'un marché commun de capacités : l'Allemagne dispose en été d'un excédent d'énergie renouvelable, mais souffre à d'autres époques d'un approvisionnement insuffisant ; l'énergie nucléaire pourvoit à l'essentiel des besoins français, mais le besoin de capacités supplémentaires se fait sentir aux heures de pointe. Conserver des centrales à gaz qui ne tournent qu'une partie de l'année est pour nous très coûteux. Douze PDG franco-allemands se sont réunis pour proposer la création d'un marché de capacités énergétiques commun, c'est un commencement encourageant.

Quant à la question de l'investissement public évoquée par MM. Bocquet et Allizard, il convient de distinguer parmi les dépenses publiques les véritables investissements. Si l'Allemagne décide d'affecter des crédits à la création de crèches, ce sera d'abord un facteur coût, mais s'il encourage les femmes à revenir sur le marché du travail, ce sera un bon investissement.

La règle d'investissement que nous préconisons pour l'Allemagne ne concerne pas les collectivités locales, mais vise à faire comprendre la nécessité d'un investissement dans le capital de stock, constitué par exemple par les routes et les piscines. Nos infrastructures doivent être rénovées avant d'être transmises aux générations futures. Les investissements nets de l'État allemand ont plusieurs fois été négatifs au cours des dernières années, d'où une dépréciation inévitable du capital. Aucune entreprise ne se conduirait de cette manière irresponsable. La règle que nous proposons d'un investissement brut de 8 % ou 9 % peut être acceptée, même si le ministère des finances est réticent à se voir imposer de nouvelles contraintes...

J'ai expliqué pourquoi le plan Juncker ne me semblait pas être l'outil le plus approprié pour sauver l'Europe. Il faut aller plus loin, en ouvrant de nouveaux crédits et en favorisant l'investissement par une meilleure réglementation. C'est, de fait, l'objet d'un volet du plan Juncker qui a été passé sous silence. L'Allemagne aurait besoin de 30 milliards d'euros d'investissements privés annuels dans le secteur de l'énergie, mais l'on souffre de l'incertitude sur l'évolution de la politique énergétique du pays. Le même problème se pose en Europe dans plusieurs autres secteurs. L'épargne est là, le tout est de la débloquer au profit d'investissements productifs. Un accord franco-allemand sur ce point serait un excellent point de départ. J'espère que Mme Merkel et M. Hollande en parleront.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

La présence de Mme Merkel à Paris dimanche dernier a en effet constitué un symbole très fort. Si un journal a pu titrer : « Le monde se lève », c'est aussi parce que nos deux pays étaient ensemble. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie de l'éclairage que vous nous avez apporté sur les enjeux d'un renouveau du couple franco-allemand. Nous sommes nombreux, au sein de cette commission et de la délégation aux entreprises, à souhaiter une coopération renforcée entre la France et l'Allemagne dans les domaines de l'énergie, du numérique et de la gouvernance d'Internet. L'année 2015 sera décisive sur ce dernier point. Je souhaite qu'un prochain rendez-vous nous donne l'occasion de parler de l'autorité de la concurrence, dont le fonctionnement me préoccupe particulièrement : si nous voulons voir émerger des champions européens, nous devrons revoir le concept de marché pertinent.

Une lecture très réductrice du principe de précaution, répandue dans la population française, en a fait un obstacle à l'innovation, mais je me félicite que nous ayons eu à ce sujet un débat dépassant les diverses sensibilités politiques. Quant à l'Europe stratège, elle fera l'objet d'une communication que Simon Sutour et moi-même présenterons au début de février.

La réunion est levée à 17 h 45.