Intervention de Éric Bocquet

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 novembre 2015 à 8h35
Transports — Transparence et concurrence dans le transport aérien : rapport d'information et avis politique de mm. jean bizet éric bocquet claude kern et simon sutour

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

J'achève donc la présentation du rapport et de l'avis politique avec la gestion du personnel, la dimension la plus importante à mes yeux de ce qui vient fausser la concurrence entre les grandes compagnies historiques d'une part et les compagnies low cost d'autre part.

En ce domaine, l'imagination est au pouvoir, mais seulement pour le pire !

Au début est l'embauche. Hôtesses, stewards et pilotes n'ayant jamais travaillé pour la compagnie doivent bénéficier d'une formation d'adaptation à l'emploi. Jusque-là, rien d'inhabituel. Pourtant, cette forme très particulière d'entreprise se singularise en faisant payer cette formation. Les conditions de travail parfaitement déplorables aidant, le turnover de la main-d'oeuvre est très élevé. À l'exception des pilotes, le personnel navigant ne reste guère plus d'un an. Et les nouvelles recrues vont payer de nouveau ! C'est un exemple unique où le mécontentement légitime du personnel se traduit par des recettes supplémentaires encaissées par l'employeur. Au demeurant, que les pilotes restent plus longtemps ne signifient pas qu'ils payent moins : lorsque le temps de vol annuel est insuffisant pour conserver la qualification professionnelle, les pilotes payent pour voler. C'est simple, mais il fallait y penser ! Dans sa résolution du 11 novembre, le Parlement européen a fustigé cette pratique, communément dénommée « pay for fly ».

Cette originalité n'est d'ailleurs pas la seule, puisque l'emploi dit « atypique » est fréquent dans le monde du low cost. Qu'est-ce que l'emploi atypique ? Concrètement, il s'agit de contrats à durée déterminée, d'emploi via une société d'intérim, enfin du recours à de prétendus travailleurs indépendants. Dans ce dernier cas, des personnes n'ayant aucun employeur autre que Ryanair par exemple sont rémunérés à la prestation, un peu comme on ferait pour son plombier qui aurait réparé une fuite. La différence est que ce pilote prétendument indépendant travaille exactement dans les mêmes conditions, à la même fréquence et avec la même subordination qu'un pilote salarié. Mais son employeur ne lui paye aucune protection sociale et l'éventuelle cessation du travail n'étant pas un licenciement, aucune indemnisation n'est versée à ce titre !

Faut-il ajouter que l'action syndicale est pratiquement impossible dans ce cadre. Interdire tout syndicat est illégal. Certes, mais les compagnies low cost ne sont pas nécessairement à ce genre de détail près lorsqu'elles font héberger le personnel navigant dans un camping ! C'est moins cher que l'hôtel, et nul ne peut y voir une résidence principale, ni une base d'affectation. Pour achever mon propos, je mentionnerai moi aussi l'évasion fiscale et sociale. En effet, les prétendus travailleurs indépendants d'un genre particulier sont habituellement domiciliés dans un paradis fiscal, par exemple une île anglo-normande. Ainsi, la rémunération versée ne subit aucune diminution ultérieure au titre de l'impôt sur les revenus. Idem pour les cotisations sociales. Résultat : le train de vie immédiatement procuré par la rémunération est comparable à celui des salariés de droit commun effectuant le même travail dans les compagnies historiques, mais l'employeur low cost dépense deux fois moins. Son personnel est privé de toute protection sociale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion