En 2010, la grande chambre a jugé que ne sont pas brevetables les procédés reposant sur le croisement et la sélection des plantes, même si des interventions techniques sont nécessaires pour réaliser ce croisement ou cette sélection. Pour être brevetable, l'intervention technique humaine doit introduire des modifications artificielles dans le génome de la plante. Ces décisions sont importantes, car elles précisent ce qu'est un « procédé essentiellement biologique ». En 2015, la grande chambre a jugé que l'exclusion de la brevetabilité des procédés essentiellement biologiques ne concerne pas les variétés végétales obtenues par ces procédés. Autrement dit, la variété végétale est brevetable, même si le procédé ne l'est pas.
J'avais appelé votre attention sur les difficultés d'interprétation de ces décisions de 2015, qui sont contraires à plusieurs législations nationales, notamment allemande et néerlandaise, et à la pratique de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), qui considère que l'exclusion de la brevetabilité s'étend aussi aux variétés végétales obtenues par des procédés essentiellement biologiques. Les décisions de 2015 ont donc semé le trouble, et elles compliquent la façon dont s'articulent le certificat d'obtention végétale (COV) et le brevet.
Beaucoup interprètent ces décisions comme un appel à ce que l'Union européenne lève les ambiguïtés de la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, dont plusieurs dispositions seraient obsolètes - même si l'on considère que seule une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) permettrait de trancher définitivement la question. Ces décisions ont indéniablement suscité un débat au sein des États membres et entre eux. La présidence néerlandaise a d'ailleurs organisé un séminaire, le 18 mai dernier, pour contribuer à l'éclairer, ou du moins à tenter de le faire.
Un consensus s'est dessiné, notamment au sein du groupe d'experts mis en place par la Commission européenne sur ces sujets, pour ne pas modifier la directive 98/44/CE tant son adoption avait été longue et laborieuse, et alors que le résultat de la révision du texte est loin d'être garanti. C'est pourquoi la Commission s'orienterait vers la rédaction d'une notice interprétative visant à expliciter le régime juridique du procédé essentiellement biologique, dont la définition n'est pas consensuelle, d'autant plus que les procédés futurs pourraient venir la perturber.
C'est dans ce contexte que notre groupe de travail a poursuivi ses investigations cette année et qu'il a procédé à plusieurs auditions, dont deux visioconférences, avec la Commission européenne et l'Office communautaire des variétés végétales (OCVV), une agence européenne que je connais bien puisque son siège se trouve à Angers - ce qui fait d'Angers la deuxième ville européenne de France !
Au cours des vingt dernières années, l'amélioration des plantes a connu une évolution très rapide, liée en particulier aux progrès de la connaissance des génomes. C'est pourquoi la reconnaissance de la propriété intellectuelle suscitée par cette évolution est fondamentale. Pour le dire simplement, l'enjeu est de garder un accès équitable au matériel végétal, dans le respect de l'équilibre entre le droit des obtenteurs et celui des détenteurs de brevets.
Le COV réserve l'exploitation commerciale de la variété à son obtenteur pour une durée de 20 à 25 ans, selon les espèces. Il existe une exception aux droits de l'obtenteur, appelée « exception du sélectionneur », qui permet à tout autre sélectionneur d'utiliser la variété protégée à des fins de sélection pour créer une nouvelle variété végétale libre de droits. Ce mécanisme a permis, pendant près d'un demi-siècle, un cercle vertueux d'innovation : lorsque la nouvelle variété arrivait sur le marché, celle de la génération précédente, qui avait contribué à sa création, commençait à être commercialement dépassée.
Or le développement des biotechnologies depuis les années 1990 a perturbé ce cercle vertueux. La directive 98/44/CE a certes exclu de son champ d'application à la fois les variétés végétales, reconnaissant ainsi la pertinence de la protection par le COV, et les procédés essentiellement biologiques, mais elle a laissé certaines questions en suspens. Les nouvelles connaissances liées au génome ont entraîné une accélération du processus d'innovation et, de ce fait, un décalage entre le rythme de l'innovation et celui de l'obsolescence commerciale. Dès lors, la nouvelle variété se retrouve sur le marché en même temps que la variété à l'origine de l'innovation, et vient la concurrencer de fait. Le cercle vertueux permis par le COV s'en trouve déréglé.
Parallèlement, le brevet a été de plus en plus utilisé par les acteurs de l'amélioration des plantes pour protéger de nombreuses innovations technologiques. Cette évolution a conduit à des interrogations sur les interactions entre le COV et le brevet : peut-on exercer la possibilité de l'exception du sélectionneur, et ainsi utiliser la nouvelle variété protégée à des fins de sélection, sans être en contrefaçon au regard de la revendication du brevet ?
Les sélectionneurs sont confrontés au fait que le matériel biologique peut être protégé par un brevet et n'est donc plus librement disponible pour de plus amples sélections, ce qui restreint les capacités d'innovation. Or il est important que le matériel génétique soit accessible à des fins de sélection pour des innovations rapides en matière de sélection végétale. À défaut, si ce matériel génétique est rendu inaccessible aux tiers sans l'obtention d'une licence par un système de brevet excessivement rigide, le développement technologique et, à plus long terme, la biodiversité s'en trouveront amoindris.
Les décisions que l'OEB a rendues en 2015 sont donc venues obscurcir un peu plus les termes du débat.
La publication par la Commission de sa notice interprétative étant annoncée pour cet automne, il est important que notre commission, en adoptant l'avis politique que nous vous soumettons, prenne position pour tenter d'influer sur la rédaction de ce texte.
Au sein de notre groupe de travail, nous avons considéré vaine la tentation d'opposer le COV et le brevet, qui sont en réalité complémentaires. Chacun de ces instruments de propriété intellectuelle doit être utilisé là où il est le plus pertinent. Il nous a paru important d'aboutir à un équilibre entre la protection des innovations et la diffusion de la connaissance et du progrès scientifique.
Afin de permettre l'accès à la diversité génétique et de poursuivre ainsi la création variétale, il convient de gérer l'interface entre le COV et le brevet. L'exception du sélectionneur, qui permet de ne pas être en contrefaçon du brevet dans la phase des travaux de sélection, est un dispositif adapté à la gestion de cette interface, d'autant plus qu'elle est reconnue par la loi française - grâce en particulier à une initiative du président Jean Bizet lors de la transposition de la directive 98/44/CE -, par la loi allemande et néerlandaise, ainsi que par le nouveau brevet unitaire européen.
Les modalités d'exercice de l'exception du sélectionneur pourraient être adaptées en introduisant un délai, par exemple de cinq ans, entre la mise sur le marché d'une nouvelle variété et le droit d'exercer cette exception, de manière à ce que l'obtenteur puisse bénéficier d'une protection temporaire contre l'utilisation rapide par un concurrent des résultats de sa recherche. Cette possibilité devrait toutefois être limitée dans le temps, d'où la nécessité du délai.
Par ailleurs, nous pensons que le COV demeure un instrument adapté à la protection des variétés végétales. Par conséquent, celles-ci doivent demeurer exclues du champ de la brevetabilité, comme le prévoit la directive 98/44/CE. Il apparaît également nécessaire que des clarifications soient faites entre les brevets relatifs aux végétaux et les droits propres aux obtentions végétales, en particulier s'agissant de l'exclusion de la brevetabilité des produits issus de procédés essentiellement biologiques. Richard Yung et moi-même avions tenté de répondre à cette préoccupation en faisant adopter un amendement visant à rédiger l'article 9 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Telles sont les grandes lignes de l'avis politique que nous vous soumettons.