Intervention de Bernadette Bourzai

Commission des affaires européennes — Réunion du 10 décembre 2013 : 1ère réunion
Environnement — Proposition de directive sur les biocarburants: rapport d'information et proposition de résolution européenne de mme bernadette bourzai

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Le débat sur les biocarburants a été relancé il y a un peu plus d'un an lorsque la Commission européenne a proposé de modifier la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 et la directive 98/70/CE du 13 octobre 1998. Ces textes visent, d'ici 2020, à réduire de 20 % la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre et porter à 20 % la part des énergies renouvelables. C'est ce que l'on appelle l'objectif « 3 x 20 ». Dans les transports, l'objectif d'énergies renouvelables atteint 10 %, les émissions de gaz à effet de serre devant diminuer de 6 %.

Des doutes ayant été exprimés quant aux vertus réelles des biocarburants, alors exclusivement d'origine agricole, la directive de 1998 avait introduit une clause de revoyure pour faire la lumière sur leur caractère durable. Le débat est loin d'être clos. Après la première lecture du Parlement européen en septembre dernier, c'est au Conseil des ministres de l'Énergie de se prononcer, le 12 décembre prochain. Nous sommes donc dans la « fenêtre de tir » pour intervenir utilement.

Les biocarburants sont censés répondre à plusieurs objectifs : contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mieux préserver les ressources naturelles en réduisant l'extraction de carburants fossiles, diminuer la dépendance énergétique envers des zones souvent soumises à de fortes tensions, contribuer à rétablir l'équilibre de la balance des paiements et créer des emplois. Difficile de faire mieux !

La réduction des émissions de gaz à effet de serre s'explique principalement par la disparition d'un processus industriel très énergivore, depuis le forage jusqu'au raffinage : la production d'énergie au sein de l'Union européenne émet plus de CO2 que l'ensemble de la circulation routière ! Mais les estimations sont extrêmement variables selon les types de biocarburants et selon les études.

Le recours à une matière première renouvelable est consubstantiel à la notion même de biocarburants ; c'est elle qui détermine les processus appliqués. Les produits sont classés en trois générations. La première utilise des productions agricoles : sucre de canne, betterave à sucre, maïs ou blé pour obtenir du bioéthanol mélangé à l'essence ; colza, soja ou huile de palme pour produire du biodiesel mélangé au gazole. La deuxième génération vise à éviter tout conflit d'usages des produits alimentaires et utilise pour l'essentiel des produits ligneux pour obtenir du bioéthanol ou du biodiesel, et des déchets gras, comme les huiles alimentaires usagées, pour obtenir du biodiesel. La troisième génération recourt aux algues. Seuls les carburants de première génération ou « carburants conventionnels » existent aujourd'hui à échelle industrielle.

D'après la Commission européenne, 3 millions d'emplois seraient créés entre 2010 et 2020 si l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables - pas nécessairement de biocarburants - était atteint dans l'industrie, le chauffage et les transports.

Pour être efficiente, la contribution à l'indépendance énergétique suppose que l'adjonction de bioéthanol dans l'essence ou de biodiesel dans le gazole ne soit pas limitée à une fourchette comprise entre 5 % et 10 %. Or, passer au-delà suppose de commercialiser des véhicules adaptés. La technique est connue depuis longtemps, mais seuls de très rares constructeurs proposent aujourd'hui des moteurs à même d'utiliser un mélange de 15 % d'essence et 85 % d'éthanol (E85). Pour le biogazole, ou biodiesel, seule la deuxième génération permettra d'envisager un pourcentage plus élevé, voire l'exclusion de tout produit pétrolier. Même chose pour la navigation, fluviale ou maritime. Enfin, les avions peuvent voler avec du biokérosène ou biojet, chimiquement très proche du biodiesel de deuxième génération ; il faudra sans doute attendre une dizaine d'années pour que des carburants renouvelables nous transportent dans les airs, bien que des premiers essais en grandeur nature aient été conduits par British Airways et par Lufthansa pendant six mois. Un biplan hybride fonctionnant pour 25 % à l'énergie photovoltaïque et pour 75 % avec du biokérosène de troisième génération devrait tenter une traversée de l'Atlantique en juin 2015. C'est le projet « Eraole », qui doit coûter 5,7 millions d'euros, pour rééditer l'exploit de Lindbergh avec les moyens de propulsion du futur au cours d'un vol « zéro carbone ».

Malheureusement, ce tableau prometteur néglige deux critiques majeures - connues depuis l'introduction des biocarburants - relatives à l'affectation des sols. Vient d'abord la pression directement exercée sur les productions vivrières, puisque les céréales transformées en éthanol manquent inévitablement à l'alimentation humaine. C'est l'effet du changement direct d'affectation des sols. Les producteurs brésiliens de sucre, les producteurs indonésiens d'huile de palme utilisent une surface agricole utile issue de la destruction de forêts primaires. Ces cultures empiètent sur la production alimentaire tandis que la déforestation limite les capacités de stockage de carbone. Selon des organisations non gouvernementales, comme Oxfam ou le Bureau européen de l'environnement, « 40 % de la production américaine de maïs finit dans des moteurs plutôt que dans des estomacs ». D'après FranceAgriMer, plus de 8 % de la surface agricole utile en Allemagne sert à produire des biocarburants. À leur décharge, les producteurs agricoles font valoir que les coproductions de tourteaux générés par les cultures de biocarburant réduisent les besoins en importations de soja, souvent transgénique, destiné à l'alimentation du bétail.

La seconde critique concerne le changement d'affectation des sols indirect (CASI), qu'il vaudrait mieux dénommer « changement indirect d'affectation des sols ». L'accroissement des surfaces consacrées aux biocarburants en Europe conduit à des importations croissantes de nourriture, donc à la nécessité de trouver de nouvelles surfaces agricoles.

Autrefois marginal, ce sujet devient sensible, même si l'ampleur exacte des conséquences alimentaires ou climatiques ne fait pas consensus.

Tel était l'état du débat sur les biocarburants lorsque la Commission européenne a proposé de modifier le droit de l'Union et s'est engagée à produire un texte sur la durabilité des biocarburants. Dans sa communication du 24 janvier 2013, intitulée Énergie propre et transports : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution, la Commission européenne a observé que les biocarburants de première génération « peuvent contribuer à une réduction considérable des émissions de gaz s'ils sont produits de façon durable et sans causer de changement indirect dans l'affectation des sols. »

Il ressort d'une étude publiée en septembre 2013 par un organisme dépendant des services de la Commission, le Joint Research Center scientific and policy reports, qu'une diminution de la consommation de biocarburants au sein de l'Union européenne se traduirait par une réduction des surfaces agricoles cultivées - portant à 50 % sur les oléagineux, à 25 % sur la production de céréales, à 16 % sur la récolte d'huile végétale et à 8 % sur la production de sucre, canne et betterave confondues - et par une baisse des prix, principalement pour l'huile de palme et les autres huiles végétales.

Dans son Analyse rétrospective des interactions du développement des biocarburants en France avec l'évolution des marchés français et mondiaux et les changements d'affectation des sols, l'Ademe a observé que les données disponibles sur l'évolution de l'occupation des sols sont très globales et concernent des périodes quinquennales déjà anciennes. L'agence relève qu'on ne dispose pas de la distribution régionale des superficies forestières ni des principales cultures, données qui permettraient de lier de façon plus précise leur évolution avec celles des cultures concernées par les importations.

Autant dire que les recherches doivent impérativement se poursuivre.

Le projet de directive publié le 17 octobre 2012 propose de plafonner à 5 %, jusqu'en 2020, le volume de biocarburant comptabilisé dans les 10 % d'énergies renouvelables que vise l'Union européenne à l'horizon 2020 pour le secteur des transports, tout en gardant inchangés les objectifs globaux en matière d'énergies renouvelables et de réduction de l'intensité en CO2, de manière à éviter que les biocarburants de première génération ne provoquent un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et ne contribuent à la faim dans le monde.

Comme les biocarburants apportent environ 4,5 % de l'énergie consommée dans les transports au sein de l'Union européenne, la proposition de la Commission tend en pratique à maintenir le statu quo, les biocarburants conventionnels assurant au maximum la moitié de l'énergie renouvelable utilisée dans les transports. En janvier 2013, la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants de substitution présentée le 24 janvier 2013. L'examen des deux textes est hélas resté disjoint, ce qui est regrettable pour la cohérence du processus.

Outre l'introduction d'un plafond de comptabilisation, la proposition de la Commission comporte une seconde innovation, consistant à affecter certains biocarburants d'un coefficient deux, voire d'un coefficient quatre, afin d'encourager le recours aux sources énergétiques les moins contestables. Imaginons qu'en 2020 un carburant incorpore 4 % de biocarburant conventionnel et 1,5 % de biocarburant avancé bénéficiant d'un coefficient quatre : ce carburant sera réputé contenir 10 % d'énergies durables, soit 4 % au titre du biocarburant conventionnel et 4 x 1,5 % = 6 % au titre du biocarburant avancé. L'objectif serait réputé atteint grâce au coefficient multiplicateur.

Les Conseils Transports puis Environnement ont organisé des débats d'orientation sur ce thème, respectivement le 22 février et le 21 mars 2013. Six commissions du Parlement européen ont adopté des avis : agriculture et développement rural ; développement ; commerce international ; industrie, recherche et énergie ; développement régional ; transports. Compétente au fond, la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) s'est prononcée le 26 juillet 2013 sur le rapport présenté par Mme Corinne Lepage.

Les députés européens se sont prononcés en première lecture le 11 septembre 2013. Ils ont voté un plafonnement des biocarburants conventionnels à 6 %, une valeur médiane entre les 6,5 % proposés par la commission industrie, recherche et énergie et les 5,5 % qui avaient la préférence de la commission ENVI. Ils ont introduit un sous-objectif de 2,5 % de biocarburants avancés à l'horizon 2020, avec un quadruple comptage pour les biocarburants issus d'algues, malgré l'absence de perspectives industrielles sérieuses d'ici la fin de la décennie. Les carburants devront donc intégrer au minimum 2,5 % de biocarburants avancés en 2020 et au maximum 6 % de biocarburants conventionnels - au-delà de 6%, ils ne seraient pas pris en compte au titre des énergies renouvelables. Enfin, les députés européens ont demandé que la Commission européenne effectue en 2016 une expertise méthodologique pour mieux apprécier l'ampleur et les effets précis du facteur CASI, dans le but d'éviter à la fois un dévoiement des surfaces dédiées à l'agriculture et des décisions hâtives, prises sans fondement scientifique. Les États membres devront élaborer des rapports pour mieux connaître la réalité afin d'adapter la législation européenne en 2020.

Le rythme soutenu des travaux parlementaires jusqu'à la mi-septembre 2013 semblait augurer une conclusion rapide du débat législatif. Il n'en sera rien, car le Parlement a refusé le mandat demandé par Mme Lepage - à une voix près ! - pour négocier en trilogue avec le Conseil et la Commission. Il est dès lors peu réaliste d'envisager un accord avant le prochain renouvellement des institutions, compte tenu des hésitations du Conseil face à un changement de politique susceptible de déconcerter les investisseurs et de compliquer la réalisation des objectifs de l'Union européenne. Les propositions parfois radicalement opposées des commissions du Parlement européen ne simplifient pas l'affaire... L'échéance définitive est donc repoussée au mieux à la fin de 2014.

Pour l'heure, le Conseil va reprendre l'examen du texte. Dans cette perspective, je vous soumets une proposition de résolution européenne tendant à rechercher les moyens les mieux adaptés pour apprécier l'ampleur du changement d'affectation des sols indirect et connaître ses effets sur les cultures alimentaires et sur les émissions de gaz carbonique. Il s'agit d'un thème essentiel, car l'humanité ne doit pas être confrontée au choix entre l'assiette et le réservoir d'automobile. La proposition vise aussi à ce que les plafonds d'incorporation ne compromettent pas les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération, afin de ne pas décourager les évolutions ultérieures de cette filière pour préserver l'emploi. C'est ce que l'on dénomme familièrement « la clause grand-père ». Enfin je soutiens le sous-objectif à l'horizon 2020 et les mécanismes de comptage multiple qui leur seraient appliqués.

La décennie 2010-2020 devrait marquer la fin du cycle ouvert par l'apparition des premiers biocarburants et poser les bases de leur substitution par des biocarburants qui n'entrent pas en conflit avec les besoins alimentaires humains et favorisent la lutte contre le réchauffement climatique.

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