Je formulerai, à titre de conclusion, quelques interrogations :
· Pour commencer, une question de fond : ce programme d'urgence de la Commission européenne est-il bien utile ? On a compris qu'il s'agit de redistribuer sur les 28 États membres de l'Union européenne 40 000 futurs migrants qui vont débarquer dans les prochains mois sur les côtes grecques et surtout italiennes. Le plan n'est pas rétroactif.
Le chiffre « arbitraire » de 40 000 représente, on l'a dit, 40 % des quelque 100 000 immigrants qui, en 2014, sont parvenus à atteindre l'Italie et la Grèce. Pour exécuter ce programme, destiné explicitement à soulager ces deux pays, la Commission propose de mettre temporairement entre parenthèses le « système de Dublin » adopté par l'Union pour « responsabiliser » les États de la périphérie, avec notamment la règle selon laquelle c'est le pays de première entrée qui doit instruire et traiter la demande d'asile du migrant.
Il y aurait, aujourd'hui, entre 75 000 et 85 000 migrants sur le sol italien. 50 000 sont arrivés au cours des six premiers mois de l'année 2015. 4 à 6 000 rien que le week-end dernier. Il fallait donc agir.
Mais n'était-il pas plus utile et plus durable de renforcer très significativement les moyens du Bureau européen d'appui en matière d'asile et le soutien des autres États membres pour permettre à l'Italie et à la Grèce de traiter dignement le nouvel afflux prévisible de demandes, et ce conformément aux accords de Dublin ?
Rappelons que l'Allemagne a dû traiter, seule, en 2014, près de 203 000 demandes d'asile !
· Autre interrogation : avec le programme d'urgence, nous sommes en présence d'une forme de « planification » pour l'heure temporaire mais appelée, selon les voeux de la Commission, à être pérennisée dans le cadre d'une « meilleure gestion des migrations ». 40 000 futurs demandeurs d'asile seraient relocalisés, selon une clé de répartition, sur tout le territoire de l'Union.
Ce plan ne risque-t-il pas de créer un « appel d'air » pour les réseaux de passeurs et les dizaines, voire les centaines de milliers de migrants qui veulent à tout prix tenter leur chance ? En annonçant, par avance, qu'elle va répartir et acheminer sur tout le territoire de l'Union 40 000 migrants, l'Europe n'envoie-t-elle pas un « signal » selon lequel 40 000 nouveaux migrants, vrais et faux demandeurs d'asile mélangés, seront, en tout état de cause, « pris en charge » ? D'ailleurs, l'Agenda est muet sur le financement des conditions d'éloignement et de retour des migrants déboutés de leur demande d'asile dans le pays membre dans lequel ils auront été « relocalisés ».
Relevons, incidemment, que les expressions « maîtrise de l'immigration » ou « régulation de l'immigration » sont absentes du texte de l'Agenda. Certes, les questions de l'asile et de l'immigration doivent être soigneusement différenciées mais le texte qui nous est proposé ne s'intitule-t-il pas « Agenda européen en matière de migration » ? Par ailleurs, il est constant que l'immigration clandestine est, aujourd'hui, principalement constituée par le maintien irrégulier de migrants « économiques » sur le territoire des États dans lesquels ils ont été déboutés de leur demande d'asile.
La Commission reconnaît, on l'a dit, que : « Le système de retour dans l'Union européenne ne fonctionne pas parfaitement. » Elle relève aussi que : « Les réseaux de passeurs profitent souvent du fait qu'un nombre relativement peu élevé de décisions en matière de retour est exécuté. » Signalons, en passant, que dans sa communication, la Commission européenne estime qu'en moyenne, « 39,2 % » des décisions de retour rendues en 2013, dans l'Union européenne, ont été effectivement exécutées. Cette statistique paraît bien optimiste ! En ce qui concerne la France, en tout cas, les taux de reconduite des déboutés du droit d'asile, évoqués au cours des dernières semaines, étaient bien inférieurs ! La Cour des comptes a même évoqué dans un rapport le taux de 1 % seulement !
· Une autre interrogation concerne la mise en oeuvre, prévue par l'Agenda européen, du programme de réinstallation sur le territoire de l'Union de 20 000 personnes sous protection HCR. Comment s'assurer de l'effectivité d'une réinstallation dans un pays non désiré par les intéressés ? Dans sa communication, la Commission se déclare « consciente du risque de mouvements secondaires spontanés de personnes réinstallées ». Afin de prévenir ce risque, ajoute-t-elle, « la réinstallation sera subordonnée à l'engagement de la personne réinstallée à rester dans l'État de réinstallation pendant au moins cinq ans ! » Il n'est pas interdit de juger, encore une fois, sur ce point, la Commission très optimiste !
· Ultime interrogation : l'« Agenda européen en matière de migration » lève-t-il toutes les ambiguïtés sur la distinction nette qu'il convient, selon moi, d'établir entre les véritables demandeurs d'asile qui méritent, aux termes de la Convention de Genève, une protection internationale, et tous ceux qui ne répondent en aucune façon aux critères du droit d'asile mais viennent tenter leur chance parfois avec l'aide de réseaux criminels de passeurs ? Il importe que l'on soit « au clair » sur cette question. On sait que les personnes de la première catégorie pâtissent de l'existence de la seconde, notamment en termes d'hébergement et de conditions d'accueil digne.
La question de l'éloignement effectif des déboutés ayant épuisé toutes les voies de recours apparaît donc, selon moi, centrale. Elle est la condition de l'avenir de notre système d'asile européen et du maintien de ses principes, notamment en termes d'obligation d'accueil et de devoir de protection internationale.