Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 décembre 2014 à 17h05
Politique de coopération — Rapport d'information de m. andré gattolin sur son déplacement au groenland

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Le rapport que j'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui s'inscrit dans la continuité des travaux que je mène depuis plus d'un an sur l'Arctique et les enjeux européens qui s'y attachent. Ils s'inscrivent également dans une réflexion plus large menée par notre commission, qui s'interroge sur l'intensification de la politique nordique de l'Union européenne - sujet d'importance, mais dont on parle moins que de sa politique orientale ou méditerranéenne -, ainsi que sur la multiplication des volontés nationales de dévolution au sein de l'Union européenne, comme l'a illustré le travail de notre collègue Garriaud-Maylam sur l'Écosse. Le fait est que le Groenland entretient une relation particulière avec l'Union européenne en même temps que s'affirme sa volonté d'indépendance à l'égard du Danemark.

Ces travaux ont fait l'objet d'un premier rapport d'information, dont notre président vient de vous livrer la synthèse. Je rappelle que la France doit élaborer, pour le mois de mars prochain, sa feuille de route pour l'Arctique, qui sera aussi l'un des enjeux du COP-21 qui se tiendra à Paris en décembre de l'année prochaine.

Le Groenland occupe, dans l'Arctique, une place singulière, qui mérite que l'on s'y arrête. Il est à la fois la plus grande île de l'hémisphère nord - et la deuxième de la planète en superficie, après l'Australie - et le pays dont la population est la plus faible - il ne comptait que 56 282 habitants au 1er janvier dernier, pour une superficie qui représente quatre fois celle de la France. J'ajoute que la quasi-totalité des enjeux de la région s'y concentrent. Ancienne colonie danoise ayant gagné progressivement son autonomie, il se trouve désormais sur la difficile route vers l'indépendance. Il est donc à la recherche de nouvelles sources de revenus pour assurer son avenir et fait l'objet de très nombreuses attentions, sans être toujours en mesure de maîtriser ces évolutions et les transformations, parfois brutales pour la population, qui s'y attachent.

De surcroît, le Groenland entretient des relations riches, mais complexes, avec l'Union européenne. Il est d'abord entré au sein des Communautés européennes avec le Danemark en 1973, alors que les Groenlandais eux-mêmes s'y étaient déclarés hostiles, à 73 %, lors du référendum. Après avoir obtenu en 1979 une première inflexion vers plus d'autonomie de son statut au sein du Royaume du Danemark, le Home Rule, le Groenland a choisi de quitter les Communautés européennes. La décision a été prise par référendum le 23 février 1982 avec une majorité, plus courte qu'en 1973, de 53 % et est entrée concrètement en application le 1er février 1985. Depuis cette date, le Groenland, tout en restant institutionnellement lié au Danemark, ne fait plus partie de l'Union européenne. Jusqu'au changement de statut de l'île de Saint-Barthélemy, il a ainsi été le seul territoire à se détacher du processus de construction européenne après y avoir adhéré, il est vrai malgré lui.

Le Groenland demeure cependant largement associé à l'Union européenne. Bénéficiant du statut des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), il lui est également lié par un accord de coopération, signé en 2007 et renouvelé il y a quelques semaines, ainsi que par un accord de partenariat dans le secteur de la pêche. Il dispose enfin, depuis 1992, d'une représentation permanente à Bruxelles, où je m'étais rendu pour la préparation de mon précédent rapport.

Autant d'éléments qui ont motivé l'organisation de cette mission, qui m'a amené, mi-septembre, sur place et à Copenhague, où j'ai rencontré la Première du Groenland.

Hasard du calendrier, des élections législatives anticipées ont été convoquées à l'issue d'une crise gouvernementale qui s'est déroulée quelques jours seulement après mon voyage. La Première, Mme Aleqa Hammond, a été contrainte à démissionner suite à des suspicions de mauvaise gestion des deniers publics. Il faut savoir que dans les pays nordiques, tout débordement, fût-il minime, est sévèrement sanctionné. L'événement est venu réveiller des critiques récurrentes de népotisme adressées à la classe politique par une partie de l'opinion groenlandaise.

Les élections anticipées du 28 novembre dernier ont été remportées d'extrême justesse par Siumut, parti de l'ancienne Première, longtemps donné battu, mais qui l'a emporté de quelque 326 voix. Ce parti, traditionnellement présenté dans la presse comme social-démocrate, mais en réalité extrêmement libéral, a occupé sans discontinuer la tête du pays depuis 1979, à l'exception des années 2009 à 2013. L'autre grand parti de gouvernement, Inuit Ataqatigiit, arrivé deuxième, se situe plus à gauche sur l'échiquier politique. La presse le range même à l'extrême gauche, mais il faut se méfier, encore une fois, de ces étiquettes médiatiques, car ce parti réunit plutôt des sociaux-libéraux. Les scores qu'atteignent ces deux partis, autour de 33 %, ne leur donnent pas de majorité pour gouverner, dans une assemblée territoriale qui ne compte pas plus de 31 députés. Siumut bénéficie d'une légère avance, mais il ne lui sera pas simple de configurer une coalition, d'autant que ces élections ont vu émerger deux nouvelles forces politiques sur lesquelles il faudra compter, et dont les orientations paraissent très différentes : le nouveau parti Naleraq, fondé en janvier dernier par un ancien chef du gouvernement et ancien membre du parti Siumut, Hans Enoksen, d'inclinaison nationaliste, arrivé quatrième, avec 11 % des voix, et le parti Demokratiit, fondé en 2003 et arrivé en troisième position, parti, à l'inverse, sceptique quant au projet indépendantiste - en tout cas quant à son rythme. Ce dernier parti se montre beaucoup plus pragmatique s'agissant de la relation au Danemark mais aussi à l'Europe et plusieurs de ses responsables ont même évoqué la possibilité de réintégrer, à terme, l'Union européenne après l'indépendance.

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