Je vous remercie de votre invitation qui nous donne l'occasion de débattre et d'échanger.
Il y a trois ans, la Grèce était un problème pour l'Europe ; aujourd'hui, elle est un problème pour les Grecs. Ceux-ci ont élu une nouvelle majorité, c'est une bonne chose. Nous avons pu mesurer dans le passé que ce pays fonctionnait mal d'un point de vue économique, politique et administratif : il n'est pas aux standards européens. Le jeu politique était organisé autour de deux familles, les Karamanlis et les Papandréou. L'alternance entre elles à chaque élection donnait une apparence démocratique à un jeu clientéliste reposant sur une présentation faussée des réalités. En 2009, la majorité sortante de droite annonçait un déficit budgétaire de 6 %, soit le double de la norme européenne. Le nouveau Premier ministre découvrit qu'en réalité le déficit était de 13 % du PIB, ce qui créa la panique.
Le renouvellement de sa classe politique offre à la Grèce une chance de réformer ses moeurs et de se moderniser. L'équipe en place résulte d'une coalition entre la gauche et l'extrême-droite ; elle a été élue sur un programme démagogique et irréaliste. Ce sont nos interlocuteurs. Leur programme peut être résumé en quelques phrases : nous ne remboursons plus ; nous ne tenons plus compte des « oukases » de Bruxelles ; nous mettrons en place un plan social de plusieurs milliards ; nous demanderons donc de nouveaux prêts.
Les autorités européennes ont réagi avec sang-froid. Elles ont décidé d'aider le gouvernement grec à sauver la face, sans rien lâcher sur le fond. L'hypothèse d'une sortie de la zone euro est totalement utopique et personne n'y a intérêt, et nous encore moins que les Grecs. Les deux précédents plans de sauvetage ont diminué la dette grecque en la transférant en partie sur les autres États membres. La France est exposée à hauteur de 55 milliards d'euros. Si les Grecs abandonnaient l'euro, la France serait remboursée en monnaie de singe. En d'autres termes, les contribuables français paieraient à la place des Grecs, dont les plus riches, c'est-à-dire les armateurs, sont dispensés du paiement de l'impôt en vertu d'une disposition constitutionnelle que le gouvernement hésite à remettre en cause.
Je ne suis pas trop inquiet. Nous avons perdu beaucoup de temps en discussions mais dans trois mois nous aurons trouvé une formule pour que le gouvernement sauve la face et que la Grèce fasse ce qu'elle doit faire.
Vous avez rencontré le vice-président de l'Union européenne, Valdis Dombrovskis. Toutes les conditions sont réunies pour que l'Union enregistre une croissance forte et une relance spontanée grâce à la conjonction de la diminution du prix du pétrole, de la baisse de l'euro, de la politique monétaire généreuse de la Banque centrale européenne et du plan Juncker.
La situation de la France suscite un malaise. La procédure de discipline budgétaire et de sanctions financières a été revue et durcie. Lorsqu'un pays n'honore pas ses engagements, la Commission a le devoir de proposer des sanctions. Elles sont considérées comme adoptées automatiquement par les ministres de l'économie et des finances sauf si une majorité qualifiée d'entre eux s'y opposent. La France a été prise en infraction pour la troisième fois consécutive. La Commission européenne s'est montrée clémente ; selon mon interprétation, elle a accepté de reporter à 2017, c'est-à-dire au prochain quinquennat, le retour du déficit à 3 % du PIB. Le président Hollande avait promis après son élection 3 % en 2013 et l'équilibre en 2015, mais nous avons dérapé. La Commission examinera en avril, mai et juin le contenu des économies à réaliser en 2015, 2016 et 2017. S'est engagée une négociation pour savoir si elles sont comprises dans les 50 milliards déjà prévus.
Le malaise provient en premier lieu de ce que la France, qui devrait donner l'exemple, est aujourd'hui le plus mauvais élève de la zone euro. Elle est le seul pays dont le déficit budgétaire dépasse 4 %.
En second lieu, la situation française met en cause le succès des efforts entrepris depuis trois ans pour renforcer le mécanisme de sanctions et sauver la zone euro. Les procédures prévues par le traité de Maastricht et le pacte de stabilité ont échoué en 2003. Cette année-là, l'Allemagne et la France ont enfreint les critères budgétaires, mais le président Chirac et le chancelier Schröder ont convaincu la Commission de la nécessité de les interpréter de manière souple. Ce mécanisme a, depuis, été réinventé. S'il apparaissait maintenant que l'Europe sanctionne les écarts des petits pays (Portugal, Irlande), mais n'est pas en mesure de sanctionner la France, la crédibilité du système serait mise à mal. Les mêmes règles doivent s'appliquer à tous. Il ne faut pas entrer dans le mécanisme du « too big to fail » qui a été appliqué aux banques.
À l'occasion de la mise en oeuvre du plan Juncker, nous vérifions une fois de plus que le petit budget européen est exsangue. L'essentiel de la crise économique est maintenant derrière nous, l'incendie des marchés financiers est éteint. Je suis cependant inquiet du gouffre existant entre les attentes suscitées par l'Europe après chaque sommet et la faiblesse des moyens dont nous disposons pour les satisfaire. Pour donner un exemple, du fait de l'arrêt de l'opération Mare Nostrum, l'Union européenne doit prendre le relais de l'Italie en ce qui concerne le contrôle de la circulation maritime en Méditerranée mais le budget de Frontex ne couvre que trois mois. De même, l'Union, qui souhaiterait aider la Tunisie, seul pays dans lequel le printemps arabe a débouché sur une transition démocratique réussie, n'a pas les moyens d'honorer ses promesses.
Le plan Juncker, dont nous avons besoin et qui est soutenu par toutes les formations politiques, repose sur des financements privés. Les projets d'investissements sont prêts ; les investisseurs demandent des garanties publiques. Avec 21 milliards de garantie, 315 milliards d'euros pourraient être apportés mais où les trouver ? Nous ne parvenons pas à trouver un milliard d'euros par an pour relancer l'investissement en Europe parce que le budget communautaire est financé à plus de 80% par les contributions budgétaires nationales, contrairement aux traités... Lors de chaque négociation, les 28 ministres des finances se comportent comme autant de Mrs Thatcher réclamant leur argent ! À ce jeu-là, aucune politique européenne ne peut être financée.
Nous avons entrepris avec patience une démarche afin de revenir à une ressource propre, en nous inspirant du financement des collectivités locales. Il ne s'agit pas d'organiser des transferts de souveraineté fiscale entre Paris et Bruxelles, mais de revenir aux traités. Les parlements nationaux doivent affecter des recettes fiscales au budget européen. En matière fiscale, l'unanimité est requise. A ce stade, nous avons un accord des 28 gouvernements sur le principe d'une réforme. Un groupe de travail a été constitué sous la présidence de Mario Monti. Il comporte trois personnalités désignées par le Parlement, trois par la Commission et trois par le Conseil des ministres. Sur la base d'un diagnostic accablant présenté en décembre 2014, le groupe doit remettre ses premières propositions avant la fin de l'année 2015 ; elles alimenteront une conférence interparlementaire à laquelle tous les parlements nationaux seront invités. Celle-ci devrait déboucher sur des propositions concertées que la Commission pourra mettre en oeuvre pour la révision à mi-parcours du budget cadre 2014-2020.