Intervention de Bernard Piras

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 avril 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Point d'actualité sur la situation en hongrie présenté par m. bernard piras

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

Dans mon rapport du 19 juillet dernier sur les déficits démocratique et économique hongrois, j'avais insisté sur la nécessité pour l'Union européenne de prendre position face à l'évolution de la Hongrie, car ce pays s'éloigne des valeurs fondamentales sur lesquelles repose la construction européenne. La nouvelle Constitution ou certaines lois organiques adoptées par le Parlement hongrois soulevaient de réelles difficultés. Budapest jouait sur l'absence de réaction des autorités européennes et sur la lenteur des procédures d'infraction pour mener à bien ce que les idéologues du parti au pouvoir, le Fidesz, qualifient de révolution, mais qui relève plus d'une forme de nationalisme autoritaire. La lenteur des procédures européennes, bien connue, s'aggrave dans le cas de la Hongrie : le délai moyen s'établit à 30 mois contre 26 en moyenne au sein de l'Union. Cela compte pour des médias dont la survie est engagée, ou pour des entreprises étrangères menacées d'éviction du marché local.

Huit mois après, de timides avancées ont été enregistrées concernant la liberté des médias, l'indépendance de la Banque centrale, l'abaissement de l'âge de départ en retraite des juges, ou les entorses à la liberté d'établissement des entreprises. Mais tout cela est remis en cause par un nouvel amendement à la Loi fondamentale qui affaiblit le rôle de la Cour constitutionnelle hongroise, seul véritable contrepouvoir.

La Cour constitutionnelle a, en décembre 2011, annulé plusieurs dispositions de la loi sur les médias, en particulier celles concernant le contenu des médias et la protection des sources d'information des journalistes. Elle avait invalidé, le 16 juillet 2012, l'abaissement immédiat de l'âge de départ en retraite des juges, procureurs et notaires de 70 à 62 ans. Cette purge des services judiciaires a également été jugée contraire au droit communautaire par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 novembre 2012. Un projet de loi est en cours de discussion afin de tenir compte de ces avis.

Le 26 février 2012, elle a annulé plusieurs articles de la loi sur les églises du 1er janvier 2012 qui soumet l'octroi du statut d'église et les financements publics à l'appréciation du parlement, sans justification et sans voie de recours. Depuis lors, 17 communautés religieuses se sont vu refuser le statut.

La Cour a également invalidé la limitation de la publicité politique aux seuls médias publics, ou les mesures contre les sans-abri. Elle a aussi jugée trop restrictive une définition légale de la famille fondée exclusivement sur le mariage et sur la relation entre parents et enfants. Elle a remis en cause la réforme électorale souhaitée par le gouvernement, invalidant une disposition encadrant l'inscription sur les listes électorales.

Enfin, le 28 décembre 2012, la Cour a censuré une large partie des dispositions transitoires censées accompagner le changement constitutionnel, qui reprenaient des dispositions contestables des lois organiques. Elle a estimé que le parlement avait outrepassé son pouvoir législatif en adoptant des dispositions dites transitoires mais qui avaient vocation à durer.

Le parlement a adopté le 11 mars un quatrième amendement à la Loi fondamentale entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Présenté comme un ajustement technique, le texte surprend par son ampleur : 15 pages, quand la Constitution en compte 45. Il aborde une multitude de sujets, des sans-abris au rôle de la Cour constitutionnelle en passant par la criminalisation des formations politiques qui ont succédé au parti communiste hongrois.

Les autorités hongroises prétendent que la Cour constitutionnelle sort renforcée de cette révision de la Loi fondamentale. Sa saisine est désormais ouverte au président de la Cour suprême et au procureur général, mais ces personnalités nommées par le pouvoir. La Cour se voit reconnaître le pouvoir d'exercer un contrôle formel sur les futurs amendements à la Loi fondamentale, mais elle exerçait déjà cette prérogative de façon coutumière. Surtout, une disposition préoccupante interdit au juge constitutionnel de se référer à une jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale !

La jurisprudence de la Cour, souvent qualifiée de Constitution invisible, a permis de définir un certain nombre de valeurs communes, pas toujours inscrites dans la Loi fondamentale. L'interdiction de la peine de mort a pour seule base juridique en Hongrie une décision de la Cour constitutionnelle datant de 1991.

Désormais les 15 membres de la Cour - contre 11 auparavant - et son président sont élus à la majorité des deux-tiers par le parlement, pour un mandat de 12 ans. L'ancien président de la Cour et ancien président de la République, Lázló Sólyom, estime que les récentes nominations sont plus politiques que techniques. Le contrôle de la Cour sur les lois touchant au budget de l'État est désormais limité tant que la dette publique dépassera 50 % du PIB...

Le quatrième amendement comporte un autre enjeu. Le législateur a considéré que la censure du 28 décembre dernier sur les dispositions transitoires était motivée par des considérations de forme et non de fond. Le quatrième amendement réintroduit l'ensemble des dispositions transitoires censurées en les inscrivant dans la Constitution. Elles ne pourront plus être contestées devant la Cour constitutionnelle.

Cette constitutionnalisation excessive était déjà au coeur des réserves exprimées par les organes européens. Si la Constitution prescrit une politique, quel choix démocratique reste-t-il aux électeurs ? Le quatrième amendement renforce cette tendance. Le président de la République est obligé d'approuver les changements constitutionnels, son droit de veto ne vaut que pour les questions formelles.

Le quatrième amendement illustre ce double discours à l'égard de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe que je dénonçais dans mon rapport. Après des échanges avec la commission de la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite commission de Venise, les autorités hongroises avaient ainsi accepté d'amender leur réforme du système judiciaire local. Or le quatrième amendement réintroduit certaines des dispositions contestées. Le président de l'Office pourra ainsi dépayser de façon discrétionnaire une affaire ; quant à l'encadrement de son pouvoir d'administration par un collège de magistrats, qui était souhaité par la Commission de Venise, il relève de la loi ordinaire. Le président de l'Office est élu par le parlement. La fonction est occupée à l'heure actuelle de Mme Tünde Hendo, épouse de Joszef Szajer, député européen du Fidesz et rédacteur de la Constitution.

De même, alors que les lois sur les médias adoptées en 2010 avaient été révisées sous la double pression de la Cour constitutionnelle et des instances européennes, et que des négociations avec le Conseil de l'Europe étaient en cours, le quatrième amendement limite l'usage de la liberté d'expression dès lors qu'elle viole « la dignité de la nation hongroise », concept dont la portée reste à préciser. L'accès libre et égal aux médias est limité aux seules périodes électorales.

Les autorités souhaitent que les étudiants hongrois aidés par l'État travaillent en Hongrie pendant une durée égale au double de leur temps de formation. Face aux réserves de Bruxelles, Budapest s'est engagé à apporter des éléments de réponse. Or ce principe est consacré dans la Constitution par le quatrième amendement.

Le pays met en place des taxes spéciales pour financer d'éventuelles amendes infligées par l'Union européenne : c'est l'annonce d'un affrontement à venir avec les instances européennes.

La Commission européenne a indiqué le 12 mars dernier qu'elle analyserait rapidement ces changements. Dans un communiqué commun avec le Conseil de l'Europe, elle a insisté sur les préoccupations que cet amendement suscitait au regard de l'État de droit et regretté que le dispositif ne lui ait pas été transmis au préalable.

Il y a urgence, car il n'existe plus à l'heure actuelle de contrepouvoir en Hongrie. La Cour constitutionnelle est affaiblie, le président de la République lié au parlement et au Fidesz, les médias critiques sont en difficulté financièrement et l'opposition politique continue à souffrir d'un déficit de crédibilité. Quant à la Banque centrale, principal foyer de contestation de la politique économique hétérodoxe du gouvernement, elle est désormais gouvernée par l'ancien ministre de l'économie György Matolcsy. Ce proche de Viktor Orban qualifiait il y a peu le modèle économique hongrois de « conte de fées ». Son pays est pourtant toujours sous la menace d'une procédure pour déficit excessif. Près de 30 % de la population hongroise vit sous le seuil de pauvreté ; une croissance nulle est prévue pour 2013.

Le 12 avril dernier, M. Barroso a adressé un courrier à Viktor Orban soulignant trois éléments passibles de procédures d'infraction : les taxes destinées à financer d'éventuelles amendes européennes, les pouvoirs du président de l'Office national des magistrats, et les restrictions apportées à la publication de messages politiques dans les médias publics.

Il convient d'aller plus loin. Dans mon rapport de juillet, je préconisais l'application de l'article 7 du traité, ce qui a irrité l'ambassade de Hongrie en France. Cet article dispose qu'en cas de violation grave et persistante par un État membre des valeurs fondamentales de l'Union européenne, le Conseil peut suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'État membre en question, y compris ses droits de vote au Conseil. Cette option est désormais évoquée par Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté. Une lettre des ministres des affaires européennes allemand, autrichien, finlandais et néerlandais invitait déjà la Commission à se doter d'un nouveau dispositif sanctionnant de tels dérapages.

La procédure de l'article 7 est déclenchée sur proposition motivée d'un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission. Le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres, après approbation du Parlement européen, peut alors constater qu'il existe un risque clair de violation grave des valeurs fondamentales. Le Conseil constate ensuite l'existence d'une violation, à l'unanimité, sur proposition d'un tiers des États membres ou de la Commission et après approbation du Parlement européen. Le Conseil décide ensuite à la majorité qualifiée de suspendre certains droits.

Cette procédure lourde n'est sans doute pas parfaitement adaptée au cas hongrois. Néanmoins son lancement constituerait un signal fort. L'Union européenne a renforcé dans la période récente la promotion de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'homme : un représentant spécial pour les droits de l'homme a été créé en juillet 2012. Quelle sera la crédibilité de l'Union si elle ne réagit pas sérieusement à de telles atteintes aux principes démocratiques ? Se contenter de simples menaces verbales renforce le gouvernement hongrois en place. Il est plus que temps de faire pression sur la Hongrie pour qu'elle respecte les valeurs européennes.

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