Notre réflexion s'est inscrite dans le cadre des traités actuels, et nous ne proposons aucun transfert de souveraineté fiscale. Les parlements nationaux sont et resteront le souverain fiscal.
La comparaison avec certains de nos impôts locaux est éloquente : par exemple, notre taxe d'habitation est instaurée par le Parlement, mais les conseils municipaux ont la possibilité d'en fixer le taux dans les limites d'une certaine fourchette.
Qu'il s'agisse de créer une nouvelle ressource fiscale allouée en totalité ou en partie au budget européen ou d'affecter à celui-ci une part d'une recette fiscale existante, la décision appartiendra aux parlements nationaux. Au demeurant, le traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité de créer de nouvelles ressources propres alimentant le budget européen, subordonne cette création à une procédure qui, en réalité, ressemble à une révision du traité sans le nom, puisqu'elle requiert l'unanimité des ministres des finances et une ratification par les parlements nationaux. Ne soyez donc pas inquiets. Au fond, l'Union européenne est un peu dans la situation d'une collectivité territoriale, il est vrai un peu particulière.
Il y a encore trois ans, certains États membres contestaient fortement qu'il y ait vraiment besoin d'un budget au niveau européen. Plus personne ne peut aujourd'hui le contester.
Lorsqu'on s'est aperçu qu'il fallait des moyens pour faire face à toute la dimension du problème migratoire et à tous les aspects de la lutte contre le terrorisme islamiste, mais qu'aucune marge de manoeuvre n'existait dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, les gouvernements ont décidé de créer des fonds ad hoc. Plusieurs de ces fonds satellites ont été institués rien que pour le problème syrien : l'un pour les Syriens déplacés dans leur pays, l'autre pour les Syriens réfugiés en Turquie. Un autre a été créé pour aider les pays africains à garder chez eux les jeunes tentés de migrer en Europe. Un autre encore est destiné à financer la part européenne de l'aide à l'Afrique décidée dans le cadre de la Conférence de Paris sur le climat (COP 21).
Dans notre rapport figure un schéma, élaboré par votre ancien collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des budgets du Parlement européen, qui montre la constellation de fonds et budgets annexes qui existent aujourd'hui. Ce schéma est plus convaincant que tous mes discours...
Financés par des contributions des États en proportion du revenu national brut, ces fonds présentent le défaut fondamental de ne faire l'objet d'aucun contrôle parlementaire. Le Parlement européen n'a pas son mot à dire, puisqu'ils sont extérieurs au budget de l'Union. Bien entendu, les parlements nationaux pourraient avoir leur mot à dire, mais, dans la plupart des pays, le ministre explique qu'il s'agit de respecter un accord et que les parlementaires doivent voter les montants proposés, ce qu'ils font. Or par qui ces fonds sont-ils gérés ? Par des bureaucraties nouvelles, de sorte que, au nom de la lutte contre la bureaucratie de l'Union européenne, on multiplie des bureaucraties que personne ne contrôle !
Si nous parlons à nos électeurs en employant dans la même phrase le mot « Europe » et le mot « impôt », nous pouvons être sûrs du résultat, surtout par les temps qui courent... En revanche, puisque tout le monde reconnaît qu'il faut faire face à certains défis au niveau européen, et donc prévoir les financements nécessaires, le débat doit porter d'abord sur ce qu'on attend de l'Europe, sur les responsabilités et les tâches qu'on lui assigne, dans le cadre, là aussi, des traités actuels. En d'autres termes, on ne peut pas traiter le volet ressources sans traiter le volet dépenses.
Il y a sur ce sujet une réflexion de fond à engager, dans la mesure où, aujourd'hui, les deux tiers du budget de l'Union européenne servent à financer des politiques que je qualifierais de traditionnelles : la politique agricole commune et la politique régionale. Ces politiques sont-elles vraiment fondamentales pour la préparation de l'avenir de l'Europe ?
J'ajoute que, à l'initiative des gouvernements, des agences européennes sont régulièrement créées ; il y a maintenant une bonne trentaine de ces petites bureaucraties - j'ai renoncé à en faire le décompte exact. Lorsque nous avons créé un service nouveau au sein de la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, et que nous lui avons affecté 3 000 diplomates et autres fonctionnaires, le ministre français des affaires étrangères a aussitôt réuni ses syndicats pour leur garantir qu'il n'y aurait aucune réduction d'emplois dans l'administration nationale. Fera-t-on de même pour le corps de garde-côtes et de garde-frontières européens que nos gouvernements, à l'unanimité, ont décidé de créer ? Sur le plan du millefeuille administratif, bonjour les dégâts !
À la vérité, il y a deux conceptions possibles. Soit on considère les agences et services européens comme un niveau d'administration supplémentaire, ce qui conduit à ajouter des dépenses, des fonctionnaires et des impôts, et donc à nourrir les critiques contre l'Europe bureaucratique, soit l'on raisonne d'une manière différente, à laquelle personne n'a encore réfléchi : il s'agit de s'assurer, à chaque transfert d'une compétence ou d'une politique vers l'Union européenne - je pense en particulier aux politiques d'asile et d'immigration, mais aussi à la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme -, que les moyens correspondants, c'est-à-dire les crédits et le personnel, ainsi que les ressources fiscales, lui sont également transférés. Or la Commission européenne s'est toujours refusée à faire cet exercice, qui consiste à ouvrir enfin la dimension budgétaire du principe de subsidiarité.
Remarquez que cette logique est la même que celle à l'oeuvre dans la décentralisation : lorsque l'État transfère des compétences aux régions, par exemple, il faut s'assurer que les emplois qui disparaissent au niveau national sont au moins aussi nombreux que ceux créés au niveau régional. Il faut veiller au respect de la même règle en cas de transfert des États membres vers l'Union européenne, pour garantir aux citoyens que, suivant l'esprit du principe de subsidiarité, un euro au moins est économisé au niveau national pour un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles. Dans certains domaines, si l'on donnait la pleine compétence, avec les moyens correspondants, à l'Union européenne, un euro supplémentaire dépensé à Bruxelles se traduirait par une économie de vingt-huit euros.
Il est fondamental de mettre en place un tel mécanisme, en faisant jouer le réseau des cours des comptes nationales, la Cour des comptes européenne ou les commissions des finances nationales - nous n'avons fait qu'évoquer ce chantier, qui n'entrait pas dans notre mandat. Cette réflexion est indispensable au moment où nous allons être amenés, par exemple, à transformer l'Office européen de police (Europol) en une sorte de Federal Bureau of Investigation (FBI) européen. Il s'agit, en somme, de mutualiser les moyens nationaux pour augmenter la rentabilité budgétaire et l'efficacité technique.