Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 31 mars 2016 à 8h35
Institutions européennes — Arrangement pour le royaume-uni : communication de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

L'« arrangement » obtenu en février dernier par le Royaume-Uni constitue la réponse unanime de l'Union européenne, par la voix de ses 28 États membres, aux demandes britanniques de réforme de l'Union telles qu'elles ont été présentées par le Premier ministre britannique dans sa lettre au Président du Conseil européen datée du 10 novembre 2015.

Nous parlons d'« arrangement » parce qu'il s'agit de la traduction officielle du mot anglais « arrangement » qui n'a pas la même charge négative qu'en français. Il est évident qu'il aurait fallu préférer le mot « accord ».

Sur cet accord, quelques remarques liminaires. Le Royaume-Uni a obtenu moins que ce qu'il demandait, mais plus que ce que l'Union voulait d'abord lui concéder. C'est peut être le signe d'un bon compromis. Cet accord - somme toute modeste - n'est pas de taille à peser beaucoup dans le débat interne en Grande-Bretagne sur le maintien dans l'Europe. Sa force est avant tout symbolique dans la mesure où l'Union répond aux demandes britanniques, reconnaissant ainsi le poids de cet État membre dans l'Union ; en outre, si cet accord prend en compte des intérêts nationaux, il y a dans les mesures qu'il contient des germes de réforme qui peuvent mériter examen même pour les Européens convaincus que nous sommes. L'ensemble des dispositions de l'accord ne prendront effet que le jour où le Royaume-Uni informera le Conseil de sa décision de rester membre de l'Union européenne. Cela signifie que leur mise en oeuvre est reportée au lendemain du référendum du 23 juin prochain, à la condition expresse que le référendum débouche sur une confirmation du maintien du Royaume-Uni dans l'Union ; dans le cas contraire, l'accord sera nul et non avenu. Enfin, dans le cas où le Royaume-Uni se maintient dans l'Union, l'accord entrera en vigueur, car l'ensemble de ses dispositions ont été déclarées pleinement compatibles avec les traités, mais encore faut-il mettre en oeuvre les engagements qui y sont contenus de modifier le droit dérivé, en tant que de besoin, pour rendre ses mesures applicables, ce qui entraînera un nouveau délai.

J'en viens au fond de l'accord, qui reprend l'ordre des quatre demandes britanniques et je suggère d'en faire de même pour l'analyse.

Sur la gouvernance économique et la zone euro, en premier lieu, l'accord répond en grande partie aux inquiétudes britanniques. Il réaffirme la nécessité d'approfondir l'union économique et monétaire et demande aux pays non membres de la zone euro de ne pas entraver ce processus, lequel devra, en contrepartie, rester respectueux des droits et compétences des États membres non participants. L'Union se propose de faciliter la coexistence entre les deux groupes et réaffirme que tout discrimination entre personnes physiques ou morales fondée sur la monnaie officielle de l'État membre où elles sont établies ou sur la monnaie ayant cours légal dans cet État membre est interdite.

Il est précisé que le droit de l'Union relatif à l'union bancaire s'applique uniquement aux établissements de crédit situés dans la zone.

Toute dépense liée à la politique monétaire ne pourra être imputée qu'à la zone euro.

Enfin, si un membre du Conseil ne participant pas à l'union bancaire indique son opposition motivée à l'adoption d'un acte législatif relatif à celle-ci, le Conseil est tenu d'en discuter et l'État membre concerné de justifier son opposition en indiquant en quoi le projet ne respecte pas les principes de non-discrimination. Le Conseil doit alors faire tout ce qui est en son pouvoir pour aboutir dans un délai raisonnable à une solution satisfaisante. Il s'agit d'une procédure d'alerte et non d'un veto, mais sur ce chapitre, les demandes du Royaume-Uni ont été entendues.

S'agissant de la recherche d'une plus grande compétitivité, l'Union, en réponse aux demandes britanniques, rappelle que le marché intérieur est son objectif premier et que pour créer de la croissance et des emplois, elle doit renforcer sa compétitivité. En quoi faisant ? En réduisant les charges administratives et les coûts de mise en conformité pesant sur les opérateurs économiques. L'accord reprend ce qui est déjà contenu dans « Mieux légiférer » et dans le programme de la Commission dit « REFIT ». Il s'agit ni plus ni moins de simplifier, d'alléger, voire d'abroger, les textes législatifs quand ils gênent le développement des PME et des micro-entreprises.

En outre, l'Union s'engage à pousser les feux en matière de négociations commerciales avec les États-Unis, le Japon, l'Amérique latine et l'Asie Pacifique...

Sur ces points, l'accord se contente de réitérer un ensemble de promesses dont le seul mérite est de convaincre que le Conseil et l'Union sont « business minded » ou au moins « business friendly » - comme on dit en bon alsacien.

J'en viens au volet relatif à la souveraineté et à la défense des parlements nationaux.

Le Royaume-Uni ne sera plus tenu désormais de prendre part à une intégration politique plus poussée dans l'Union. De plus, l'accord reconnaît, à ce propos, que la référence à une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe » ne constitue pas une base légale pour étendre la portée des dispositions des traités et du droit dérivé de l'Union et ne peut en aucun cas être utilisé à l'appui d'une interprétation extensive des compétences de l'Union ou des pouvoirs de ses institutions. Cette référence à une « union sans cesse plus étroite » ne peut empêcher les différents États membres « d'emprunter différentes voies d'intégration » ni contraindre l'ensemble des États membres à aspirer à un destin commun.

Tout est dit et c'est pour ainsi dire la reconnaissance d'une Europe à deux vitesses.

Quant au principe de subsidiarité, en réponse à la position britannique, l'accord en offre une exégèse classique avant d'introduire une nouvelle règle capitale : dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentent plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil inscrira - c'est un impératif - la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie.

À la suite de cette délibération, les représentants des États membres mettront fin à l'examen du projet d'acte en question ou ils le modifieront pour prendre en compte les préoccupations exprimées dans les avis motivés.

Sans aller jusqu'au droit de veto que souhaiteraient les Britanniques, il s'agit là d'une avancée majeure au profit des parlements nationaux et de l'amorce du rééquilibrage dans la répartition du pouvoir législatif entre les différents acteurs européens.

J'en arrive au plus délicat, soit aux aménagements à apporter au principe de la libre circulation des travailleurs. L'accord reconnaît qu'il est légitime de tenir compte d'une situation exceptionnelle et de prévoir au niveau de l'Union comme au niveau national des mesures qui permettront de limiter le flux des travailleurs quand il est d'une telle importance qu'il a des incidences négatives autant pour les États membres d'origine que pour les États membres de destination. C'est pourquoi l'accord reconnaît que le droit à la libre circulation peut souffrir des limites pour des raisons sociales et économiques ainsi que pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, si des raisons impérieuses d'intérêt général le justifient, la libre circulation des personnes peut être restreinte par des mesures proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi. Quelles sont ces mesures ?

Le « frein d'urgence », tout d'abord. C'est un mécanisme d'alerte et de sauvegarde destiné à faire face à l'afflux - d'une ampleur exceptionnelle et pendant une période prolongée - de travailleurs en provenance d'autres États membres. Ce mécanisme permet à un État membre, après examen et sur proposition de la Commission, de restreindre l'accès aux prestations liées à l'emploi de caractère non contributif. L'État membre concerné peut limiter, pendant une durée totale pouvant aller jusqu'à quatre ans, l'accès des travailleurs communautaires à ces prestations non contributives. Cependant, cette limitation doit être graduelle et un accès progressif doit être aménagé afin que le travailleur touche l'intégralité de ces prestations au bout de ces quatre ans. Ce type d'autorisation aura une durée limitée de sept ans. L'accord précise, aspect intéressant, que la Commission européenne estime qu'il ressort de la situation britannique que le Royaume-Uni peut déjà prétendre activer ce mécanisme.

Deuxième mesure, l'indexation des allocations familiales : les États membres reçoivent la possibilité d'indexer ces allocations sur les conditions qui prévalent dans l'État membre où l'enfant réside, mais cela ne sera valable que pour les travailleurs qui arriveront après l'entrée en vigueur de l'accord. Après 2020, la mesure pourra être généralisée.

La troisième série de mesures a trait aux mariages de complaisance et aux menaces à l'ordre public : l'arrangement prend des dispositions pour lutter contre les mariages de complaisance de ressortissants d'un État membre avec des personnes extra-communautaires dans le seul but de leur assurer l'entrée sur le territoire de l'Union et pour empêcher l'entrée de certaines personnes en provenance d'autres États membres et présentant une menace pour l'ordre public ou la sécurité.

Quatrième mesure, enfin, la limitation de la libre circulation des personnes lors de futurs élargissements : l'accord prévoit que lors des futurs élargissements de l'Union des mesures transitoires seront prises pour limiter la libre circulation des personnes en provenance des nouveaux entrants.

En conclusion, au-delà des détails techniques, quelle est l'essence du message envoyé ? En premier lieu, le principe de la libre circulation des personnes peut recevoir des aménagements en réponse à des situations spécifiques.

En deuxième lieu, l'Union respecte pleinement la libre organisation des systèmes sociaux nationaux.

En troisième lieu, l'Union doit réguler, mais sans la brider, l'activité des acteurs économiques.

En quatrième lieu, le principe d'une « union sans cesse plus étroite » ne peut s'opposer à ce que chaque État membre emprunte une voie différente d'intégration ni contraindre l'ensemble des États membres à aspirer à un destin commun.

En cinquième lieu, les traités doivent reconnaître qu'il y a deux groupes au sein de l'Union : la zone euro et les autres États membres n'ayant pas adopté la monnaie unique.

Enfin, le renforcement du rôle des parlements nationaux est en marche : ils sont associés plus étroitement au processus législatif.

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