Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er juillet 2015 à 16h32
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état aux affaires européennes sur les conclusions du conseil européen des 25 et 26 juin

Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes :

L'ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin a été extrêmement chargé - politique de sécurité et de défense, rapport sur l'avenir de l'UEM, adoption du règlement sur le FEIS, stratégie numérique - certains points étant dictés par l'actualité, comme l'immigration et la Grèce. Ce sont ces deux sujets qui ont le plus mobilisé la réunion des chefs d'État et de gouvernement.

La situation de la Grèce évolue d'heure en heure. L'Eurogroupe doit se réunir en fin de journée sous forme d'une conférence téléphonique. C'est Michel Sapin qui représentera la France.

Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, s'exprime en ce moment même en Grèce ; nous aurons donc des informations durant le cours de cette réunion de commission.

À l'occasion du rapport sur l'UEM, le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a rendu compte des travaux de ce dernier et de la préparation de la réunion convoquée pour le samedi. De nombreuses rencontres ont eu lieu en marge du Conseil européen, en particulier le vendredi matin, entre le Président de la République, la Chancelière allemande et le Premier ministre Alexis Tsipras.

Dans la soirée qui a suivi la fin du Conseil européen, le vendredi, le Premier ministre grec a annoncé qu'il mettait fin aux négociations et qu'il convoquait un référendum. Nous avons regretté cette rupture unilatérale des négociations ; nous avons estimé qu'il fallait que la discussion se poursuive et que les négociations reprennent, d'autant qu'une réunion de l'Eurogroupe devait avoir lieu pour permettre d'aboutir à un accord répondant aux attentes du gouvernement grec en matière d'excédent budgétaire et de fiscalité, dans le respect des engagements des créanciers institutionnels et des partenaires de la zone euro.

De toute évidence, des réformes doivent être menées en Grèce pour moderniser l'administration publique, permettre la perception de l'impôt, en particulier de la TVA, et le redémarrage de l'économie. Le président de la Commission européenne a tenu une conférence de presse lundi pour rendre public le détail des propositions et leur globalité, avec un « paquet » de mesures de soutien aux investissements de 35 milliards d'euros d'ici à 2020. Nous pensons que la réponse à la crise grecque ne tient pas simplement à une meilleure administration, même si elle est indispensable, ni à un meilleur équilibre budgétaire, qui est bien entendu nécessaire, mais réside également dans le soutien à la croissance et l'aide à la reprise de l'activité économique.

Le PIB a décru de 25 %, accroissant la dette en proportion ; beaucoup de secteurs importants, comme le tourisme, n'ont pas redémarré ainsi qu'on pouvait l'espérer.

La discussion aurait pu porter sur le poids et la soutenabilité de la dette, ce qui constitue une demande importante du gouvernement grec mais, mardi, la Grèce n'a pas été en mesure de faire face à ses échéances de remboursement. Le ministre des finances grec a annoncé que le gouvernement ne rembourserait pas le FMI. La Grèce s'est retrouvée en défaut de paiement, ce qui, dans l'immédiat, n'a pas modifié la situation.

Dès le lundi, par anticipation, le gouvernement grec a décidé de fermer les banques et d'exercer un contrôle des capitaux.

Le Président de la République française, le Premier ministre et le ministre des finances ont indiqué que la France était disponible pour recommencer les discussions. Jean-Claude Juncker, dès le lundi soir, a contacté le Premier ministre grec pour lui proposer de reprendre les discussions, sur la base des propositions qu'il avait rendu publiques le jour même, qui étaient initialement destinées à la réunion de l'Eurogroupe du samedi.

Une réunion de l'Eurogroupe a eu lieu hier sous forme téléphonique ; une autre devrait normalement se tenir à nouveau en fin de journée. On m'informe à l'instant que, dans sa déclaration publique, le Premier ministre grec aurait refusé une nouvelle négociation. Il faudra prendre connaissance de la totalité de ces déclarations, mais nous pensons qu'il aurait été préférable de conclure la négociation.

Nous respectons le choix du gouvernement et du Parlement grecs de convoquer un référendum. C'est une décision souveraine, qui relève de la vie démocratique d'un État membre. Nous n'avons pas à interférer, mais il faut que l'expression des citoyens se fasse de façon éclairée, et qu'ils aient conscience du fait que c'est la suite de la participation de la Grèce à la zone euro qui est en jeu, - même si ce n'est pas la question formulée.

L'objectif, de notre point de vue, est de faire en sorte que les décisions politiques qui sont prises permettent à la Grèce de rester dans la zone euro. C'est le choix des citoyens grecs : ils ont, lors des différents scrutins, ces dernières années, toujours exprimé leur volonté de rester dans la zone euro, même s'ils ont fait dernièrement le choix d'un changement politique, aspiration que l'Europe doit prendre en compte.

Si la Grèce choisit de rester dans la zone euro, un accord avec les autres partenaires doit être recherché. Nous pensons que si les Grecs, au terme du référendum, refusaient de poursuivre cette négociation, ou la rendait plus compliquée, le pays risquerait de sortir de la zone euro. Cela aurait des conséquences extrêmement négatives pour l'économie grecque et pour les citoyens.

La zone euro elle-même a adopté ces dernières années des mécanismes et des outils qui la protègent d'un risque de propagation de la crise financière grecque aux autres pays de la zone euro. Même s'il y a eu des mouvements sur les marchés, qui n'aiment pourtant pas l'incertitude, il n'y a pas eu d'extension de la crise grecque aux autres pays de la zone euro.

Plusieurs outils existent, sur lesquels vous avez-vous-mêmes eu à prendre des décisions importantes en la matière. Il y a aujourd'hui moins d'exposition des banques ; l'essentiel de la dette est certes détenue par des institutions publiques, mais l'Union bancaire offre des protections dans ce domaine. Des mécanismes de politique monétaire permettent à la Banque centrale d'intervenir en cas de spéculation sur les titres souverains, comme l'OMT, ou le quantitative easing. Il existe également des dispositifs comme le Mécanisme européen de stabilité, qui sécurise l'économie de la zone euro.

En France même, il n'y a pas eu d'effet négatif sur les taux d'intérêt, qui sont restés très bas depuis le début de la semaine, comme dans tous les pays du coeur de la zone euro. Les choses ont été différentes pour d'autre pays, même si les mouvements n'ont pas été très importants. Pour la France, c'est le signe de la robustesse de notre économie et de la confiance dans le sérieux budgétaire des réformes qui sont menées.

Le problème est plus politique : la sortie de la Grèce de la zone euro constituerait un élément de manquement à l'unité européenne, dans un moment où tant de sujets, comme l'immigration, la sécurité, la Méditerranée exigent au contraire plus de cohésion. C'est pourquoi nous sommes pour le maintien de la Grèce dans la zone euro. C'est notre objectif, et nous y travaillons. La France fait donc tout ce qui peut être fait pour aider la Grèce à passer un accord avec ses partenaires. Cela dépendra du résultat du référendum qui a lieu dimanche.

L'un des résultats rendra les choses plus faciles ; l'autre rendra les choses plus difficiles, mais nous continuerons à travailler, quel que soit ce résultat, avec les autres pays de la zone euro pour trouver un accord avec la Grèce, qui est toujours membre de la zone euro. Il faut prendre garde aux expressions : même s'il existe des risques, la Grèce est membre de cette communauté et partage la monnaie commune. Certains pays de la zone euro sont confrontés à une crise. Il est difficile de trouver un accord, mais nous ne pouvons accepter l'idée de renoncer à maintenir l'unité et l'intégrité de la zone euro.

S'agissant des migrations, celles-ci ont été l'objet d'un débat très difficile, faisant suite à celui qui a eu lieu entre les pays « en première ligne », pour reprendre les conclusions du Conseil européen, singulièrement l'Italie, mais aussi la Grèce, et un certain nombre de pays à la frontière des Balkans - Hongrie, pays du groupe de Viegrad, pays baltes - qui ne veulent pas que chaque pays de l'Union européenne soit tenu d'accueillir une partie des réfugiés. Or, les pays du sud, qui sont d'accord pour procéder à l'enregistrement et à agir conformément aux règlements Eurodac et aux règles de Dublin, demandent que les pays d'accueil ne se limitent pas, en Europe, à la France, l'Allemagne, la Suède, la Grande-Bretagne et l'Italie.

La proposition de la Commission n'a pas recueilli l'assentiment, même si le mot de « quota » n'a pas été prononcé. Nous avons veillé que le Conseil européen arrête une position qui puisse rassembler le plus largement possible les États membres, à charge pour le Conseil « justice et affaires intérieures » (JAI), qui doit se réunir ces prochains jours, de définir la répartition des réfugiés.

Selon nous, seule une politique globale permet de répondre à cette crise migratoire. Pour ce faire, il faut :

- lutter contre les filières. L'opération « EU Navfor Med », même si elle dépend d'un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, doit pouvoir être mise en oeuvre, en complément des actions de l'agence Frontex de secours en mer destinées à démanteler des filières et lutter contre les réseaux de passeurs ;

- soutenir les pays d'origine et de transit, en particulier des pays comme le Niger, vers lesquels convergent beaucoup de trafics d'êtres humains, pour les aider à démanteler des filières et éviter que ne remonte vers la Libye, puis vers les côtes méditerranéennes, des migrants exploités par les passeurs ;

- participer aux opérations de retour pour les migrants ne relevant pas de l'asile au titre de la Convention de Genève et de la protection internationale, dans le cadre d'accords de réadmission qui doivent être complétés et négociés avec les pays d'origine et de transit ;

- procéder à l'accueil solidaire de 40 000 réfugiés dans les deux années à venir, afin que l'Italie et la Grèce ne soient pas les seuls pays à devoir les accueillir, et de 20 000 dans des camps aujourd'hui gérés par le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR).

C'est ce qui a été conclu, mais ce débat a sans doute été le plus difficile au sein du Conseil européen, et ce depuis très longtemps. C'est un sujet qui doit nous préoccuper. L'immigration est un sujet très difficile pour chaque État membre, mais il ne peut y avoir qu'une réponse commune de l'Europe - et votre assemblée a eu l'occasion de s'exprimer à de nombreuses reprises : le débat que nous avons eu en préparation au Conseil européen reflétait cette tonalité.

La politique commune d'immigration de l'Union européenne doit être en mesure de traiter l'ensemble des aspects : contrôle des frontières, accueil des réfugiés et secours aux personnes en danger, mais aussi lutte contre les filières clandestines, mise en oeuvre du retour et de la réadmission, coopération avec les pays tiers et les pays d'origine.

Une part de la réponse se trouve aussi en Afrique. Il y aura d'ailleurs un sommet, à La Valette, entre l'Union européenne et les pays d'Afrique. L'Afrique représente un potentiel économique très important. Des besoins d'équipements se font jour. Il n'y a pas de raison de laisser ce terrain aux Chinois ou aux Indiens ! On doit aider les États à se structurer, favoriser la coopération entre les États sur une base régionale et lutter contre l'instabilité et les trafics. C'est là un champ de coopération extrêmement vaste. Vingt-huit politiques nationales superposées en matière de migration, de coopération et de lutte contre les trafics en Méditerranée n'apporteront pas seules une réponse efficace.

Sur le plan économique, les échanges ont porté pour l'essentiel sur la mise en oeuvre du plan Juncker. L'agenda numérique, même si nous avons insisté pour que l'on rappelle dans les conclusions l'importance de protéger le droit d'auteur, est un sujet plus large : la communication de la Commission du 6 mai inclut la régulation des plates-formes, la fiscalité, mais aussi le soutien aux investissements dans le domaine numérique.

Sur le plan de la sécurité et de la défense, ont été réaffirmés :

- la stratégie européenne de sécurité, dont les travaux vont se poursuivre sur la base de la proposition de la Commission ;

- l'élaboration d'une nouvelle stratégie de politique étrangère et de sécurité que la Haute représentante devrait soumettre d'ici juin 2016 ;

- suite au Conseil européen de décembre 2013, le renforcement de la dimension efficacité-visibilité-impact de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et l'importance des groupements tactiques de l'Union européenne. La France va prendre son tour de commandement d'un groupement tactique avec la Belgique ;

- l'amélioration des capacités de défense sur quatre programmes, le ravitaillement en vol, les drones, les satellites et la cyberdéfense ;

- le renforcement de l'industrie européenne de défense.

Les conclusions soulignent aussi, à notre demande, l'effort de financement qui doit être plus important, afin que quelques pays ne supportent pas seuls le poids de l'effort de défense.

Enfin, le Premier ministre britannique, dont c'était la première réunion du Conseil européen depuis sa réélection, a présenté, sans que cela fasse l'objet d'un débat, ses priorités concernant les réformes de l'Union européenne que la Grande-Bretagne demande avant le référendum sur son maintien dans l'Union européenne. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a été chargé d'engager des consultations dont il rendra compte lors du Conseil européen de décembre, au cours duquel un débat devra s'engager sur le type de propositions de réformes concrètes avancées par le Royaume-Uni.

Vous connaissez notre position : ce qui peut permettre d'améliorer le fonctionnement de l'Union européenne peut être discuté, mais aussi faire l'objet de modifications législatives. Nous voulons que cela se fasse à traité constant, sans s'engager donc dans une réforme des traités, dans le respect des principes fondamentaux de l'Union européenne, notamment concernant la liberté de circulation, mais aussi les grandes politiques communes.

Je me réjouis enfin que le Conseil européen ait décidé d'attribuer le titre de citoyen d'honneur de l'Europe à Jacques Delors, ce qui constitue une distinction qui honore un grand Européen et un grand Français. Fait exceptionnel, c'est la seconde fois qu'un Français reçoit cette distinction. Jean Monnet avait été désigné par le Conseil européen comme citoyen d'honneur de l'Europe. Ce n'est que la troisième fois qu'elle est attribuée, l'autre personnalité étant Helmut Kohl, à la suite de la réunification allemande et de sa contribution aux grandes étapes de la construction européenne.

Ce Conseil européen marque aujourd'hui la situation d'une Europe qui est la fois face à des grands défis qui poussent à renforcer l'idée d'intégration et de coopération, et qui est travaillée en profondeur par des tendances à la fragmentation, par des risques, qu'il s'agisse de la Grèce, de la Grande-Bretagne, ou de la difficulté à se mettre d'accord sur les questions d'immigration.

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