Intervention de Mario Monti

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er février 2017 à 15h40
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Mario Monti président du groupe de haut niveau sur les ressources propres et de M. Alain Lamassoure membre du groupe de haut niveau député européen en commun avec la commission des finances

Mario Monti, président du groupe de haut niveau sur les ressources propres :

Je suis ravi de pouvoir vous présenter, au côté d'Alain Lamassoure, qui a été mon collègue à plusieurs reprises dans le cadre de diverses entreprises liées à notre foi européenne, les grandes lignes de notre rapport sur les ressources propres de l'Union européenne.

Avant qu'Alain Lamassoure, qui a joué un rôle fondamental dans notre réflexion, n'aborde certains problèmes qui, en général et dans une perspective française, peuvent vous intéresser tout particulièrement, je voudrais vous expliquer dans quelles perspectives nous avons travaillé.

Voilà des décennies que la question des ressources propres est intouchable. Tout le monde s'accorde à reconnaître que le système est loin d'être optimal, mais le sujet a toujours été considéré comme politiquement explosif et techniquement très complexe.

Une innovation politique importante a été décidée à la fin de 2013, au terme d'un bras de fer entre le Parlement européen et le Conseil : grâce à l'action d'Alain Lamassoure, notamment, le Conseil n'a pas pu éluder la question des ressources propres, comme il l'avait fait plusieurs fois par le passé, et la décision a été prise de créer un groupe de travail dédié. Vous le savez mieux que moi : lorsqu'on crée un groupe, ce n'est pas toujours pour faire avancer un sujet... En l'occurrence, l'idée, tout à fait géniale - je puis le dire car je n'y étais pour rien -, fut d'instituer un groupe de dix personnalités politiques : trois désignées par chacune des trois grandes institutions européennes - le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne - et un président choisi d'un commun accord entre celles-ci.

Ainsi, dès l'origine, la composition de notre groupe lui donnait une haute sensibilité politique ; nous pouvions par ailleurs nous appuyer sur des groupes techniques composés d'experts, mais nous avons mené un travail largement politique. Cette composition assurait en outre la représentation des différentes sensibilités institutionnelles : bien que chaque membre ait participé à nos travaux à titre personnel, il est évident que les trois membres désignés, par exemple, par le Parlement européen, au nombre desquels était Alain Lamassoure, avaient une proximité intellectuelle et politique particulière avec cette institution. La composition de notre groupe assurait aussi la représentation d'autres sensibilités : des pays du nord ou des pays du sud de l'Europe, des États fondateurs ou des États membres plus récents, entre autres.

Grâce à la forte volonté d'approfondissement et de coopération de tous les membres du groupe, nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur une série de propositions qui ne sont pas banales, ni neutres ou vides ; on peut ne pas y souscrire, mais elles ne sont pas innocentes. Devant le Conseil ÉCOFIN, à la fin de la semaine dernière, j'ai insisté sur cette unanimité : à un moment où, presque dans tous les domaines, les institutions européennes et les États membres ont de graves difficultés pour dégager des accords, le sondage systématique en profondeur auquel nous nous sommes livrés peut créer l'espoir que, par l'approfondissement de certaines questions dans un esprit volontariste et dans le cadre d'une démarche politique, mais qui s'appuie sur des bases techniques solides, des compromis qui fassent avancer l'Europe pourront être trouvés.

À la création de notre groupe, au début de l'année 2014, l'émergence concomitante de plusieurs défis promis à devenir structurels ne s'était pas encore produite. Je veux parler de la question des réfugiés et des migrations et de celle du terrorisme et du renforcement nécessaire de la sécurité interne et externe. Le seul vent léger qui semblait souffler dans la direction d'un volontarisme budgétaire accru en Europe venait du débat sur la capacité budgétaire de la zone euro. Si ce vent a malheureusement perdu de son intensité, un autre a fortement gagné en puissance : celui qui pousse tous les États membres de l'Union européenne à se doter d'un « équipement » budgétaire approprié aux nouveaux défis.

Deux autres événements sont intervenus pendant nos travaux : le « Brexit » et l'élection du nouveau président des États-Unis.

Le premier aura nécessairement certaines conséquences budgétaires : il entraînera une perte nette de ressources pour le budget de l'Union européenne, mais aussi la disparition du rabais britannique, un système absurde et illisible pour les citoyens et, je l'espère, des effets que celui-ci a produits sur l'attitude d'autres États membres en ce qui concerne leur contribution à la compensation britannique.

Quant à l'élection du président américain, elle rend hautement probable que l'Europe doive, dans les années à venir, se responsabiliser davantage pour ce qui est de sa sécurité interne et externe. Songeons que nous sommes entourés par une Russie qui ne se distingue pas par sa timidité et une Turquie qui ne fait pas non plus profil bas, à l'heure où, à l'ouest, où nous pensions avoir toujours des alliés et des amis de la construction européenne, les attitudes vont changer, conduisant notamment à une certaine remise en question de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN). Dans ce contexte, voulons-nous, oui ou non, prendre l'Union européenne au sérieux ?

Si toute politique actuelle, avec ses implications budgétaires, a sa légitimité historique, le fait est qu'une grande partie des politiques menées par l'Union européenne sont redistributives. Or le devoir primordial que chacun de nos États a accompli au cours de son histoire, celui de garantir l'ordre et la sécurité, ne peut plus, désormais, être rempli par les États membres individuellement. Conscients de cette réalité, ceux-ci, pour la première fois depuis des décennies, se tournent vers Bruxelles et en appellent à l'Europe.

Selon nous, la logique voudrait que, si les États membres reconnaissent eux-mêmes à l'Union européenne de nouvelles fonctions propres, ils la dotent symétriquement de nouvelles ressources propres.

Cette tendance correspond à un recentrage de l'activité de l'Union européenne sur ce qu'on appellerait, dans le monde des affaires, son core business. Celui-ci va devenir extrêmement difficile à mener, mais, sur notre continent, seule l'Union européenne peut le faire.

Nous proposons de porter un autre regard sur le budget et le processus budgétaire européens. Il s'agit d'écarter progressivement l'analyse en termes de contributeurs nets et bénéficiaires nets, qui fragilise l'Union européenne. De fait, les négociations budgétaires actuelles donnent à nos concitoyens l'impression d'un jeu à somme nulle : si tel État gagne dix centimètres au tir à la corde, tel autre perd dix centimètres. C'est exactement l'image que l'Union européenne ne devrait plus donner.

C'est pourquoi nous proposons de recentrer tout le discours budgétaire sur la valeur ajoutée européenne et les biens publics européens.

Nos propositions sont précises, mais aussi modestes. Je ne connais personne qui puisse honnêtement soutenir qu'il a une idée du pourcentage du produit intérieur brut (PIB) européen que le budget de l'Union européenne devra représenter dans cinq, sept ou dix ans. Le principe du 1 % n'a aucune raison d'être écarté au profit d'un autre, mais c'est un article de foi, susceptible d'être démenti un jour par de nouvelles réalités.

Pour ce qui est de la procédure budgétaire, elle nous a paru fonctionner mal et être mal structurée. L'articulation entre le budget de l'Union européenne et les budgets nationaux doit être améliorée. Il faut aussi réfléchir à la forte diminution de la part des ressources propres dans le budget de l'Union européenne.

Les potentielles ressources propres nouvelles que nous avons imaginées sont de deux ordres. Les unes ont trait au marché intérieur : l'impôt sur les sociétés, ou une partie de celui-ci, pourrait être mis à la disposition de l'Union européenne, surtout si nous parvenons à faire progresser l'harmonisation de ce marché, ce à quoi s'emploie le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, Pierre Moscovici, qui fut membre de notre groupe, et à rendre plus difficile l'évasion fiscale des multinationales, ce à quoi Alain Lamassoure a travaillé au Parlement européen dans le cadre de sa commission spéciale « TAXE » sur les rescrits fiscaux. Les autres se rapportent au transport, au climat et à l'énergie, un domaine dans lequel de nouvelles formes d'imposition au bénéfice de l'Union européenne peuvent être imaginées.

Je souligne que nos propositions ne conduisent pas à augmenter le montant du budget de l'Union européenne, ni à alourdir la pression fiscale globale sur les contribuables européens.

Peut-être vous aurai-je donné l'impression de ne pas entrer suffisamment dans le détail de nos propositions. J'ai préféré vous en exposer l'orientation politique, car je crois que si notre travail porte ses fruits, ce sera surtout parce que nous aurons essayé de présenter des scénarios que les ministres des finances et les chefs d'État et de Gouvernement auront plus de difficultés à écarter au profit du statu quo, vis-à-vis du Parlement européen et des opinions publiques.

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