Je reviens sur ce qui a été dit au sujet de la situation économique de ces pays. Pour avoir vécu en Pologne au début des années 1990, je sais ce qu'y était, à cette époque, la situation. Et je sais aussi qu'à partir du moment où des réformes, celles de Leszek Balcerowicz, ont été conduites, qui ont coupé certaines racines du mal, la Pologne a connu une croissance soutenue durant plus de vingt-cinq ans. Certains pays, qui faisaient alors encore partie de l'Union soviétique, n'ont pas eu cette chance, et leur économie a conservé le caractère oligarchique qui marquait l'économie soviétique. Que certains pays d'Europe centrale considèrent, sur le fondement de leur expérience propre, que l'on puisse arriver à un résultat semblable pour peu que l'on extirpe les racines du mal dans les anciens pays de l'Union soviétique, et qu'ils en soient partisans, parce que cela leur a réussi, n'a rien que de normal.
Le fait est qu'un décalage s'est creusé, dès le départ, entre les pays, entrés dans l'Union européenne entre 2004 et 2007, qui appréhendent le Partenariat oriental comme la voie vers l'adhésion, et les autres. D'où la situation que l'on connaît aujourd'hui.
On a vu ce qu'il s'est passé en Ukraine depuis deux ans. Je ne dis pas que les choses évolueront de la même manière en Arménie, mais reconnaissons que la situation politique à laquelle on assiste depuis une semaine témoigne que la société civile se réveille, de toute autre façon que ces vingt dernières années, ce qui conduit à une situation que la Russie considère déjà comme une entreprise de déstabilisation. Vu les perspectives de rapprochement entre les États-Unis et l'Iran, il convient de faire évoluer l'Arménie : c'est ainsi que la Russie lit les évènements qui se déroulent aujourd'hui en Arménie.
Je partage ce qui a été dit sur les scénarios décrits dans le rapport. L'approche pragmatique qui consistait à penser que la Russie n'a certes pas le même projet politique que l'Union européenne, mais qu'en échangeant sur le plan économique, on arriverait à évoluer ensemble s'est fracassé, comme on l'a vu l'an dernier, sur la question de la Crimée. Peut-on encore tabler sur un tel scénario, le pouvoir restant entre les mêmes mains ? L'idéal serait bien sûr de faire émerger un projet plus fort entre l'Union européenne et la Russie, mais cela paraît un peu complexe aujourd'hui. Quant aux autres perspectives, elles sont plutôt négatives : soit la persistance de conflits gelés, soit un mouvement qui verrait l'Union européenne se détourner de ses voisins orientaux et les deux grands blocs de la région tourner le regard dans des directions différentes. Mais l'Europe en serait affaiblie.
Je rebondis sur ce qu'a dit Simon Sutour : à partir du moment où l'on a distingué, d'un côté, le Partenariat oriental, avec la perspective qui a été rappelée, et de l'autre, une politique de voisinage avec les pays du pourtour méditerranéen, l'action vers l'Est apparaît comme une entreprise de désoviétisation, donc une politique antirusse. Mieux vaudrait unifier la politique de voisinage, afin qu'elle cesse d'apparaître comme une volonté européenne de soustraire à l'orbite de la Russie une partie de ses voisins. J'ajoute qu'une relation entre l'ouest et l'est de l'Europe ne saurait se développer indépendamment de toute considération sur ce qui se passe au sud ; ce serait oublier tout ce qui se passe entre les deux, dans les Balkans, dans le Caucase, dans le triangle entre l'Irak, la Syrie et la Turquie. Comment mener, en Azerbaïdjan, une politique qui prend la démocratisation pour ligne de mire et ne pas se donner les mêmes moyens en Tunisie, et dans les pays du sud en général ? A négliger cet enjeu, de taille, on encourrait de terribles reproches.