Je remercie Mario Monti et Alain Lamassoure d'avoir accepté notre invitation pour nous présenter les conclusions du groupe de haut niveau sur les ressources propres de l'Union européenne.
La commission des affaires européennes du Sénat critique de longue date le financement du budget européen. En effet, contrairement à ce que prévoit le traité, ce budget est financé en très grande partie par des contributions régulières des États membres. Nous voyons bien les inconvénients d'un tel système, qui favorise tous les marchandages entre États membres soucieux avant tout de leur solde net.
C'est pourquoi nous avons accueilli avec satisfaction la création du groupe de haut niveau placé sous votre présidence, monsieur Monti, vous dont chacun connaît la grande expérience, exercée au niveau national comme au niveau européen. Fort de celle-ci, vous étiez particulièrement bien placé pour tenter de dégager des pistes acceptables permettant de doter enfin le budget européen de ressources propres viables et pérennes. Alain Lamassoure, qui vient régulièrement au Sénat, est l'un de nos interlocuteurs réguliers au sein des institutions européennes, et nous apprécions la profondeur de son analyse.
Monsieur Monti, monsieur Lamassoure, quels constats le groupe de haut niveau a-t-il dressés ? Quelles sont les principales pistes qu'il a retenues pour rénover le financement du budget européen ? Au-delà, pensez-vous qu'un consensus puisse être trouvé entre les États membres pour donner une suite concrète à vos propositions ?
Votre rapport tombe en quelque sorte à point nommé, puisque le Sénat est en train de mener, dans le cadre d'un groupe de suivi piloté par Jean-Pierre Raffarin et moi-même, sa propre réflexion sur la manière de réenchanter l'Europe.
La question des ressources propres est au coeur de l'actualité européenne, puisqu'elle a été débattue le 27 janvier au Conseil de l'Union européenne chargé des affaires économiques et financières (ÉCOFIN). Le sujet a également été abordé hier, au cours de la conférence de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à laquelle je participais avec Fabienne Keller et François Marc.
S'il semble que les États membres ne retiennent pas toutes vos conclusions, une large majorité des parlementaires européens et nationaux réunis hier à Bruxelles souscrivaient à votre diagnostic : la structure du budget européen comporte aujourd'hui des défauts -rigidité, complexité, manque de lisibilité - qui appellent une réforme en profondeur et un plus large recours aux ressources propres. Le principe selon lequel cette réforme doit être réalisée à coût constant m'a paru faire également l'unanimité.
En revanche, les vues divergent s'agissant des nouvelles ressources propres les plus adéquates, et un grand nombre de questions restent en suspens. Je ne doute pas que nos collègues vous interrogeront en particulier sur le panier de nouvelles ressources, leur rythme d'introduction et la manière de mieux coordonner les dépenses du budget européen et celles des budgets nationaux.
Votre éclairage nous sera précieux, notamment dans le cadre du travail dont a parlé Jean Bizet, mais aussi dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel.
Je suis ravi de pouvoir vous présenter, au côté d'Alain Lamassoure, qui a été mon collègue à plusieurs reprises dans le cadre de diverses entreprises liées à notre foi européenne, les grandes lignes de notre rapport sur les ressources propres de l'Union européenne.
Avant qu'Alain Lamassoure, qui a joué un rôle fondamental dans notre réflexion, n'aborde certains problèmes qui, en général et dans une perspective française, peuvent vous intéresser tout particulièrement, je voudrais vous expliquer dans quelles perspectives nous avons travaillé.
Voilà des décennies que la question des ressources propres est intouchable. Tout le monde s'accorde à reconnaître que le système est loin d'être optimal, mais le sujet a toujours été considéré comme politiquement explosif et techniquement très complexe.
Une innovation politique importante a été décidée à la fin de 2013, au terme d'un bras de fer entre le Parlement européen et le Conseil : grâce à l'action d'Alain Lamassoure, notamment, le Conseil n'a pas pu éluder la question des ressources propres, comme il l'avait fait plusieurs fois par le passé, et la décision a été prise de créer un groupe de travail dédié. Vous le savez mieux que moi : lorsqu'on crée un groupe, ce n'est pas toujours pour faire avancer un sujet... En l'occurrence, l'idée, tout à fait géniale - je puis le dire car je n'y étais pour rien -, fut d'instituer un groupe de dix personnalités politiques : trois désignées par chacune des trois grandes institutions européennes - le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne - et un président choisi d'un commun accord entre celles-ci.
Ainsi, dès l'origine, la composition de notre groupe lui donnait une haute sensibilité politique ; nous pouvions par ailleurs nous appuyer sur des groupes techniques composés d'experts, mais nous avons mené un travail largement politique. Cette composition assurait en outre la représentation des différentes sensibilités institutionnelles : bien que chaque membre ait participé à nos travaux à titre personnel, il est évident que les trois membres désignés, par exemple, par le Parlement européen, au nombre desquels était Alain Lamassoure, avaient une proximité intellectuelle et politique particulière avec cette institution. La composition de notre groupe assurait aussi la représentation d'autres sensibilités : des pays du nord ou des pays du sud de l'Europe, des États fondateurs ou des États membres plus récents, entre autres.
Grâce à la forte volonté d'approfondissement et de coopération de tous les membres du groupe, nous sommes tombés d'accord à l'unanimité sur une série de propositions qui ne sont pas banales, ni neutres ou vides ; on peut ne pas y souscrire, mais elles ne sont pas innocentes. Devant le Conseil ÉCOFIN, à la fin de la semaine dernière, j'ai insisté sur cette unanimité : à un moment où, presque dans tous les domaines, les institutions européennes et les États membres ont de graves difficultés pour dégager des accords, le sondage systématique en profondeur auquel nous nous sommes livrés peut créer l'espoir que, par l'approfondissement de certaines questions dans un esprit volontariste et dans le cadre d'une démarche politique, mais qui s'appuie sur des bases techniques solides, des compromis qui fassent avancer l'Europe pourront être trouvés.
À la création de notre groupe, au début de l'année 2014, l'émergence concomitante de plusieurs défis promis à devenir structurels ne s'était pas encore produite. Je veux parler de la question des réfugiés et des migrations et de celle du terrorisme et du renforcement nécessaire de la sécurité interne et externe. Le seul vent léger qui semblait souffler dans la direction d'un volontarisme budgétaire accru en Europe venait du débat sur la capacité budgétaire de la zone euro. Si ce vent a malheureusement perdu de son intensité, un autre a fortement gagné en puissance : celui qui pousse tous les États membres de l'Union européenne à se doter d'un « équipement » budgétaire approprié aux nouveaux défis.
Deux autres événements sont intervenus pendant nos travaux : le « Brexit » et l'élection du nouveau président des États-Unis.
Le premier aura nécessairement certaines conséquences budgétaires : il entraînera une perte nette de ressources pour le budget de l'Union européenne, mais aussi la disparition du rabais britannique, un système absurde et illisible pour les citoyens et, je l'espère, des effets que celui-ci a produits sur l'attitude d'autres États membres en ce qui concerne leur contribution à la compensation britannique.
Quant à l'élection du président américain, elle rend hautement probable que l'Europe doive, dans les années à venir, se responsabiliser davantage pour ce qui est de sa sécurité interne et externe. Songeons que nous sommes entourés par une Russie qui ne se distingue pas par sa timidité et une Turquie qui ne fait pas non plus profil bas, à l'heure où, à l'ouest, où nous pensions avoir toujours des alliés et des amis de la construction européenne, les attitudes vont changer, conduisant notamment à une certaine remise en question de l'Organisation du Traité de l'Atlantique nord (OTAN). Dans ce contexte, voulons-nous, oui ou non, prendre l'Union européenne au sérieux ?
Si toute politique actuelle, avec ses implications budgétaires, a sa légitimité historique, le fait est qu'une grande partie des politiques menées par l'Union européenne sont redistributives. Or le devoir primordial que chacun de nos États a accompli au cours de son histoire, celui de garantir l'ordre et la sécurité, ne peut plus, désormais, être rempli par les États membres individuellement. Conscients de cette réalité, ceux-ci, pour la première fois depuis des décennies, se tournent vers Bruxelles et en appellent à l'Europe.
Selon nous, la logique voudrait que, si les États membres reconnaissent eux-mêmes à l'Union européenne de nouvelles fonctions propres, ils la dotent symétriquement de nouvelles ressources propres.
Cette tendance correspond à un recentrage de l'activité de l'Union européenne sur ce qu'on appellerait, dans le monde des affaires, son core business. Celui-ci va devenir extrêmement difficile à mener, mais, sur notre continent, seule l'Union européenne peut le faire.
Nous proposons de porter un autre regard sur le budget et le processus budgétaire européens. Il s'agit d'écarter progressivement l'analyse en termes de contributeurs nets et bénéficiaires nets, qui fragilise l'Union européenne. De fait, les négociations budgétaires actuelles donnent à nos concitoyens l'impression d'un jeu à somme nulle : si tel État gagne dix centimètres au tir à la corde, tel autre perd dix centimètres. C'est exactement l'image que l'Union européenne ne devrait plus donner.
C'est pourquoi nous proposons de recentrer tout le discours budgétaire sur la valeur ajoutée européenne et les biens publics européens.
Nos propositions sont précises, mais aussi modestes. Je ne connais personne qui puisse honnêtement soutenir qu'il a une idée du pourcentage du produit intérieur brut (PIB) européen que le budget de l'Union européenne devra représenter dans cinq, sept ou dix ans. Le principe du 1 % n'a aucune raison d'être écarté au profit d'un autre, mais c'est un article de foi, susceptible d'être démenti un jour par de nouvelles réalités.
Pour ce qui est de la procédure budgétaire, elle nous a paru fonctionner mal et être mal structurée. L'articulation entre le budget de l'Union européenne et les budgets nationaux doit être améliorée. Il faut aussi réfléchir à la forte diminution de la part des ressources propres dans le budget de l'Union européenne.
Les potentielles ressources propres nouvelles que nous avons imaginées sont de deux ordres. Les unes ont trait au marché intérieur : l'impôt sur les sociétés, ou une partie de celui-ci, pourrait être mis à la disposition de l'Union européenne, surtout si nous parvenons à faire progresser l'harmonisation de ce marché, ce à quoi s'emploie le commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, Pierre Moscovici, qui fut membre de notre groupe, et à rendre plus difficile l'évasion fiscale des multinationales, ce à quoi Alain Lamassoure a travaillé au Parlement européen dans le cadre de sa commission spéciale « TAXE » sur les rescrits fiscaux. Les autres se rapportent au transport, au climat et à l'énergie, un domaine dans lequel de nouvelles formes d'imposition au bénéfice de l'Union européenne peuvent être imaginées.
Je souligne que nos propositions ne conduisent pas à augmenter le montant du budget de l'Union européenne, ni à alourdir la pression fiscale globale sur les contribuables européens.
Peut-être vous aurai-je donné l'impression de ne pas entrer suffisamment dans le détail de nos propositions. J'ai préféré vous en exposer l'orientation politique, car je crois que si notre travail porte ses fruits, ce sera surtout parce que nous aurons essayé de présenter des scénarios que les ministres des finances et les chefs d'État et de Gouvernement auront plus de difficultés à écarter au profit du statu quo, vis-à-vis du Parlement européen et des opinions publiques.
Notre réflexion s'est inscrite dans le cadre des traités actuels, et nous ne proposons aucun transfert de souveraineté fiscale. Les parlements nationaux sont et resteront le souverain fiscal.
La comparaison avec certains de nos impôts locaux est éloquente : par exemple, notre taxe d'habitation est instaurée par le Parlement, mais les conseils municipaux ont la possibilité d'en fixer le taux dans les limites d'une certaine fourchette.
Qu'il s'agisse de créer une nouvelle ressource fiscale allouée en totalité ou en partie au budget européen ou d'affecter à celui-ci une part d'une recette fiscale existante, la décision appartiendra aux parlements nationaux. Au demeurant, le traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité de créer de nouvelles ressources propres alimentant le budget européen, subordonne cette création à une procédure qui, en réalité, ressemble à une révision du traité sans le nom, puisqu'elle requiert l'unanimité des ministres des finances et une ratification par les parlements nationaux. Ne soyez donc pas inquiets. Au fond, l'Union européenne est un peu dans la situation d'une collectivité territoriale, il est vrai un peu particulière.
Il y a encore trois ans, certains États membres contestaient fortement qu'il y ait vraiment besoin d'un budget au niveau européen. Plus personne ne peut aujourd'hui le contester.
Lorsqu'on s'est aperçu qu'il fallait des moyens pour faire face à toute la dimension du problème migratoire et à tous les aspects de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais qu'aucune marge de manoeuvre n'existait dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, les gouvernements ont décidé de créer des fonds ad hoc. Plusieurs de ces fonds satellites ont été institués rien que pour le problème syrien : l'un pour les Syriens déplacés dans leur pays, l'autre pour les Syriens réfugiés en Turquie. Un autre a été créé pour aider les pays africains à garder chez eux les jeunes tentés de migrer en Europe. Un autre encore est destiné à financer la part européenne de l'aide à l'Afrique décidée dans le cadre de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21).
Dans notre rapport figure un schéma, élaboré par votre ancien collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des budgets du Parlement européen, qui montre la constellation de fonds et budgets annexes qui existent aujourd'hui. Ce schéma est plus convaincant que tous mes discours...
Financés par des contributions des États en proportion du revenu national brut, ces fonds présentent le défaut fondamental de ne faire l'objet d'aucun contrôle parlementaire. Le Parlement européen n'a pas son mot à dire, puisqu'ils sont extérieurs au budget de l'Union. Bien entendu, les parlements nationaux pourraient avoir leur mot à dire, mais, dans la plupart des pays, le ministre explique qu'il s'agit de respecter un accord et que les parlementaires doivent voter les montants proposés, ce qu'ils font. Or par qui ces fonds sont-ils gérés ? Par des bureaucraties nouvelles, de sorte que, au nom de la lutte contre la bureaucratie de l'Union européenne, on multiplie des bureaucraties que personne ne contrôle !
Si nous parlons à nos électeurs en employant dans la même phrase le mot « Europe » et le mot « impôt », nous pouvons être sûrs du résultat, surtout par les temps qui courent... En revanche, puisque tout le monde reconnaît qu'il faut faire face à certains défis au niveau européen, et donc prévoir les financements nécessaires, le débat doit porter d'abord sur ce qu'on attend de l'Europe, sur les responsabilités et les tâches qu'on lui assigne, dans le cadre, là aussi, des traités actuels. En d'autres termes, on ne peut pas traiter le volet ressources sans traiter le volet dépenses.
Il y a sur ce sujet une réflexion de fond à engager, dans la mesure où, aujourd'hui, les deux tiers du budget de l'Union européenne servent à financer des politiques que je qualifierais de traditionnelles : la politique agricole commune et la politique régionale. Ces politiques sont-elles vraiment fondamentales pour la préparation de l'avenir de l'Europe ?
J'ajoute que, à l'initiative des gouvernements, des agences européennes sont régulièrement créées ; il y a maintenant une bonne trentaine de ces petites bureaucraties - j'ai renoncé à en faire le décompte exact. Lorsque nous avons créé un service nouveau au sein de la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, et que nous lui avons affecté 3 000 diplomates et autres fonctionnaires, le ministre français des affaires étrangères a aussitôt réuni ses syndicats pour leur garantir qu'il n'y aurait aucune réduction d'emplois dans l'administration nationale. Fera-t-on de même pour le corps de garde-côtes et de garde-frontières européens que nos gouvernements, à l'unanimité, ont décidé de créer ? Sur le plan du millefeuille administratif, bonjour les dégâts !
À la vérité, il y a deux conceptions possibles. Soit on considère les agences et services européens comme un niveau d'administration supplémentaire, ce qui conduit à ajouter des dépenses, des fonctionnaires et des impôts, et donc à nourrir les critiques contre l'Europe bureaucratique, soit l'on raisonne d'une manière différente, à laquelle personne n'a encore réfléchi : il s'agit de s'assurer, à chaque transfert d'une compétence ou d'une politique vers l'Union européenne - je pense en particulier aux politiques d'asile et d'immigration, mais aussi à la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme -, que les moyens correspondants, c'est-à-dire les crédits et le personnel, ainsi que les ressources fiscales, lui sont également transférés. Or la Commission européenne s'est toujours refusée à faire cet exercice, qui consiste à ouvrir enfin la dimension budgétaire du principe de subsidiarité.
Remarquez que cette logique est la même que celle à l'oeuvre dans la décentralisation : lorsque l'État transfère des compétences aux régions, par exemple, il faut s'assurer que les emplois qui disparaissent au niveau national sont au moins aussi nombreux que ceux créés au niveau régional. Il faut veiller au respect de la même règle en cas de transfert des États membres vers l'Union européenne, pour garantir aux citoyens que, suivant l'esprit du principe de subsidiarité, un euro au moins est économisé au niveau national pour un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles. Dans certains domaines, si l'on donnait la pleine compétence, avec les moyens correspondants, à l'Union européenne, un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles se traduirait par une économie de vingt-huit euros.
Il est fondamental de mettre en place un tel mécanisme, en faisant jouer le réseau des cours des comptes nationales, la Cour des comptes européenne ou les commissions des finances nationales - nous n'avons fait qu'évoquer ce chantier, qui n'entrait pas dans notre mandat. Cette réflexion est indispensable au moment où nous allons être amenés, par exemple, à transformer l'Office européen de police (Europol) en une sorte de Federal Bureau of Investigation (FBI) européen. Il s'agit, en somme, de mutualiser les moyens nationaux pour augmenter la rentabilité budgétaire et l'efficacité technique.
Vos éclairages sont tout à fait intéressants, même s'ils sont aussi parfois un peu inquiétants. Je souhaite vous interroger sur les ressources, en particulier sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l'impôt sur les sociétés.
Vous proposez une nouvelle ressource propre reposant sur une base harmonisée de TVA. L'idée est séduisante, mais est-elle compatible, ou coordonnée, avec le plan d'action sur la TVA que la Commission européenne avance par ailleurs ? Nous sommes un peu dubitatifs sur le projet de celle-ci de rendre aux États membres la liberté de déterminer les taux réduits.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, la proposition de directive sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), retient un seuil d'application de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ne vous paraît-il pas trop élevé pour apporter à l'Union européenne des ressources propres suffisantes ?
Enfin, la taxe sur les transactions financières, qui peut être un facteur négatif pour la compétitivité de la place de Paris, vous semble-t-elle une ressource crédible, compte tenu des réticences de nombre d'États membres, notamment dans le contexte de concurrence consécutif au Brexit ?
En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits du budget de l'État reversés à l'Union européenne, je n'ai pas manqué d'insister chaque année sur la nécessaire évolution du système de financement. Il est tout à fait heureux qu'ait été élaboré un corps de propositions et d'alternatives possibles, sur lesquelles il faudra travailler dans les mois qui viennent pour aboutir à un dispositif rénové et porteur d'avenir.
Tirer le meilleur parti des moyens disponibles, mettre en rapport les dépenses et les recettes et dégager des synergies sont autant d'objectifs qui ne peuvent que rencontrer l'adhésion. Du reste, lors de la conférence interparlementaire qui s'est tenue à Bruxelles hier sur ces sujets, j'ai constaté une certaine unanimité de principe et un souhait partagé d'aboutir. La situation est donc encourageante.
Améliorer le système de dépenses tout en maintenant la recette à un niveau constant et en réalisant des économies dans les États est vertueux, mais implique sans doute une réorientation de la dépense. Monsieur Lamassoure, cette réorientation ne suppose-t-elle pas une diminution des crédits au profit de l'agriculture et des fonds structurels et d'investissement en faveur de la cohésion et de la solidarité ?
Actuellement, les politiques européennes tendent à bénéficier plutôt au secteur rural qu'au secteur urbain. Or le géographe Christophe Guilluy, dans La France périphérique, a démontré que les dynamiques de développement s'organisent aujourd'hui autour des métropoles et des grands centres urbains. Il faut donc préserver les leviers permettant de développer les secteurs plus excentrés. Cette dimension de la question a-t-elle été prise en considération par le groupe de haut niveau ?
Par ailleurs, dans le nouveau panier de recettes qui pourrait être institué, peut-être à compter de 2020, certaines ressources propres pourraient-elles être mises en oeuvre plus rapidement que d'autres ?
Monsieur Monti, vous avez été commissaire européen à la concurrence et vous êtes, en quelque sorte, le symbole du droit européen de la concurrence et de sa doctrine. Or, dans la mondialisation, ce droit et cette doctrine ont entravé la création de grands ensembles européens. Dans le domaine du numérique, par exemple, nous n'avons pas suffisamment la possibilité de créer de grandes entreprises à la mesure des géants du web (Gafa). Je ne suis pas sûr qu'on eût pu créer Airbus si vous aviez été commissaire européen à l'époque... Monsieur Monti, ce droit de la concurrence peut-il évoluer ?
J'adhère au pragmatisme qui vous a conduit à travailler à traités constants, en essayant de tirer le meilleur parti du cadre actuel.
Dans la synthèse de votre rapport, les droits de douane sont qualifiés de « modèle de véritables recettes de l'Union », « dont le processus de collecte est satisfaisant ». J'approuve totalement, mais quelle est la réalité de ces dernières années ? Les traités de libre-échange bilatéraux se sont multipliés.
Chaque fois qu'un traité a été conclu, mais aussi dans le cadre des négociations sur le traité de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne (TAFTA), j'ai demandé à la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, quel serait l'impact sur les ressources propres de l'Union européenne. Les données à ce sujet ne nous sont jamais communiquées !
L'Europe est la première puissance commerciale au monde et le premier marché en termes de volume et de niveau de vie. Or nous donnons accès de plus en plus largement à ce marché en faisant tomber les droits de douane, ce qui conduit à une renationalisation du financement du budget européen. C'est ainsi que les perspectives financières pour 2014-2020 sont issues d'arrangements entre dirigeants européens, dans lesquels le président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, a joué un rôle particulier. On a promis la fongibilité de tous les budgets, pour que chacun ait sa part. Toute cette logique est extrêmement grave !
Je veux bien que le libre-échange soit le principe fondamental de l'Union européenne, mais dans son cadre intérieur. À force d'abaisser les droits de douane, on finit par détruire complètement la ressource et la force que notre marché devrait naturellement nous apporter.
Sans tomber dans le protectionnisme, pourquoi baissons-nous à ce point la garde, alors que 3 000 personnes travaillent sur les traités de libre échange, d'après Matthias Fekl... Nous sommes bons pour négocier ces traités de libre-échange, mais beaucoup moins pour suivre leur application.
Je retrouve, dans les propos de François Marc, des échos de ce que disait Tony Blair : le budget européen finance l'agriculture et des politiques territoriales avec une efficacité douteuse ; si une petite partie était consacrée à la recherche, nous aurions un budget d'avenir. Cela m'avait paru plein de bon sens. Je le dis sans doute d'autant plus facilement que je n'ai pas d'agriculteurs dans ma circonscription...
Si on faisait la somme de vingt ans de politique agricole commune (PAC)... on atteindrait un niveau qui nous ferait peur. Est-il possible de faire quelque chose d'ici le prochain cadre pluriannuel, qui commence dans trois ans ? Ou bien devrons-nous encore attendre quatorze ou quinze ans ?
Le budget européen a peu de liens avec les budgets nationaux. Même si des liens devaient être tissés grâce à un éventuel budget de la zone euro, ils pourraient être divergents.
Vous recommandez « une ressource propre basée sur la TVA, sous une forme réformée remplaçant le système existant » et « une ressource propre basée sur l'impôt sur les sociétés ».
Notre commission des finances a travaillé sur l'e-commerce qui échappe à la TVA. Nous sommes allés à Rome, où les douanes italiennes nous ont fait remarquer que de plus en plus de biens entraient sur le territoire sans payer de taxe, en passant par certains pays peu attentifs, tout cela au détriment du pays du consommateur final, pour qui c'est un manque à gagner considérable. Nous avions travaillé sur l'hypothèse d'une TVA à la source versée automatiquement dès l'achat sur internet à l'État de l'acheteur. Une TVA plus efficace constituerait une ressource nouvelle pour les États, mais aussi pour l'Europe.
Merci de l'intérêt de vos commissions pour notre travail, dont témoignent vos excellentes questions. Concernant le calendrier, je ne sais trop que vous dire, car il n'y a pour l'instant aucune proposition sur la table des institutions européennes. Nous étions mandatés pour éclairer trois institutions européennes sur le budget. Mais seule la Commission, ayant le monopole de l'initiative, aura la possibilité d'examiner notre rapport en profondeur et de s'en inspirer éventuellement dans sa proposition de perspectives financières, qu'elle rédigera avant la fin de cette année ou du début de l'année prochaine.
Une négociation compliquée et longue commencera alors. Les politiques nationales sont de plus en plus définies à court terme. L'Union européenne a son budget annuel, mais elle a aussi la grande ambition d'établir une prévision à sept ans - cette durée, peut-être un peu longue, pourrait être réduite à cinq ans. Il n'y a donc rien d'imminent : la procédure est aussi lourde que pour une révision des traités.
Certains d'entre vous voient positivement la réorientation de la dépense vers d'autres domaines que l'agriculture, tandis que d'autres s'inquiètent pour la ruralité... Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec Alain Lamassoure sur ce sujet. Il y a plusieurs façons d'être solidaire avec les zones rurales. Ce que certains remettent en question, c'est que tout passe nécessairement par le budget communautaire. Faire autrement ne diminuerait en rien le caractère solidaire de l'Union.
Je serais porteur d'une image particulière de la concurrence, d'après Yves Pozzo di Borgo... Rassurez-vous, ce n'est qu'en France que j'ai cette image !
Peut-être la France a-t-elle aussi une image un peu particulière de la concurrence...
Il ne faut pas croire qu'une politique de la concurrence un peu musclée soit toujours au détriment de l'industrie européenne. Lorsque le gouvernement américain a accepté, face à Airbus, la fusion de General Electric et de Honeywell, la Commission l'a interdit...
L'actuelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, porte, elle aussi, une image particulière de la concurrence aux États-Unis, grâce à son action courageuse contre les Gafa.
La ressource TVA est la survivance d'une ressource qui a rapporté beaucoup d'argent il y a une vingtaine d'années, et que les administrations nationales ont volée, à l'insu de tout le monde. Notre proposition est de réinventer une nouvelle ressource TVA. Puisque l'assiette en est harmonisée depuis trente ans, nous pourrions ajouter un point, un point et demi, deux points au taux du pays, tout en diminuant d'autant la contribution directe du pays. Il faut en effet tenir compte du fait que tous les pays n'ont pas la même liste des produits à taux réduit. Nous pensons à moyen terme, donc sans les Britanniques.
Concernant l'e-commerce, les carrousels de TVA et la fraude, nous cherchons à mettre en place une auto-liquidation par le fournisseur selon le taux du pays d'arrivée et non du pays de production. Je ne sais pas s'il existe un accord définitif au Conseil, mais on s'orienterait vers une expérimentation, que les Tchèques seraient intéressés de mener. Récupérer ne serait-ce qu'un tiers des pertes serait déjà un gain considérable.
J'ai été nommé rapporteur sur le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) au Parlement européen. J'entrerai en contact avec vous. Pourquoi proposer un supplément européen à l'impôt sur les sociétés ? Nous nous plaçons dans l'hypothèse optimiste selon laquelle un accord serait trouvé sur l'assiette commune de l'impôt sur les sociétés. Nous proposons donc un taux européen au sein d'une fourchette laissée à la décision conjointe prise à la majorité qualifiée au Conseil des ministres des finances et à la majorité au Parlement européen.
Ma première réaction concernant le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires a été celle d'un paysan béarnais : si l'harmonisation de la notion de chiffre d'affaires consolidé est un progrès, alors pourquoi en priver les petites et moyennes entreprises (PME), même si la question de la consolidation ne se pose certes que pour les grandes entreprises ? Cela attristera sans doute les grands cabinets de conseil fiscaux, mais ni nos entreprises ni nos concitoyens.
La taxe sur les transactions financières ne nous semble pas être une perspective à court terme. À partir du moment où seuls dix pays - dont un de façon incertaine - sont volontaires, cela ne pourrait financer qu'une coopération renforcée. Nous nous sommes en effet intéressés au financement de ces dernières. Si une coopération renforcée se met en place pour la zone euro, cela pourrait être une source de financement - même si, avec le Brexit, il n'est pas urgent d'avancer dans cette voie...
Tous les ministères des finances et toutes les banques centrales de la zone euro ont frisé la crise cardiaque en lisant notre proposition d'affecter à la zone euro les droits de seigneuriage et les bénéfices de la banque centrale européenne. Nous avons voulu savoir combien cela rapportait... Il faut s'adresser à la National Security Agency (NSA) pour le savoir ! Cela serait de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, voire plus, même si c'est très variable selon les années... Voilà une mesure qui serait très populaire parmi nos concitoyens, même si elle se heurterait au lobby très puissant de nos ministères des finances et de nos banques centrales.
Comme l'a dit Mario Monti, c'est maintenant que les institutions commencent à réfléchir au prochain cadre financier pluriannuel. Nous, Français, devons nous interroger sur la PAC. Elle nous coûte horriblement cher et les agriculteurs sont dans la situation que nous connaissons, sans compter que cela rend l'Europe très impopulaire dans de nombreux pays. Nous devrions avoir, pour un coût moindre, une politique plus efficace.
La PAC est née de l'exigence de la France, au temps du Général de Gaulle, d'équilibrer un marché commun censé profiter surtout à l'industrie allemande. C'est la seule politique financée intégralement par le budget communautaire. On pourrait imaginer un cofinancement, avec une contribution plus importante pour les pays riches. On peut aider les régions périphériques à rattraper leur retard en matière de services publics fondamentaux, mais a-t-on besoin de Bruxelles pour aider les régions les plus pauvres en Allemagne ou soutenir la politique de la montagne en France ? Si nous voulons faire plus pour la recherche, l'espace, l'aéronautique, il faudra bien prendre l'argent quelque part.
Les droits de douane sont un impôt sans avenir
sauf si le protectionnisme triomphe !
Je ne crois pas que le protectionnisme prendra cette forme. Il ne faut pas en attendre qu'il rapporte beaucoup d'argent.
Airbus, notre fleuron, a pu décoller mais à l'époque, Mario Monti n'était pas commissaire à la concurrence... Airbus vend 80 % de ses avions hors d'Europe : le protectionnisme n'est vraiment pas la solution ! Nous devrions traduire Free trade non par libre-échange mais par commerce international. Avec la Corée du Sud, l'accord de libre-échange est un triomphe : depuis, la France a un commerce excédentaire avec ce pays.
Dans cinq ans je pourrai vous citer le cas du Canada, mais encore faut-il ratifier cet accord, et non le diaboliser !
Les impôts d'avenir au XXIe siècle sont les impôts indirects, pas les impôts directs ; dans un monde où tout circule librement, les talents trop imposés, les entreprises trop imposées s'en vont ! Nous concentrons donc les impôts directs sur les sédentaires comme les PME, les salariés sans qualification particulière...
Mon propos n'est pas de faire payer les riches, mais d'appliquer un taux infiniment petit sur des milliards d'opérations. Il faut donc en quelque sorte rétablir la gabelle et l'octroi ! J'avais par le passé proposé un impôt sur chaque clic - tous les internautes me sont alors tombés dessus... Dans notre rapport, nous proposons une taxe de 3 centimes sur le kilowattheure d'électricité consommée ; c'est faible mais cela peut rapporter beaucoup.
Et la téléphonie ? La politique de la concurrence en a baissé les coûts, mais l'Europe n'en a pas profité pour y trouver une ressource...
Il y a trente agences européennes - ce n'est rien en comparaison avec les 247 que nous avons dénombrées en France. Il y aurait des économies à faire, et cela permettrait de gagner en cohérence vis-à-vis de nos concitoyens.
Concernant la PAC, attention au contexte : aux États-Unis de 2008 à 2012, les aides à l'agriculture ont augmenté de 40 % et coûtent désormais 488 dollars par Américain ; dans le même temps, les aides européennes ont baissé de 17 % et ne représentent que 207 dollars par Européen. L'agriculture est devenue une activité stratégique, et l'alimentation, une arme. Mais vous avez raison : nous ne pouvons pas dépenser autant d'argent pour avoir des gens aussi malheureux, avec l'impression d'aller de crise en crise... Il faut la repenser. Un impôt européen ne sera jamais populaire ; mais il sera nécessaire puisque nous demandons toujours plus à l'Union européenne.
J'aurai, quant à moi, une réaction de paysanne auvergnate... Nous ne savons pas où il faut peser pour changer les choses. Pendant ce temps, un euroscepticisme puissant continue de monter. Il y a danger dans la maison Europe. Nous souhaiterions avoir des outils pragmatiques pour nous donner au moins l'impression d'avoir prise sur notre avenir.
Un comité de parlementaires nationaux membres des commissions des finances travaillant avec les eurodéputés a été évoqué... Le fossé se creuse dans le vocabulaire même entre les eurodéputés et nous, parlementaires nationaux, qui avons des attitudes différentes, entre les Grecs et les Portugais, très inquiets pour leur avenir, et les autres.
Le citoyen lambda ne s'intéresse pas à notre maison Europe. Les paysans protestent contre l'Europe, alors qu'ils en vivent essentiellement. Lorsque vous faites remarquer qu'un parti politique veut supprimer l'Europe, les gens s'offusquent. Il est temps que les vrais Européens s'unissent, s'ils veulent garder l'idéal de paix, de développement, qui a permis l'accueil des pays sortant de la dictature...
Le 25 mars, nous nous retrouverons à Rome pour l'anniversaire du traité instituant la Communauté économique européenne. Je suis mille fois d'accord pour travailler en commun entre eurodéputés et parlementaires nationaux, d'autant plus que vous aurez le dernier mot...
La conférence interparlementaire organisée en septembre 2016 a été très positive.
Mais ce sont des sphères qui ne rencontrent pas le quotidien de nos concitoyens.
La réunion est close à 17 h 10.