La présente communication a pour principal objet de répondre à la question suivante : dans quelle mesure un État peut-il priver un citoyen de sa citoyenneté en le privant dès lors de la protection attachée à cette citoyenneté ? Car, en effet, le citoyen déchu est, en quelque sorte, rejeté de la communauté nationale.
Dans quelle mesure le droit international interdit-il les déchéances de nationalité et s'applique-t-il aux États et en particulier à la France ?
Au niveau des Nations unies, il existe la Déclaration universelle.
L'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme dispose :
1. Tout individu a droit à une nationalité.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.
La Convention de New York (1954) sur le statut des apatrides a été signée en 1955 et ratifiée en 1960 par la France.
Cette Convention prévoit, notamment, en faveur des personnes dites « apatrides » une protection juridique en termes de non-discrimination, de statut personnel, de droits civils, d'accès aux professions salariées et non-salariées, d'avantages sociaux... Elle tend, d'une façon générale, à aligner, dans l'État de résidence contractant, la situation des apatrides sur celle des étrangers en situation régulière sur le territoire.
On relèvera, toutefois, qu'aux termes de l'article 1er paragraphe 2 de la Convention, la protection conventionnelle n'est pas accordée aux apatrides « dont on aura des raisons sérieuses de penser :
- qu'ils ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;
- qu'ils ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de leur résidence avant d'y être admis ;
- qu'ils se sont rendus coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies. »
Sur la question de l'expulsion des apatrides par les États membres contractants dans lesquels ils résident, l'article 31 de la Convention de 1954 dispose :
« 1. Les États contractants n'expulseront un apatride se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public.
2. L'expulsion de cet apatride n'aura lieu qu'en exécution d'une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi.
3. Les États contractants accorderont à un tel apatride un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États contractants peuvent appliquer, pendant ce délai, telles mesures d'ordres interne qu'ils jugeront opportunes. »
On évoquera ensuite la Convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
Aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 de cette Convention, « Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride. »
Toutefois, le troisième paragraphe dispose : « Nonobstant la disposition du paragraphe 1 du présent article, un État contractant peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité, s'il procède, au moment de la signature, de la ratification ou de l'adhésion, à une déclaration à cet effet », ce qu'a fait la France, signalons-le, à l'époque, « spécifiant un ou plusieurs motifs prévus à sa législation nationale à cette date et entrant dans certaines catégories, et notamment lorsque :
Un individu, dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l'État contractant :
· a, au mépris d'une interdiction expresse de cet État, apporté ou continué d'apporter son concours à un autre État, ou reçu ou continué de recevoir d'un autre État des émoluments ;
· a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État. »
Le quatrième paragraphe de l'article 8 de la Convention prévoit qu'« un État contractant ne fera usage de la faculté de priver un individu de sa nationalité dans les conditions définies précédemment que conformément à la loi, laquelle comportera la possibilité pour l'intéressé de faire valoir tous ses moyens de défense devant une juridiction ou un autre organisme indépendant. »
La Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie a été signée par la France en 1962 mais n'a jamais été ratifiée.
On signalera aussi la Convention européenne sur la nationalité, adoptée en 1997, sous les auspices du Conseil de l'Europe.
L'article 7 de cette Convention porte le titre : « Perte de la nationalité de plein droit à l'initiative d'un État Partie ».
Le 1 de cet article 7 dispose qu'« un État Partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité de plein droit ou à son initiative », sauf dans les cas suivants :
- acquisition volontaire d'une autre nationalité ;
- acquisition de la nationalité de l'État à la suite d'une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d'affect pertinent de la part du requérant ;
- engagement volontaire dans des forces militaires étrangères ;
- comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État Partie.
La Convention européenne de 1997 sur la nationalité a été signée par la France en 1997 mais n'a jamais été ratifiée.
Évoquons, enfin, le Protocole n° 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention.
Ce Protocole, ratifié par la France le 3 mai 1974, comporte un article 3 intitulé « Interdiction de l'expulsion des nationaux ». Selon le 1 de cet article : « Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l'État dont il est le ressortissant. » Au terme du 2 : « Nul ne peut être privé du droit d'entrée sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant. »
Ces dispositions sont ici rappelées car elles concernent indirectement la question des déchéances de nationalité. En effet, le problème de l'interdiction du retour des Français ou des binationaux djihadistes sur notre territoire est aujourd'hui, parfois, posé. Il résulte donc de l'adhésion française au Protocole n° 4 que deux voies seulement sont offertes pour une telle mesure d'interdiction :
- une procédure préalable de déchéance de nationalité pour les intéressés ;
- la dénonciation de la Convention. Mais cette solution apparaît, à bien des égards, comme l'« arme nucléaire » de dernier recours.
Après les conventions internationales et européennes, j'évoquerai la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et de la Cour de justice de l'Union européenne.
La première, dans un arrêt du 13 juillet 2010, paraît prohiber, sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale, « dans certaines circonstances, le refus ou le retrait arbitraire de la citoyenneté. ».
De son côté, dans un arrêt de la même année, la Cour de justice de l'Union européenne a invoqué l'application du principe de proportionnalité dans les décisions de retrait de nationalité prises par les États membres dès lors que celles-ci impliquaient la déchéance de la citoyenneté européenne. Elle a rappelé, néanmoins, que la compétence des États afin de désigner leurs nationaux reste une manifestation de leur souveraineté exclusive.
Ce rapide survol relativise l'éclairage selon lequel les États seraient, en matière de déchéance de la nationalité, « contraints » par les conventions internationales. On constate, par exemple, que ces conventions ont prévu des règles particulières lorsque sont en jeu la sécurité nationale, l'ordre public, les intérêts essentiels de l'État, ou quand sont commis des crimes particulièrement graves.
On rappellera, au surplus, que la France n'a, à ce jour, ratifié ni la Convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, ni la Convention européenne de 1997 sur la nationalité.
Le droit international et le droit européen ne font donc nullement obstacle aux procédures de déchéance de nationalité en particulier lorsqu'elles concernent des auteurs de crimes ou de délits liés au terrorisme. S'agissant des binationaux, il n'y a aucune ambigüité. Mais quid de ceux que la déchéance de nationalité française rendrait apatrides ?
Au plan international, la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, signée mais non ratifiée par la France, énonce : « Les États contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride. »
De son côté, la Convention de 1954 sur le statut des apatrides, signée et ratifiée par la France, prévoit bien la possibilité d'expulser un apatride se trouvant régulièrement sur le territoire d'un État contractant pour des raisons de sécurité nationale et d'ordre public.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998, l'article 25 du Code civil, quant à lui, dispose que s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme, l'individu « qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride. »
Dans une décision du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que le respect de la vie privée ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant la nationalité dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles puisque « ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose l'acquisition [ou la perte] de la nationalité française. »
Dans sa récente décision du 23 janvier 2015 suite à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a expressément réaffirmé ces principes. Son 22e Considérant rappelle que la déchéance de la nationalité d'une personne ne met pas en cause son droit au respect de la vie privée.
S'agissant des personnes naturalisées qui n'ont que la nationalité française, le Code civil est donc clair. Il interdit de « fabriquer » des apatrides.