Intervention de Alain Richard

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 février 2015 à 15h05
Economie finances et fiscalité — Directives « services » et « qualifications professionnelles » et professions réglementées : communication de mm. michel mercier et alain richard

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Comme vous le savez, l'Assemblée nationale examine en ce moment le projet de loi pour la croissance et l'emploi, qui comporte plusieurs dispositions relatives à la réforme des professions juridiques réglementées. Il s'agit notamment de réviser les grilles tarifaires pour les rapprocher des coûts réels, d'assouplir la liberté d'installation des notaires, huissiers et commissaires-priseurs, d'élargir le champ de la postulation territoriale des avocats, d'instituer une profession unique de l'exécution, le commissaire de justice, et d'ouvrir le capital entre professionnels du droit et du chiffre.

S'il n'appartient naturellement pas à la commission des affaires européennes d'analyser ces dispositions, qui ont du reste été profondément modifiées par l'Assemblée nationale, il apparaît en revanche opportun de rappeler le cadre juridique européen dans lequel elles interviennent, en particulier en vue de l'examen du texte par le Sénat prévu en mars prochain.

Le droit français ne donne pas de définition des professions réglementées. Ces dernières sont en revanche définies par la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles qui retient une définition centrée sur l'exigence d'une qualification et qui établit un lien entre les professions réglementées et les professions libérales. Il existe également des directives sectorielles, par exemple celles applicables aux avocats.

Actuellement, les compétences relatives à la réglementation de ces professions demeurent nationales. Ces règles nationales reflètent des choix politiques quant aux intérêts à protéger. Ainsi, des professions sont réglementées dans certains États membres, et pas dans d'autres. Même quand elles le sont, les réglementations diffèrent selon les pays pour ce qui concerne les activités réservées ou les qualifications requises. Mais dans un arrêt de 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a souligné que « la définition de cette notion [de profession réglementée] relève du droit de l'Union ». Autrement dit, le caractère réglementé ou non d'une profession résulte de la directive.

La France se caractérise par la spécialisation et la réglementation de ses professions juridiques. Dans notre pays, la quasi-totalité des professions juridiques réglementées sont des professions libérales. Certaines d'entre elles ont soit le statut d'officier ministériel, comme les avocats aux conseils et les commissaires-priseurs judiciaires, et leurs membres sont nommés par le ministre de la justice, soit celui d'officier public et ministériel, comme les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce et les huissiers de justice, ce qui signifie que leurs membres sont également nommés par le ministre de la justice et qu'ils ont aussi le pouvoir d'établir des actes authentiques. On notera que la France serait le seul pays au monde à avoir conservé ce statut d'officier public ou ministériel. Se pose la question de sa compatibilité avec le droit européen.

En effet, l'organisation des professions réglementées en France fait l'objet d'interrogations récurrentes au niveau européen et cette pression européenne s'exerce principalement de trois manières.

Je vous propose de vous exposer la première et de laisser à Michel Mercier le soin de vous présenter les deux autres.

La réglementation de certaines professions doit être conforme aux dispositions des directives « services » et « reconnaissance des qualifications professionnelles ».

Pour ce qui concerne les professions juridiques réglementées, le champ d'application de ces deux directives se limite :

- d'une part, aux activités des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;

- d'autre part, à celles des avocats, pour autant que les dispositions des deux directives sectorielles applicables à ces derniers en matière de libre prestation de services et d'établissement ne sont pas en conflit avec les dispositions des deux directives.

Les activités des autres professions juridiques réglementées en sont exclues, soit explicitement, pour ce qui concerne les notaires dans les deux directives et les huissiers de justice dans la directive « services », soit au regard de leur participation à l'exercice de l'autorité publique, conformément à l'article 51 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

J'en viens d'abord à la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Je rappelle que notre commission a porté beaucoup d'attention à ce texte tant en amont, au cours de son élaboration, qu'en aval, lors de sa transposition, le président Jean Bizet ayant consacré deux rapports d'information au sujet.

La directive « services » pose deux principes fondamentaux :

- celui de la liberté d'établissement des prestataires : à ce titre, les États membres doivent passer en revue leurs régimes d'autorisation existants et évaluer ceux qui peuvent être maintenus, ceux qui doivent être modifiés et ceux qui doivent être supprimés. Le principe est que tout régime d'autorisation constitue désormais l'exception. Les régimes d'autorisation ne peuvent être maintenus que s'ils ne sont pas discriminatoires, s'ils sont justifiés par une raison impérieuse d'intérêt général et s'ils sont proportionnés ;

- et celui de la libre circulation des services : le principe du pays d'origine, qui figurait dans la proposition initiale de la Commission, a été remplacé par celui de la libre prestation des services.

Les dispositions des directives sectorielles restent importantes car elles prévalent et s'appliquent à des aspects spécifiques qui ne seraient pas traités par la directive « services ».

Quant à la directive « reconnaissance des qualifications professionnelles », elle a modernisé l'ensemble du système de reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union européenne. Elle établit les règles selon lesquelles un État membre qui subordonne l'accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées reconnaît, pour l'accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres États membres et qui permettent au titulaire desdites qualifications d'y exercer la même profession. En France, près de 140 professions ont été concernées par la mise en oeuvre de ce texte, dont la transposition s'est terminée début 2010.

Cette directive a été révisée par la directive du 20 novembre 2013, qui doit être transposée avant le 18 janvier 2016.

Les principales modifications apportées lors de cette révision, qui concernent essentiellement les professions de santé, sont les suivantes :

- la création d'une carte professionnelle européenne ;

- la mise en place de cadres communs et d'épreuves communes de formation, ainsi que la fixation d'exigences minimales de formation ;

- l'introduction du principe d'accès partiel aux professions ;

- la vérification des compétences linguistiques ;

- l'exclusion de la profession de notaire du champ d'application de la directive. Alors que la Commission avait initialement proposé d'étendre le champ d'application de la directive aux notaires, avec des dispositions spécifiques, la directive prévoit une exclusion expresse des notaires. Les longues négociations sur ce point ont finalement donné satisfaction à la France et au Sénat qui avait fermement appuyé cette position dans une résolution européenne du 31 août 2012.

En octobre 2013, sur la base de cette directive, la Commission a lancé un exercice, toujours en cours, d'évaluation mutuelle des professions réglementées, similaire à celui retenu pour l'évaluation de la directive « services ». Les États membres ont été invités à agir dès avant l'entrée en vigueur de la directive révisée et à commencer à examiner, au niveau national, les exigences en matière de qualifications imposées aux professions réglementées et le champ des activités réservées.

L'un des objectifs de l'exercice d'évaluation mutuelle est de parvenir à une plus grande transparence et à trouver un équilibre entre les intérêts à protéger et les conséquences pratiques des règles nationales sur la mobilité et l'accès à ces professions. Dans le cadre de cet exercice, les États membres sont appelés à notifier à la Commission, par le biais d'une base de données dédiée, toutes les informations relatives aux professions qu'ils réglementent. Ils doivent à cette occasion répondre à des questions permettant d'apprécier le caractère justifié et proportionnel de la réglementation nationale. À la fin de cet exercice, et après négociation, les États membres devront présenter, avant le 18 janvier 2016, un plan d'action sur les mesures qu'ils envisagent de prendre pour réviser leur réglementation de manière à la mettre en conformité avec le droit européen.

Je terminerai en rappelant que ces deux directives ont un impact direct en France puisqu'elles constituent le fondement de nombreuses modifications législatives et réglementaires. Sans entrer dans un détail qui pourrait vite devenir fastidieux, je citerai une ordonnance du 30 mai 2008 qui a modifié les conditions de la libre prestation de services des opérateurs de ventes volontaires pour tenir compte de la reconnaissance des qualifications professionnelles, la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, un décret du 18 février 2009 modifiant la réglementation de la profession d'avocat, la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées ou encore la loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Je laisse maintenant la parole à Michel Mercier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion