Intervention de Michel Billout

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 janvier 2015 à 10h05
Justice et affaires intérieures — Protection des mineurs isolés étrangers : communication de m. michel billout

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Il y a effectivement une marge d'erreur qui est importante.

J'en viens aux mineurs isolés étrangers qui demandent l'asile en France. Les statistiques les concernant sont un peu plus précises que celles qui concernent les autres mineurs étrangers. De 2009 à 2013, le nombre total des demandes d'asile déposées par les mineurs concernés ont été respectivement de 442, 610, 195, 492 et 326, soit une faible proportion, on le voit, du nombre estimé des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire.

En 2013, sur les 326 demandes déposées, la répartition par pays d'origine était principalement la suivante : 97 étaient le fait de mineurs originaires de la République démocratique du Congo, 29 de Guinée-Conakry, 29 d'Angola, 20 d'Afghanistan, 15 du Sri Lanka, etc.

91 % de ces mineurs avaient de 16 à 17 ans, 209 décisions positives ont concerné des garçons et 84 des filles.

La procédure applicable aux mineurs étrangers demandeurs d'asile est prévue par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Lorsqu'un mineur isolé étranger, sans représentant légal, demande l'asile à la frontière, le procureur de la république désigne sans délai un administrateur ad hoc pour assister le mineur et le représenter pour ses démarches juridiques et administratives durant son maintien en zone d'attente. La demande d'asile est ensuite étudiée par l'OFPRA afin de déterminer si elle n'est pas manifestement infondée. Si l'OFPRA donne un avis positif, le ministère de l'intérieur autorise le mineur à entrer sur le territoire français pour déposer une demande d'asile par l'intermédiaire de son administrateur ad hoc. En cas de décision de refus d'accès au territoire au titre de l'asile, un recours en annulation peut être déposé par le mineur auprès du tribunal administratif compétent par l'intermédiaire de son administrateur ad hoc. Le recours exercé par le mineur interrompt toute mesure d'éloignement.

Lorsqu'un mineur isolé étranger, sans représentant légal, se trouve déjà sur le territoire français, il doit - pour demander l'asile en France - se présenter à la préfecture de son lieu de résidence. Celle-ci informe le procureur de la république afin qu'un administrateur ad hoc lui soit désigné. C'est ce dernier qui effectuera les démarches administratives sauf dans le cas où le mineur étranger bénéficie d'une tutelle de l'État prononcée par un juge, auquel cas ce sont les services de l'Aide sociale à l'enfance du département de résidence du mineur qui se chargeront des démarches.

L'obtention éventuelle du statut de réfugié ou d'une protection intermédiaire interviendra le jour de la majorité du mineur concerné. Durant l'instruction de sa demande, le mineur étranger, pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance avant l'âge de 16 ans, peut obtenir un « document de circulation pour étranger mineur » s'il souhaite effectuer des déplacements hors de France. Ce document permet au jeune, après un voyage à l'étranger, de justifier son séjour légal en France et d'être réadmis, en dispense de visa, dans notre pays.

On rappellera qu'en application de l'article L.311-1 du CESEDA, un mineur isolé étranger n'est pas tenu de détenir un titre de séjour pour demeurer sur le territoire.

S'il a obtenu une protection en France au titre de l'asile, le mineur isolé étranger pourra se voir délivrer, à sa majorité :

- une carte de résident de dix ans, renouvelable, s'il s'est vu accorder le statut de réfugié ;

- une carte de séjour d'un an renouvelable s'il bénéficie de la protection subsidiaire.

Je signalerai, enfin, que des associations telles que la Croix Rouge française ou France-Terre d'asile sont habilitées à assurer la représentation légale des mineurs isolés étrangers.

J'en viens à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil qui a motivé la présente communication.

Ce texte modifie l'article 8 paragraphe 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Ce règlement du 26 juin 2013 est celui que l'on appelle « Dublin III ».

Au cours des négociations relatives à ce texte, les co-législateurs s'étaient accordés pour laisser ouverte la question des mineurs non accompagnés qui introduisent une demande de protection internationale dans l'Union européenne et dont aucun membre de la famille, frère ou soeur ou proche, n'est présent sur le territoire d'un État membre. Il s'agissait d'attendre l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans une affaire impliquant le secrétariat d'État britannique aux affaires intérieures.

On rappellera que le règlement n° 343/2003 du 18 février 2003 dit « Dublin II » comportait, dans son article 6, les dispositions suivantes : « Si le demandeur d'asile est un mineur non accompagné, l'État membre responsable de l'examen de la demande est celui dans lequel un membre de sa famille se trouve légalement, pour autant que ce soit dans l'intérêt du mineur. En l'absence d'un membre de la famille, l'État membre responsable de l'examen de la demande est celui dans lequel le mineur a introduit sa demande d'asile. »

Le règlement précité « Dublin III » du 26 juin 2013 dispose, simplement, pour sa part dans son article 8 paragraphe 4 : « En l'absence de membres de la famille, de frères ou soeur ou de proches, l'État membre responsable est celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit sa demande de protection internationale, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur ».

Dans son arrêt rendu le 6 juin 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a notamment énoncé : « L'article 6, second alinéa, du règlement « Dublin II » établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présenté dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, doit être interprété en ce sens que dans des circonstances dans lesquelles le mineur non accompagné, dont aucun membre de la famille ne se trouve légalement sur le territoire d'un État membre, a déposé des demandes d'asile dans plus d'un État membre, il désigne comme l'État membre responsable, celui dans lequel se trouve ce mineur après y avoir déposé une demande ».

On constate que cet arrêt n'apporte pas de solution claire au problème du mineur isolé qui a introduit des demandes d'asile dans un ou plusieurs États membres, et qui se trouve sur le territoire d'un État membre sans y avoir introduit de demande.

La proposition de règlement modifiant l'article 8 du règlement « Dublin III » s'efforce d'apporter des solutions dans tous les cas de figure. Je les résumerai en cinq points :

1. La réforme laisse en l'état le paragraphe 4 de l'article 8 du règlement de 2013 selon lequel, on l'a dit, en l'absence de famille ou de proches du mineur demandeur d'asile, l'État membre responsable est celui dans lequel le mineur non accompagné a introduit sa demande de protection internationale, à condition que ce soit dans son intérêt supérieur.

2. Elle introduit, dans un nouveau paragraphe 4 bis, un texte aux termes duquel lorsque le mineur isolé a déposé des demandes d'asile dans plusieurs États membres dont celui dans lequel il se trouve, l'État responsable est celui de ces États membres dans lequel il se trouve, si cette solution est dans son intérêt supérieur.

3. Elle introduit, dans un nouveau paragraphe 4 ter, un texte aux termes duquel lorsque le mineur isolé a déposé des demandes d'asile dans un ou plusieurs États membres mais est présent dans un État membre dans lequel il n'a pas déposé de demande, ledit État membre informe le mineur de son droit d'y demander l'asile en lui en offrant la possibilité effective.

Deux cas de figure se présentent alors. Soit le mineur isolé introduit sa demande d'asile : dans ce cas, l'État membre dans lequel le mineur est présent est responsable du traitement de la demande d'asile si tel est l'intérêt supérieur du mineur. Soit le mineur n'introduit pas de demande dans l'État membre dans lequel il est présent : l'État membre responsable est, alors, celui dans lequel il a introduit la dernière en date de ses demandes à moins que ce ne soit pas dans l'intérêt supérieur du mineur.

4. Dans un nouveau paragraphe 4 quater, le texte proposé par la Commission prévoit que lorsque le mineur n'introduit pas de demande dans l'État membre dans lequel il se trouve - alors qu'il a déposé des demandes dans un ou plusieurs autres États membres - l'État membre « de résidence » et l'État membre « de la dernière en date des demandes d'asile » doivent coopérer pour apprécier l'intérêt supérieur du mineur.

5. Dans un nouveau paragraphe 4 quinquies, le texte de la Commission prévoit, enfin, que dans le cas où plusieurs États membres ont été associés au processus, l'État membre finalement responsable du traitement de la demande d'asile du mineur isolé en informe ses partenaires.

Sur le fond du problème, je livrerai deux réflexions :

- tout d'abord, le dispositif de mise à l'abri et d'orientation, mis en place par le protocole conclu par l'État et l'Assemblée des départements de France en mai 2013 et la circulaire de la Chancellerie, était « formaté » pour un flux d'entrées annuel de mineurs isolés étrangers de 1 500 environ. Cela a été rappelé par le rapport conjoint précité des trois inspections générales en juillet 2014. Le flux constaté actuellement - et qui ne devrait pas se tarir selon les experts - avoisine plutôt 4 000 à 6 000 jeunes. Il y a donc, là encore, un problème de moyens à mettre en oeuvre pour mieux gérer et maîtriser le phénomène ;

- en second lieu, il faut être conscient que pour la majorité des mineurs isolés étrangers pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance - la plupart ont 16 ans et demi ou 17 ans lorsqu'ils arrivent -, l'âge de la majorité arrive très vite. À 18 ans donc, ils sortent du dispositif. Certains, du jour au lendemain, se retrouvent à la rue. C'est toute la question des jeunes majeurs pour lesquels, jusqu'à présent, on n'a pas encore trouvé de vraies solutions.

Mais ces défis, s'il était nécessaire de les évoquer, sortent du cadre de la présente communication.

Au final, le mécanisme de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile d'un mineur isolé étranger, proposé par la Commission européenne, apparaît bien technique et peut-être même assez théorique. En effet, en se fondant sur la clause de souveraineté du règlement Dublin II, la France, semble-t-il, n'applique quasiment jamais, en tout cas jusqu'à présent, les transferts « Dublin » aux mineurs isolés demandeurs d'asile. Nous n'avons pas le recul suffisant pour déterminer si la mise en oeuvre du règlement Dublin III a été susceptible de modifier cet usage. Mais cela paraît peu probable.

Cela étant dit, les règles de conflits de compétence proposées par la Commission relèvent plutôt du bon sens. Elles ne remettent pas en cause les clauses de souveraineté et la nécessaire coopération entre les États membres pour oeuvrer « dans l'intérêt supérieur » des mineurs concernés.

Par conséquent, l'adoption d'une résolution européenne ne paraît pas opportune.

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