Cette affaire n'est pas étrangère au regain d'intérêt des États pour un renforcement de la législation fiscale, de même que la nécessité où se trouvent certains États d'accroître leurs recettes fiscales.
L'affaire « Luxleaks » a révélé au grand jour des accords fiscaux préalables, appelés rescrits, souvent très avantageux pour les entreprises comme pour le fisc concerné. De tels accords ont été conclus pour le fisc luxembourgeois par le cabinet de conseil Price Waterhouse Coopers (PWC) pour le compte de nombreux et importants clients internationaux dont Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et Deutsche Bank, entre autres.
La révélation de ces accords au grand public a permis de mettre en lumière le problème et de chercher une solution à l'échelle européenne, avec un double objectif : éviter de trop grandes distorsions de concurrence et augmenter les recettes fiscales. Invoquant la nécessité d'une harmonisation fiscale européenne, la France, l'Allemagne et l'Italie ont réclamé, le 28 novembre 2014, une directive européenne sur l'optimisation fiscale. Les trois États membres ont, dans ce cadre, demandé, notamment, la mise en place de registres facilitant l'identification des bénéficiaires de sociétés écrans et milité en faveur de l'édiction de mesures contre les juridictions qui favorisent l'optimisation fiscale et les « montages inappropriés » permettant un avantage fiscal.
Ces demandes sont dans le sillage du G20 de 2014 qui appelait à achever le chantier de lutte contre l'optimisation fiscale en 2015 en exigeant l'absolue transparence. La pratique du « tax ruling », ou rescrit fiscal, permet en effet à une entreprise de demander à l'avance comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale d'un pays et d'obtenir ainsi certaines garanties juridiques, voire certains avantages. Or, certaines multinationales utilisent cette disposition, qui est parfaitement légale, pour faire de l'optimisation fiscale en répartissant leurs coûts et leurs bénéfices imposables entre plusieurs de leurs branches ou filiales situées dans différents pays, et cela avec l'accord des pays concernés.
Toutes ces initiatives hostiles à l'optimisation fiscale ont conduit la Commission européenne à présenter, le 18 mars 2015, sa proposition sur l'échange automatique d'informations. Elle souhaiterait une entrée en vigueur dès le 1er janvier 2016 pour les « tax rulings » (ou « rescrits fiscaux » dits aussi « décisions anticipatives en matière fiscale »), qui ont un impact frontalier. Les « rulings » concernés par la directive sont les accords donnés par une autorité fiscale d'un État membre qui clarifient ou interprètent une disposition juridique ou administrative relative à la législation fiscale d'un État, et sont relatifs à des transactions transfrontalières, en amont desquelles ils sont accordés.
Il faut savoir que tous les États membres accordent des rulings même si ceux-ci n'ont pas partout la même forme ni la même ampleur. Le champ d'application de ce projet de directive sera naturellement le point le plus discuté par les États membres. Je rappelle qu'au sein du Conseil, il faudra, comme pour toute décision sur la fiscalité, se prononcer à l'unanimité.
Il est prévu que les États membres échangent entre eux mais également avec la Commission, certaines informations sur les rulings et les arrangements préalables en matière de prix de transfert, y compris ceux accordés depuis dix ans. Ces échanges, d'une fréquence trimestrielle, permettront à la Commission d'avoir à sa disposition une image globale de cette pratique. Sur cette base, elle pourra juger de ce qui est acceptable ou pas dans la conception de certains rulings. La Commission n'exclut pas de travailler avec les États pour définir les conditions à réunir avant d'accorder des tax rulings.
Certains demandent, outre l'absolue transparence, un « reporting » pays par pays. M. Alain Lamassoure a déclaré : « La transparence entre les États membres est une première étape. La suivante doit être la transparence maximale possible entre les acteurs économiques eux-mêmes et les consommateurs ».
Dans la continuité de cette politique, on s'attend désormais à ce que la Commission présente d'un moment à l'autre un « paquet législatif » sur la fiscalité des entreprises qui pourrait donner un second souffle à un dossier enlisé depuis quatre ans, celui de « l'assiette commune consolidée sur l'impôt des sociétés » (ACCIS). Les États hostiles à ce projet ont déjà fait savoir qu'il ne doit pas conduire à l'harmonisation fiscale. Certains craignent en effet que la détermination d'une assiette commune définie de la même manière dans tous les États ne conduise à un taux commun à tous les États...
Il faut toutefois raison garder dans la mesure où l'optimisation fiscale est une pratique légale répandue, qui se distingue de l'évasion et de la fraude. Entre l'optimisation et l'évasion ou la fraude, il y a une différence de nature, et non une différence de degré, comme le laissent entendre certaines ONG et même certains gouvernements. En outre, l'optimisation fiscale n'est possible que parce que la législation fiscale varie d'un pays à l'autre dans des proportions importantes. Parfois même, certains États dans le besoin pratiquent ce qui apparaît aux yeux des uns - par comparaison avec la fiscalité lourde et mature des États voisins - comme une forme de dumping fiscal, quand d'autres y voient une pratique concurrentielle. Enfin, les taux d'impôt sur les sociétés - comme la base taxable -, très différents d'un pays à l'autre, apparaissent souvent confiscatoires dans certains États où ils dépassent 30 %, plafond considéré comme la limite extrême du consentement à l'impôt.
Dans ce contexte, il semble en effet plus que jamais nécessaire de réactiver les négociations qui doivent aboutir à l'établissement d'une « assiette communautaire commune de l'impôt des sociétés » (ACCIS). Tant que l'assiette et les taux varient d'un pays à l'autre au sein même de l'Union européenne, on ne peut espérer décourager l'optimisation fiscale.
Cela dit, il faut naturellement préférer que les rescrits fiscaux soient transparents dans la mesure où ils peuvent représenter un frein sérieux à une juste concurrence. En effet, si une entreprise obtient un rescrit fiscal avantageux, la charge d'impôt dont elle est dispensée par le rescrit peut s'apparenter à une aide indirecte de l'État qui a accordé le rescrit. Il n'est pas faux alors de considérer qu'il y a distorsion de concurrence entre les entreprises. Ce qui paraît difficile à déterminer, c'est l'ampleur de cette concurrence déloyale. Et c'est pour cela que l'émergence d'une plus grande transparence est justifiée.
Le rescrit fiscal apparaît aussi comme le produit des efforts toujours plus importants des acteurs économiques pour réduire le poids de l'impôt. Cette tendance doit être analysée comme une réaction de survie face à des systèmes fiscaux européens peu compétitifs. L'optimisation fiscale qu'autorise le rescrit fiscal apparaît dans certains cas comme une réaction rationnelle au malaise généré par les systèmes fiscaux très complexes de nos vieilles démocraties. L'optimisation fiscale est le symptôme d'un véritable dysfonctionnement de nos systèmes fiscaux.
Dans la mesure où l'optimisation fiscale relève d'un choix intelligent à l'intérieur d'un système fiscal donné et avec l'assentiment de ce même système, elle illustre une vérité économique bien connue : les acteurs économisent leurs ressources. Ainsi quand un impôt excessif réduit l'activité et la croissance, ils produisent moins ou ils cherchent à obtenir une moindre pression fiscale. Dans les deux cas, le produit fiscal diminue comme l'a très bien montré Laffer dans sa célèbre courbe dont la signification est traduite par l'adage : « trop d'impôt tue l'impôt ».
Il s'agit donc de comprendre pourquoi certains obtiennent des rescrits fiscaux qu'il faut bien appeler par leur nom : des lois privées, c'est-à-dire des privilèges. Il faut croire que ces rescrits sont une soupape de sécurité dans une économie mondialisée où, si l'on rejette la concurrence fiscale, il y a fort à parier qu'on finira par limiter les investissements. En effet, une moindre pression fiscale devrait permettre un meilleur autofinancement et davantage d'investissements.
En outre, le rescrit fiscal trouve tout son sens dans la mesure où il offre une stabilité et une clarté juridique quand certains États ont laissé se développer l'instabilité fiscale en changeant les règles à chaque loi de finances, instabilité fiscale elle-même source d'instabilité juridique.
Ainsi, l'on voit que la question du rescrit fiscal n'est pas aussi simple à régler puisqu'aussi bien il est le fruit direct de systèmes fiscaux complexes et peu clairs faisant peser sur les acteurs économiques une forte pression fiscale et une grande insécurité juridique. La pratique du rescrit fiscal réintroduit de la souplesse et un peu de bon sens, illustrant l'idée simple dont on s'est écarté qu'un bon impôt doit avoir une large base et un taux faible.
Pour information, Alain Lamassoure a dû renoncer à faire adopter un texte de consensus par les parlementaires des vingt-et-un États membres présents à la réunion, voyant qu'un nombre trop important d'entre eux n'étaient pas prêts à le suivre.