Le Sénat s'est souvent intéressé aux conditions de concurrence dans le domaine agricole. Après la crise du lait, en 2009, qui avait causé des turbulences en Normandie, j'ai étudié en 2012 le rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait ; j'ai fait un point d'étape l'été dernier ; je me penche ici sur le volet juridique du dossier, et sur l'articulation délicate entre PAC et politique de la concurrence. La censure de différentes opérations - prix des endives, activité cidricole - par l'Autorité de la concurrence française a eu un grand retentissement, mêlé de ressentiment. Cette rigueur donnait aux agriculteurs le sentiment de se trouver dans une impasse : la compétition était intenable mais les efforts pour se renforcer étaient stoppés. Je l'ai vécu dans ma circonscription, qui compte une grosse coopérative : elle a souffert de cette ambiguïté.
Aucun secteur n'est exclu du droit de la concurrence et la PAC ne bénéficie que de dispositions particulières. La concurrence a la primauté dans le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : article 39, définissant les objectifs de la PAC, articles 101 à 109, définissant les règles de concurrence, et article 42, organisant une exemption agricole - non une exception - au droit de la concurrence. C'est donc le droit dérivé - en l'espèce, le règlement n° 1184/2006 - qui concilie les objectifs de la PAC avec les règles de concurrence. Comme l'a observé Jean-Paul Emorine, « en apparence, les produits agricoles font l'objet d'un traitement particulier. Or, le règlement d'application prévoit précisément dans son article 1er que le droit de la concurrence s'applique en matière agricole. Les exceptions sont strictement encadrées ».
Les règlements PAC évoquent une exception agricole. Encore cette dérogation ne concerne-t-elle que le seul article 101 relatif aux accords et ententes ; les autres règles de la concurrence s'appliquent en totalité, comme le contrôle des concentrations et des abus de position dominante.
Ce régime dérogatoire n'est justifié que par la poursuite des objectifs de la PAC. Or ces objectifs, eux-mêmes contradictoires, sont parfois en opposition avec une politique de concurrence orientée vers la satisfaction du consommateur - la PAC, elle, privilégie plutôt le producteur.
Les difficultés d'application, alors que le juge européen a acquis une position dominante, sont inévitables. La Cour de justice européenne a modifié sa vision de l'exception agricole en donnant la primauté à la concurrence, et en reléguant la notion de « préférence communautaire » au rang de simple valeur politique. Ainsi, dans les années quatre-vingt, après le blocus des camions de fraises espagnoles - nous nous y sommes habitués depuis... - la Cour avait condamné l'État français pour manquement à ses obligations. Ce jugement avait provoqué une profonde incompréhension et la violence que l'on sait.
La même évolution se constate s'agissant des dérogations au droit de la concurrence. En 1980, la Cour reconnaissait au Conseil un large pouvoir d'appréciation ; depuis, elle n'a jugé ces dérogations justifiées que si tous les objectifs de la PAC sont favorisés ; l'application des règles de concurrence doit prévaloir chaque fois que possible. Pour le Médiateur des contrats agricoles, « les entorses de la PAC à la politique de concurrence sont de plus en plus rares et de plus en plus contrôlées, le mouvement jurisprudentiel est clair : la concurrence prend le dessus ». Les discussions sur la PAC, à l'OMC, ne sont plus d'actualité : les contingents tarifaires sont désormais bien cadrés et les restitutions n'existent presque plus.
La priorité donnée à la concurrence se retrouve aussi dans le cadre politique. L'idée était, dans le passé, que l'activité agricole présente des singularités économiques et que les objectifs poursuivis par la PAC sont trop exigeants pour être satisfaits par le marché. Or l'agriculture est censée être devenue une industrie comme les autres et l'exception agricole a été enterrée en 1994, lors du passage du GATT à l'OMC. Le maintien de la PAC repose pourtant sur des choix politique, économique et humain.
Jusqu'en 2013, les dérogations au droit de la concurrence s'appliquaient principalement à trois secteurs : les fruits et légumes, la vigne, et le secteur laitier. Dans la filière fruits et légumes, les produits sont périssables ; la vigne se caractérise par une tradition millénaire ; dans le secteur laitier, les éleveurs, atomisés, sont totalement dépendants de leurs acheteurs. Pour renforcer leur pouvoir de négociation, un dispositif dérogatoire au droit commun de la concurrence a été mis en place. L'exception agricole garantit le maintien d'une agriculture plurielle, c'est tout de même un point important.
L'influence française fut décisive lors de la création de la PAC et elle demeure telle dans la détermination des exemptions au droit de la concurrence. On se souvient des efforts déployés par MM. César et Sutour dans cette bataille du bon sens, je veux parler bien sûr des droits de plantation. La même énergie a été mobilisée pour le secteur laitier et certains considèrent que si le paquet lait est européen, il a été « ficelé par la France ». Enfin, lors de la négociation de la réforme de la PAC, les eurodéputés français se sont battus pour faire adopter par tous l'exception agricole. Il existe bien là une particularité et c'est l'honneur de quelques-uns d'y croire encore !
Enfin, l'évolution économique et politique témoigne, malgré la crise et les critiques, d'une foi totale dans les vertus de la concurrence comme condition de la compétitivité et du bien-être du consommateur. Le recul de l'intervention publique s'est également traduit par le désengagement budgétaire de l'Union et des États.
Cet objectif est rappelé dans la réforme de 2013. Le mot « compétitivité » apparaît douze fois, le mot « alimentation », pas une seule, sauf dans le titre. Dans les trois textes de la réforme de la PAC, le déséquilibre est encore plus probant : le mot « alimentation » n'apparaît que cinq fois, et le mot « concurrence », trente...
Pourtant, le prochain règlement sur l'OCM unique maintient cette exception agricole. Les accords anticoncurrentiels sont interdits par le droit européen. Le règlement n° 1184/2006 prévoit pour l'agriculture la possibilité d'accords dérogatoires si ceux-ci visent à poursuivre les objectifs de la PAC. Or cette condition est très difficile à remplir, surtout lorsque les accords portent sur les prix. Les autorités appliquent une interprétation stricte. Le règlement OCM unique autorise les Organisations de producteurs (OP) à réguler les prix, mais non à les fixer ni même à formuler des recommandations. La DGCCRF a d'ailleurs demandé que des indicateurs de tendance se substituent aux recommandations proposées par l'interprofession laitière : elles risquaient, selon elle, une condamnation pour entente. Le changement est plus que sémantique.
Ensuite, les contentieux sur ce thème sont nombreux. Je cite dans mon rapport quatre affaires relatives à des ententes illicites, qui ont donné lieu à des amendes fortes, l'affaire « viandes bovines françaises » de 2006, la décision « endives » de 2012, la décision sur les entreprises d'abattage de porc de 2013, l'affaire des farines en sachet en 2012.
Dans un tel environnement juridique, quelles sont les compétences nouvelles des OP ? Elles disposent d'un statut particulier : leur reconnaissance par l'État est obligatoire. Elles peuvent bénéficier d'aides publiques nationales et européennes. L'État peut même étendre leurs règles à l'ensemble du secteur, y compris aux agriculteurs qui ne veulent pas y entrer - l'individualisme demeure fort chez les agriculteurs... Enfin, leurs accords bénéficient de clauses dérogatoires au droit de la concurrence : le droit européen admet la possibilité d'une entente, ce qui est très innovant. Les OP reconnues pourront négocier le contrat de vente avec le transformateur, qu'il y ait ou non transfert de propriété du lait.
Le premier bilan après un an d'expérience est nuancé. Le nombre d'OP dans le secteur - 31, fin novembre 2013 - est encore faible, alors que, d'après le Médiateur, il en faudrait une centaine. Les agriculteurs doivent comprendre que tel est leur intérêt, pour peser sur le prix du lait. Presque toutes les OP regroupent des éleveurs qui livrent à un seul collecteur : c'est le modèle de l'« OP maison ». « OP maison, OP bidon », avait dit notre collègue Botrel, mais comment faire autrement dans un premier temps ? Leur pouvoir de négociation est resté très faible, voire symbolique. D'après le Médiateur, « le paquet lait a reconnu un droit, mais il n'y a pas eu de pouvoir de négociation des prix... Les collecteurs industriels résistent énormément à la négociation. » Seules des associations d'OP pourraient avoir une influence. Hélas, on n'en prend pas le chemin.
La réforme de la PAC apporte des modifications à leur régime. La reconnaissance des OP est étendue à d'autres secteurs : céréales, viande bovine et huile d'olive. La capacité de négociation collective s'étend aux contrats de livraison avec des clauses de volume et de prix, sans aller jusqu'à la fixation des prix. Le texte supprime l'obligation de contrôle préalable d'absence de position dominante avant la reconnaissance de l'OP. Enfin, le dispositif applicable au secteur laitier est pérennisé.
Ces avancées ne suscitent encore qu'un accueil réservé. Il y a en France des réticences particulières : on pense que les OP ne parviendront pas à négocier les prix et que la réforme ne changera rien à l'individualisme des agriculteurs. Dans d'autres pays, elles ne suscitent pas les mêmes appréhensions, je pense à l'Europe du nord. Dans les États qui suivent une logique industrielle, les OP sont beaucoup plus fortes.
En Normandie, la crise de 2009 avait favorisé l'émergence d'un syndicat, l'Association de producteurs de lait indépendant (Apli) et provoqué des actions chocs, on se souvient de l'épandage de lait - en fait, du lait de chaux - au Mont Saint-Michel. Pour ma part, j'ai beaucoup poussé à la constitution d'OP, ce qui n'a pas été facile : outre les mentalités des éleveurs, il fallait compter avec les gros transformateurs - notamment du côté de la Mayenne - qui faisaient tout pour empêcher les regroupements. L'époque a changé et la balle est dans le camp des agriculteurs. Le temps où l'on allait secouer les grilles des préfectures est révolu, il faut passer à d'autres méthodes de négociation.
Les OP devront faire la preuve de leur utilité. Sans doute faudra-t-il attendre une deuxième génération. La direction générale de la concurrence a elle-même proposé des innovations intéressantes : « Vendre ensemble n'est pas soutenable à terme. En revanche, il est bon d'avoir des activités ensemble qui apportent des efficacités concurrentielles, distribution, empaquetage, tout ce qui est bon pour créer de la valeur ajoutée, diminuer les coûts, et, ainsi, rester sur le marché ». Le cadre de la deuxième génération pourrait renforcer les OP et élargir leurs missions.
Dans le contrôle des abus de position dominante et des concentrations, il n'y a pas de spécificité agricole : les règles s'appliquent dans l'agriculture comme ailleurs. Le contrôle des concentrations est effectué au préalable par l'Autorité de la concurrence ou par la Commission, avec la possibilité de soumettre l'opération à des engagements. Ainsi l'Autorité de la concurrence a-t-elle récemment subordonné l'acquisition de la coopérative Elle-et-Vire par Agrial à ce que cette dernière revoie ses clauses de livraison à ses membres et cède deux entreprises cidricoles. Paradoxalement, Agrial s'est retrouvée en position dominante sur une branche qui n'intéressait personne !
Le rapport recense des difficultés d'analyse, comme celle du « marché pertinent ». La notion est si cruciale qu'elle a été définie dans le nouveau règlement OCM unique. Sont analysés le produit et son marché géographique. Chaque cas est particulier. Je me suis interrogé sur les conditions d'application dans les divers États membres, même si toutes les autorités nationales concernées assurent appliquer les mêmes règles et les mêmes concepts... Ainsi, la France est un grand marché, ce qui fait sa force, mais aussi sa faiblesse : le « marché pertinent » naturel est le marché national. Les Pays-Bas sont petits, ce qui fait leur faiblesse mais aussi leur force : pour eux, le « marché pertinent » est le marché européen.
Quoi qu'en pensent les entreprises, l'autorité française n'est pas des plus strictes. Elle montre même une relative clémence dans de nombreuses affaires, celle des endiviers par exemple. Il est vrai qu'elle prononçait, l'année suivante, une amende de 242 millions d'euros dans l'affaire des farines... De son côté, l'Autorité de la concurrence avance le très faible nombre d'engagements imposés après les notifications de concentrations, mais cet argument doit être écarté : tout est déminé au moment de la pré-notification.
Quelques pistes de réflexion peuvent être ouvertes. La première concerne le droit lui-même. Dans un environnement de concurrence, il paraît inutile de conserver des dispositions nationales plus rigoureuses que les dispositions européennes. Nous critiquons souvent cette surrèglementation, là comme dans les autres domaines.
La deuxième piste concerne le retour de l'État dans la politique de concurrence, entièrement laissée aux mains de la Commission européenne et de l'Autorité de la concurrence, à laquelle la multiplication des saisines pour avis donne un rôle de quasi colégislateur - qu'elle ne demande pas à avoir ! Le législateur et l'État doivent prendre leurs responsabilités, quitte à encourir critiques, voire sanctions.
Le désengagement de l'État est encore plus net s'agissant du contrôle des concentrations par l'Autorité. Alors que le ministre chargé de l'économie, lorsque des raisons d'intérêt général sont en jeu, peut évoquer l'affaire en cours d'examen et statuer pour des raisons d'intérêt général, cette faculté - « arme nucléaire » selon la DGCCR - n'a jamais été mise en oeuvre. L'Etat gagnerait à appliquer plutôt une riposte graduée.
D'autres États, pourtant très libéraux, n'ont pas la même réserve. Ainsi outre-Rhin : un ancien ministre allemand me le confirmait récemment, l'Autorité de la concurrence est très rigoureuse, mais lorsque l'État considère qu'il y va de l'intérêt du pays, elle fait deux pas en arrière. Notre État devrait s'affirmer face à l'Autorité de la concurrence et assumer sa vraie mission en faisant émerger de grands champions nationaux. J'ai réussi à attirer l'attention de M. Montebourg sur le sujet. Je lui demanderai un rendez-vous pour lui présenter mon rapport si celui-ci est adopté par notre commission.
Une étude comparée des pratiques d'évocation par les États membres pourrait certainement l'éclairer.
Une troisième piste de réflexion concerne l'environnement des entreprises. Il y a des pays où l'appareil d'État est tout entier à leur service : nous l'avons vu récemment en Hollande.
Les propositions du rapport sur ce sujet, qui dépasse nos différentes sensibilités, sont simples. Au bout de la chaîne, quatre ou cinq grandes enseignes de distribution, au milieu quelques transformateurs et à l'autre bout, des producteurs atomisés : nous devons donner un coup de main à ces derniers et les aider à se regrouper. Grâce à des OP de deuxième génération, plus fortes et plus ambitieuses, les secteurs lait et fruits et légumes auront une meilleure valeur ajoutée. De plus, lorsqu'il n'y a pas de spécificité, l'État doit s'affirmer davantage et se tenir aux côtés des entreprises. Enfin, il faut encore et toujours travailler à l'harmonisation au niveau européen. Les professionnels ne supportent plus des distorsions de concurrence souvent dues à la façon dont nous transposons les directives.
Le droit de la concurrence et ses spécificités peuvent et doivent aider les agriculteurs : lorsque des dérogations au droit de la concurrence sont possibles, ils doivent en profiter au maximum. Lorsque la loi de la libre concurrence s'impose, il faut alors jouer celle-ci à fond.
Je le dis sincèrement : j'apprécie beaucoup la qualité de ce rapport. Il y a quelques années, lors du débat sur la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), le ministre d'alors, M. Bruno Le Maire, avait parlé de contractualisation et d'organisation de la production. Il souhaitait limiter à 400 le nombre de producteurs par OP, de crainte de provoquer un conflit avec le droit européen. Ce débat est dépassé, puisque l'Union européenne admet désormais le principe de l'organisation des producteurs sans limite de nombre de participants.
Les OP actuelles ne parviendront pas à négocier des prix : elles ont affaire à forte partie. Cependant l'exemple des légumiers du littoral Nord de la Bretagne montre que les OP de deuxième génération peuvent fonctionner : les coopératives de Paimpol et de Tréguier, actives, puissantes, ont regroupé un grand nombre de producteurs et forment le seul organisme de ce type reconnu par les pouvoirs publics. Sans maîtriser, bien sûr, l'ensemble de la filière, elles agissent jusqu'au conditionnement et la valorisation des produits et négocient avec des opérateurs qui livrent les marchés allemand, autrichien, néerlandais et suisse. Voilà un exemple à suivre.
Les Pays-Bas sont très vigilants concernant leur agriculture. Le ministère de l'agriculture a fusionné avec celui de l'économie et tous les ministères concernés leur ont cédé leurs compétences, en incluant l'agroalimentaire - qui a fait l'objet de la création d'un office consacré aux marchés extérieurs du secteur. Comme l'avait fait remarquer notre collègue M. André Ferrand, la diplomatie commerciale du pays est subordonnée à cet opérateur ; tout converge au service de cette politique. En France, nous en sommes loin et ces mêmes compétences sont disséminées entre cinq ministères...
Les producteurs français ont tendance, quand ils s'expriment, à privilégier la notion de bassin laitier par rapport à la dimension nationale : où se situe le « marché pertinent » ?
La surrèglementation n'est pas un problème particulier à l'agriculture. La très mauvaise habitude française de durcir les textes communautaires donne l'impression d'une contrainte européenne excessive et provoque la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de l'Union. Il faut y sensibiliser le Gouvernement et le Parlement.
Je note enfin le grand pragmatisme des Allemands en matière d'application des principes de la concurrence.
Le sujet est délicat et s'il y a évolution de la perception des OP au niveau européen, je m'en réjouis. Nous avons eu l'expérience de la crise du lait, avec des monopoles face à des professionnels mal organisés. Au Danemark, une entreprise concentrait 80 % de la collecte du lait...
La difficulté, en France, est d'intégrer l'ensemble des syndicats professionnels dans les OP. Il faut pourtant favoriser la concentration : face à sept groupes d'achat, pourquoi n'aurions-nous pas huit ou dix OP ? Je note que dans la situation actuelle, où les coopératives représentent 40 % des industries agroalimentaires, tout le monde a sa part de responsabilité...
La contractualisation doit pouvoir intégrer l'esprit de la concurrence. C'est plus facile dans le secteur du lait, mais cela commence aussi à se produire dans la viande ; les céréales constituent un autre cas.
L'État devrait-il reprendre du pouvoir ? Qui, des politiques ou des autorités indépendantes, doit décider ? N'oublions pas du reste que M. Bruno Lasserre, nommé président du Conseil de la concurrence, vient de la DGCCRF ! Les autorités administratives sont là pour appliquer les politiques de l'Union européenne et des gouvernements successifs. L'Etat reprend la main quand il le veut.
Je suis plutôt libéral et le principe de la concurrence me convient, mais des concentrations sont nécessaires. Trop souvent elles n'ont lieu, en matière agricole, que lorsque le président de la coopérative, vieilli, se voit sans successeur !
Nous pourrions élargir le débat sur la façon de préserver le revenu de nos agriculteurs. Les Américains disposent d'une assurance pouvant couvrir leurs revenus jusqu'à 120 %, ce qui est anti-concurrentiel. Des assurances contre les aléas climatiques et sanitaires seraient à encourager : c'est ce que l'Europe nous demande de développer.
Nous nous rejoignons tous sur ces questions.
La contractualisation est du ressort du droit interne, tandis que les OP relèvent du droit européen. La constitution des organisations de producteurs est possible dans la limite de 3,5 % de la référence laitière européenne et à 33 % du marché national, ce qui permettrait de gros regroupements. Il y a eu une évolution.
Les services de M. Almunia n'ont pas été aimables avec la France ; il est vrai que l'action conjointe de MM. Barnier et Le Maire leur avait tordu le bras en leur imposant la possibilité des OP laitières. Mais la sanctuarisation du « mini-paquet lait » a fait école, dans le secteur céréalier notamment. Cela tarde encore dans la filière bovine : vous connaissez les rapports de force avec les marchands de bestiaux... Chez moi, une OP spécialisée dans une race particulière avait passé contrat il y a une vingtaine d'années avec un grand distributeur ; j'avais alors insisté pour que les agriculteurs conservent la propriété du cahier des charges. Cela leur a donné un pouvoir de négociation total. Ce distributeur n'a plus jamais contractualisé depuis avec qui que ce soit sans exiger au préalable la propriété du cahier des charges.
Les OP de deuxième génération n'auront pas plus de pouvoir pour négocier les prix, mais elles en auront pour négocier le partage de la valeur ajoutée grâce à leur maîtrise accrue de l'ensemble de la filière. Les services de M. Almunia souhaitent, pour parvenir à cela, que l'on aille au-delà du simple regroupement de vendeurs, ce qui suppose que la mentalité des agriculteurs évolue. Pour le reste, je m'associe aux propos de M. Emorine.
La commission à l'unanimité autorise la publication du rapport.
Le débat sur les biocarburants a été relancé il y a un peu plus d'un an lorsque la Commission européenne a proposé de modifier la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 et la directive 98/70/CE du 13 octobre 1998. Ces textes visent, d'ici 2020, à réduire de 20 % la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre et porter à 20 % la part des énergies renouvelables. C'est ce que l'on appelle l'objectif « 3 x 20 ». Dans les transports, l'objectif d'énergies renouvelables atteint 10 %, les émissions de gaz à effet de serre devant diminuer de 6 %.
Des doutes ayant été exprimés quant aux vertus réelles des biocarburants, alors exclusivement d'origine agricole, la directive de 1998 avait introduit une clause de revoyure pour faire la lumière sur leur caractère durable. Le débat est loin d'être clos. Après la première lecture du Parlement européen en septembre dernier, c'est au Conseil des ministres de l'Énergie de se prononcer, le 12 décembre prochain. Nous sommes donc dans la « fenêtre de tir » pour intervenir utilement.
Les biocarburants sont censés répondre à plusieurs objectifs : contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mieux préserver les ressources naturelles en réduisant l'extraction de carburants fossiles, diminuer la dépendance énergétique envers des zones souvent soumises à de fortes tensions, contribuer à rétablir l'équilibre de la balance des paiements et créer des emplois. Difficile de faire mieux !
La réduction des émissions de gaz à effet de serre s'explique principalement par la disparition d'un processus industriel très énergivore, depuis le forage jusqu'au raffinage : la production d'énergie au sein de l'Union européenne émet plus de CO2 que l'ensemble de la circulation routière ! Mais les estimations sont extrêmement variables selon les types de biocarburants et selon les études.
Le recours à une matière première renouvelable est consubstantiel à la notion même de biocarburants ; c'est elle qui détermine les processus appliqués. Les produits sont classés en trois générations. La première utilise des productions agricoles : sucre de canne, betterave à sucre, maïs ou blé pour obtenir du bioéthanol mélangé à l'essence ; colza, soja ou huile de palme pour produire du biodiesel mélangé au gazole. La deuxième génération vise à éviter tout conflit d'usages des produits alimentaires et utilise pour l'essentiel des produits ligneux pour obtenir du bioéthanol ou du biodiesel, et des déchets gras, comme les huiles alimentaires usagées, pour obtenir du biodiesel. La troisième génération recourt aux algues. Seuls les carburants de première génération ou « carburants conventionnels » existent aujourd'hui à échelle industrielle.
D'après la Commission européenne, 3 millions d'emplois seraient créés entre 2010 et 2020 si l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables - pas nécessairement de biocarburants - était atteint dans l'industrie, le chauffage et les transports.
Pour être efficiente, la contribution à l'indépendance énergétique suppose que l'adjonction de bioéthanol dans l'essence ou de biodiesel dans le gazole ne soit pas limitée à une fourchette comprise entre 5 % et 10 %. Or, passer au-delà suppose de commercialiser des véhicules adaptés. La technique est connue depuis longtemps, mais seuls de très rares constructeurs proposent aujourd'hui des moteurs à même d'utiliser un mélange de 15 % d'essence et 85 % d'éthanol (E85). Pour le biogazole, ou biodiesel, seule la deuxième génération permettra d'envisager un pourcentage plus élevé, voire l'exclusion de tout produit pétrolier. Même chose pour la navigation, fluviale ou maritime. Enfin, les avions peuvent voler avec du biokérosène ou biojet, chimiquement très proche du biodiesel de deuxième génération ; il faudra sans doute attendre une dizaine d'années pour que des carburants renouvelables nous transportent dans les airs, bien que des premiers essais en grandeur nature aient été conduits par British Airways et par Lufthansa pendant six mois. Un biplan hybride fonctionnant pour 25 % à l'énergie photovoltaïque et pour 75 % avec du biokérosène de troisième génération devrait tenter une traversée de l'Atlantique en juin 2015. C'est le projet « Eraole », qui doit coûter 5,7 millions d'euros, pour rééditer l'exploit de Lindbergh avec les moyens de propulsion du futur au cours d'un vol « zéro carbone ».
Malheureusement, ce tableau prometteur néglige deux critiques majeures - connues depuis l'introduction des biocarburants - relatives à l'affectation des sols. Vient d'abord la pression directement exercée sur les productions vivrières, puisque les céréales transformées en éthanol manquent inévitablement à l'alimentation humaine. C'est l'effet du changement direct d'affectation des sols. Les producteurs brésiliens de sucre, les producteurs indonésiens d'huile de palme utilisent une surface agricole utile issue de la destruction de forêts primaires. Ces cultures empiètent sur la production alimentaire tandis que la déforestation limite les capacités de stockage de carbone. Selon des organisations non gouvernementales, comme Oxfam ou le Bureau européen de l'environnement, « 40 % de la production américaine de maïs finit dans des moteurs plutôt que dans des estomacs ». D'après FranceAgriMer, plus de 8 % de la surface agricole utile en Allemagne sert à produire des biocarburants. À leur décharge, les producteurs agricoles font valoir que les coproductions de tourteaux générés par les cultures de biocarburant réduisent les besoins en importations de soja, souvent transgénique, destiné à l'alimentation du bétail.
La seconde critique concerne le changement d'affectation des sols indirect (CASI), qu'il vaudrait mieux dénommer « changement indirect d'affectation des sols ». L'accroissement des surfaces consacrées aux biocarburants en Europe conduit à des importations croissantes de nourriture, donc à la nécessité de trouver de nouvelles surfaces agricoles.
Autrefois marginal, ce sujet devient sensible, même si l'ampleur exacte des conséquences alimentaires ou climatiques ne fait pas consensus.
Tel était l'état du débat sur les biocarburants lorsque la Commission européenne a proposé de modifier le droit de l'Union et s'est engagée à produire un texte sur la durabilité des biocarburants. Dans sa communication du 24 janvier 2013, intitulée Énergie propre et transports : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution, la Commission européenne a observé que les biocarburants de première génération « peuvent contribuer à une réduction considérable des émissions de gaz s'ils sont produits de façon durable et sans causer de changement indirect dans l'affectation des sols. »
Il ressort d'une étude publiée en septembre 2013 par un organisme dépendant des services de la Commission, le Joint Research Center scientific and policy reports, qu'une diminution de la consommation de biocarburants au sein de l'Union européenne se traduirait par une réduction des surfaces agricoles cultivées - portant à 50 % sur les oléagineux, à 25 % sur la production de céréales, à 16 % sur la récolte d'huile végétale et à 8 % sur la production de sucre, canne et betterave confondues - et par une baisse des prix, principalement pour l'huile de palme et les autres huiles végétales.
Dans son Analyse rétrospective des interactions du développement des biocarburants en France avec l'évolution des marchés français et mondiaux et les changements d'affectation des sols, l'Ademe a observé que les données disponibles sur l'évolution de l'occupation des sols sont très globales et concernent des périodes quinquennales déjà anciennes. L'agence relève qu'on ne dispose pas de la distribution régionale des superficies forestières ni des principales cultures, données qui permettraient de lier de façon plus précise leur évolution avec celles des cultures concernées par les importations.
Autant dire que les recherches doivent impérativement se poursuivre.
Le projet de directive publié le 17 octobre 2012 propose de plafonner à 5 %, jusqu'en 2020, le volume de biocarburant comptabilisé dans les 10 % d'énergies renouvelables que vise l'Union européenne à l'horizon 2020 pour le secteur des transports, tout en gardant inchangés les objectifs globaux en matière d'énergies renouvelables et de réduction de l'intensité en CO2, de manière à éviter que les biocarburants de première génération ne provoquent un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et ne contribuent à la faim dans le monde.
Comme les biocarburants apportent environ 4,5 % de l'énergie consommée dans les transports au sein de l'Union européenne, la proposition de la Commission tend en pratique à maintenir le statu quo, les biocarburants conventionnels assurant au maximum la moitié de l'énergie renouvelable utilisée dans les transports. En janvier 2013, la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants de substitution présentée le 24 janvier 2013. L'examen des deux textes est hélas resté disjoint, ce qui est regrettable pour la cohérence du processus.
Outre l'introduction d'un plafond de comptabilisation, la proposition de la Commission comporte une seconde innovation, consistant à affecter certains biocarburants d'un coefficient deux, voire d'un coefficient quatre, afin d'encourager le recours aux sources énergétiques les moins contestables. Imaginons qu'en 2020 un carburant incorpore 4 % de biocarburant conventionnel et 1,5 % de biocarburant avancé bénéficiant d'un coefficient quatre : ce carburant sera réputé contenir 10 % d'énergies durables, soit 4 % au titre du biocarburant conventionnel et 4 x 1,5 % = 6 % au titre du biocarburant avancé. L'objectif serait réputé atteint grâce au coefficient multiplicateur.
Les Conseils Transports puis Environnement ont organisé des débats d'orientation sur ce thème, respectivement le 22 février et le 21 mars 2013. Six commissions du Parlement européen ont adopté des avis : agriculture et développement rural ; développement ; commerce international ; industrie, recherche et énergie ; développement régional ; transports. Compétente au fond, la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) s'est prononcée le 26 juillet 2013 sur le rapport présenté par Mme Corinne Lepage.
Les députés européens se sont prononcés en première lecture le 11 septembre 2013. Ils ont voté un plafonnement des biocarburants conventionnels à 6 %, une valeur médiane entre les 6,5 % proposés par la commission industrie, recherche et énergie et les 5,5 % qui avaient la préférence de la commission ENVI. Ils ont introduit un sous-objectif de 2,5 % de biocarburants avancés à l'horizon 2020, avec un quadruple comptage pour les biocarburants issus d'algues, malgré l'absence de perspectives industrielles sérieuses d'ici la fin de la décennie. Les carburants devront donc intégrer au minimum 2,5 % de biocarburants avancés en 2020 et au maximum 6 % de biocarburants conventionnels - au-delà de 6%, ils ne seraient pas pris en compte au titre des énergies renouvelables. Enfin, les députés européens ont demandé que la Commission européenne effectue en 2016 une expertise méthodologique pour mieux apprécier l'ampleur et les effets précis du facteur CASI, dans le but d'éviter à la fois un dévoiement des surfaces dédiées à l'agriculture et des décisions hâtives, prises sans fondement scientifique. Les États membres devront élaborer des rapports pour mieux connaître la réalité afin d'adapter la législation européenne en 2020.
Le rythme soutenu des travaux parlementaires jusqu'à la mi-septembre 2013 semblait augurer une conclusion rapide du débat législatif. Il n'en sera rien, car le Parlement a refusé le mandat demandé par Mme Lepage - à une voix près ! - pour négocier en trilogue avec le Conseil et la Commission. Il est dès lors peu réaliste d'envisager un accord avant le prochain renouvellement des institutions, compte tenu des hésitations du Conseil face à un changement de politique susceptible de déconcerter les investisseurs et de compliquer la réalisation des objectifs de l'Union européenne. Les propositions parfois radicalement opposées des commissions du Parlement européen ne simplifient pas l'affaire... L'échéance définitive est donc repoussée au mieux à la fin de 2014.
Pour l'heure, le Conseil va reprendre l'examen du texte. Dans cette perspective, je vous soumets une proposition de résolution européenne tendant à rechercher les moyens les mieux adaptés pour apprécier l'ampleur du changement d'affectation des sols indirect et connaître ses effets sur les cultures alimentaires et sur les émissions de gaz carbonique. Il s'agit d'un thème essentiel, car l'humanité ne doit pas être confrontée au choix entre l'assiette et le réservoir d'automobile. La proposition vise aussi à ce que les plafonds d'incorporation ne compromettent pas les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération, afin de ne pas décourager les évolutions ultérieures de cette filière pour préserver l'emploi. C'est ce que l'on dénomme familièrement « la clause grand-père ». Enfin je soutiens le sous-objectif à l'horizon 2020 et les mécanismes de comptage multiple qui leur seraient appliqués.
La décennie 2010-2020 devrait marquer la fin du cycle ouvert par l'apparition des premiers biocarburants et poser les bases de leur substitution par des biocarburants qui n'entrent pas en conflit avec les besoins alimentaires humains et favorisent la lutte contre le réchauffement climatique.
Je félicite notre rapporteure pour ce travail sur un sujet complexe et difficile.
Je salue le travail de Mme Bourzai. Cependant, la résolution ne me convient pas tout à fait.
Vous soulignez que le CASI ne fait pas l'objet d'un consensus : c'est le moins que l'on puisse dire, puisque ses concepteurs eux-mêmes sont revenus sur leur analyse ! Vous dites que la filière des biocarburants produit des carburants et, accessoirement, des protéines végétales. N'est-ce pas exagéré ? Avant l'émergence de cette filière, l'Europe importait 78 % des protéines nécessaires à la couverture des besoins de ses animaux d'élevage ; ce chiffre est tombé à 48 %. Dans ces conditions, l'opposition entre l'assiette et l'automobile est réductrice.
Vous affirmez vouloir préserver les 30 000 emplois créés par les biocarburants de première génération, mais la résolution pourrait fragiliser la lisibilité de la politique industrielle française, notamment aux yeux de professionnels qui ont réalisé des investissements considérables.
Le Président de la République a annoncé le 3 décembre dernier qu'il soutiendrait au niveau européen un plafond de 7 % d'incorporation d'agrocarburants de première génération dans les carburants traditionnels. C'est le chiffre retenu dans le projet de loi de finances pour 2014. Je voterai la résolution si notre résolution reprend ce taux.
Les orientations de la politique industrielle ne peuvent être fragilisées au nom d'un CASI dont même les concepteurs mettent en doute la fiabilité. La résolution est trop prudente. La mention du taux de 7 % permettra de redonner confiance aux professionnels de la filière et d'assurer la pérennité des emplois créés.
Nous sommes unanimes à soutenir les biocarburants de deuxième et troisième générations. Nous ne pouvons toutefois agir au détriment des agriculteurs qui se sont engagés et qui ont investi. Allouer 2 à 3 % aux carburants avancés me semble opportun.
Je partage nombre des vues de notre rapporteure. En 2006 et 2007, on s'est enflammé pour les biocarburants, puis les prix des céréales ont flambé et l'enthousiasme est retombé. Il faut réfléchir à l'utilisation de l'espace agricole, compte tenu de la croissance de la population mondiale. La Chine achète des terres en Afrique car ses 140 millions d'hectares cultivables ne suffiront pas pour nourrir 1,3 milliard d'hommes. Avant de déterminer la part des biocarburants, nous devons déterminer notre priorité. L'espace agricole dont nous disposons est réduit - pour donner un ordre d'idées, les surfaces agricoles représentent 300 millions d'hectares au Brésil, 140 millions d'hectares en Europe pour 500 millions d'habitants, dont 28 millions d'hectares en France. À mon sens, nous devons d'abord viser l'autosuffisance alimentaire européenne.
Pour autant, nous ne pouvons remettre en cause les politiques industrielles mises en oeuvre et les investissements réalisés. Par fidélité, je soutiendrai la position de Jean Bizet, mais la proposition de résolution me convient.
Elle me convient également. Elle a le mérite de la prudence. Préserver la planète et limiter les émissions de gaz à effet de serre ne doit pas nous faire tomber sous la « dictature du carbone », selon l'heureuse expression de Frédéric Denhez, car ce n'est pas la menace unique pour notre environnement. Je me méfie des coefficients de valeur. La mesure des rejets de carbone est insuffisante pour évaluer les conséquences d'un projet.
Un équilibre doit être trouvé entre les objectifs européens en matière d'émissions de carbone et la bonne occupation des sols. Nous devons conserver une filière productive alimentaire sans faire disparaître la filière des biocarburants. Mais si grâce aux nouveaux biocarburants nous produisons mieux et plus efficacement, tant mieux !
J'approuve les propos de Jean-Paul Emorine.
Les capitaux investis sont en voie d'être amortis. Je vous rappelle que le Grenelle s'est prononcé sur la préservation des espaces agricoles. Continuons à progresser vers les biocarburants de deuxième et troisième générations. D'autres options émergeront sans doute grâce aux progrès de la science dans les années à venir, qui seront peut-être peu consommatrices de terres agricoles.
Je remercie chacun d'entre vous de ses observations, y compris M. Bizet... qui a largement validé la proposition de résolution !
La confrontation, parfois tendue, sur le CASI est ancienne. Elle date de la directive 98/70/CE. J'en ai fait l'expérience lorsque, étant membre du Parlement européen, j'ai rapporté l'avis adopté par la commission de l'agriculture sur les biocarburants : le débat fut animé, voire virulent ! La résolution va dans le sens d'un approfondissement, afin que les changements d'affectation des sols soient mieux connus et moins contestables. En Indonésie, on détruit la forêt pour produire de l'huile de palme, qui n'est pas la meilleure sur le plan alimentaire.
Dans certains territoires, il existe des conflits d'intérêts et d'usages entre les cultures vivrières et les cultures de plantation dont la destination est moins valorisante. Tel est le sens de mon propos.
On entend beaucoup l'argument des coproductions alimentaires. J'ai repris la présentation faite par les professionnels du secteur, Sofiproteol et la confédération générale de la coopération agricole (Copa-Cogeca) notamment. Je n'ai pas mentionné le volume en baisse des importations de tourteaux de soja parce que cet élément reste secondaire pour le sujet qui nous occupe.
Il est exact que les industriels ont consenti des investissements importants : ceux engagés après 2007 ne sont pas encore amortis. Mais, la défiscalisation a pour les finances publiques un coût non négligeable. En janvier 2012, la Cour des comptes indiquait qu'en cinq ans, la filière bioéthanol avait reçu 850 millions d'euros, l'État avait perçu 470 millions au titre de la taxe sur la surconsommation et la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) tandis que les consommateurs avaient payé 1,86 milliard d'euros en TGAP et surconsommation. La filière biodiésel a reçu 1,8 milliard d'euros et le consommateur a payé 910 millions. La Cour souligne que l'équilibre du système repose presque exclusivement sur le consommateur. Elle juge ce soutien positif pour l'agriculture, mais sans réelle pertinence pour l'indépendance énergétique et discutable sur le plan environnemental. La fin de la défiscalisation en décembre 2016 est donc justifiée.
Les entreprises industrielles peuvent s'orienter vers la deuxième génération de carburants ; il y faut des mesures lisibles. La Commission européenne a défini des objectifs pour 2020 : cela laisse aux entreprises un délai de sept ans. La visibilité me semble garantie.
Vous proposez d'adopter le taux plafond souhaité par le Président de la République. Je n'avais pas osé le faire, souhaitant d'abord entendre vos avis. Mais je souscris à cette proposition. Le taux de 7 % est raisonnable, même s'il est légèrement supérieur à ce que proposent le Parlement et la Commission. Il est cohérent avec les investissements consentis en France. J'ai lu dans Agence Europe que ce taux est critiqué par six organisations, dont Copa-Cogeca : cela me paraît bon signe !
Notre collègue Jean Bizet n'est pas le porte-parole de cette association.
Une fois n'est pas coutume, je suis celui du Président de la République.
La commission des affaires européennes du Sénat adoptera ainsi une position plus raisonnable que celle des organisations professionnelles.
Je me félicite de la qualité et de la courtoisie du débat, habituels dans cette commission. Nous sommes tous sensibles à la bonne utilisation des terres européennes et soucieux d'éviter les aberrations qui se produisent ailleurs.
L'avis de la Cour des comptes n'est pas aussi binaire et tranché. Quoi qu'il en soit, la France dispose avec les biocarburants d'une filière d'excellence grâce à la fabrication de tourteaux. L'Allemagne ne peut en dire autant avec la méthanisation. Le Président de la République a déclaré le 3 décembre : ...
Ce plaisir réitéré de citer le Président de la République ne laisse pas de m'étonner !
« Je veux rappeler mon choix qui est de maintenir au niveau actuel la production de biocarburant de première génération pour préserver l'outil industriel existant, les emplois qui y sont attachés et surtout la capacité d'innovation et de recherche. Et c'est la raison pour laquelle la France soutient un taux d'incorporation de biocarburant de première génération stabilisé à 7 % et encourage le développement des autres biocarburants au-delà même de ce seuil. Cette position est traduite dans la loi de finances pour l'année prochaine, et je la défendrai également au plan européen par ce que nous sommes aussi dans un débat européen ».
Je me retrouve dans ces propos ainsi que dans la « clause grand-père ». Je souhaite que la proposition de résolution soit complétée en faisant référence à la position du Président de la République.
La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution dans la rédaction suivante :
1 - Le Sénat,
2 - Vu l'article 88-4 de la Constitution,
3 - Vu la Directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 concernant la qualité de l'essence et des carburants diesel et modifiant la directive 93/12/CEE du Conseil ;
4 - Vu la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE ;
5 - Vu le livre blanc du 28 mars 2011 intitulé Feuille de route pour un espace européen unique des transports - Vers un système de transport compétitif et économe en ressources ;
6 - Vu la communication de la Commission au Parlement européen au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, en date du 24 janvier 2013, intitulé Énergies propres et transport : la stratégie européenne en matière de carburants de substitution ;
7 - Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/70/CE et la directive 2009/28/CE [COM (2012) 595 - texte E 7790] ;
8 - Rappelle que le recours aux biocarburants a été motivé par la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour combattre le changement climatique, mais aussi pour diminuer la dépendance envers la production de pétrole, contribuer à redresser la balance des paiements et créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable ;
9 - Observe toutefois que la contribution au changement d'affectation des sols indirect (CASI) semble contredire au moins partiellement les espoirs mis dans les biocarburants quant aux émissions de gaz carbonique, tout en aggravant la difficulté à nourrir 7 milliards d'êtres humains ;
10 - Distingue les biocarburants dits « conventionnels » ou « de première génération », issus de cultures agricoles, qui font l'objet des critiques actuelles, et les carburants dits « avancés » dépourvus de tout conflit d'usage avec la production alimentaire, qui devraient se développer à l'horizon 2020 ;
11 - Constate cependant que l'ampleur et les effets du CASI sont loin de faire l'objet d'un consensus dans le monde scientifique, ce qui impose une certaine retenue dans les décisions à prendre ;
12 - Demande en conséquence :
13 - que soient recherchés les moyens les mieux adaptés pour apprécier l'ampleur du changement d'affectation des sols indirect (CASI) et connaître ses effets sur les cultures alimentaires et sur les émissions de gaz carbonique ;
14 - que les plafonds d'incorporation, ne compromettent pas les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération, afin de ne pas décourager les évolutions ultérieures de cette filière et de préserver l'emploi ;
15 - de porter avec réalisme et détermination le sous-objectif à l'horizon 2020 en faveur des biocarburants avancés, qui n'en sont aujourd'hui qu'à des phases expérimentales ;
16 - de soutenir dans le même esprit les mécanismes de comptage multiple au profit de ces mêmes carburants avancés, qui commenceront à parvenir sur le marché ;
17 - Relève que le Président de la République a préconisé, le 3 décembre 2013, de « maintenir au niveau actuel la production de biocarburants de première génération pour préserver l'outil industriel existant, les emplois qui y sont attachés et surtout la capacité d'innovation et de recherche » et s'est prononcé pour « un taux d'incorporation de biocarburants de première génération stabilisé à 7 % », complété par l'encouragement au « développement des autres biocarburants ou issus de résidus au-delà même de ce seuil » ; partage les objectifs ainsi définis ;
L'autorisation de publier le rapport d'information accompagnant la proposition de résolution est accordée.