Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 janvier 2012 : 1ère réunion
Politique de coopération — Point d'actualité sur l'union pour la méditerranée - communication de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, président :

A propos du printemps arabe, on est tenté une fois de plus de dire que si les peuples font l'histoire, ils ne savent pas laquelle, pas plus que nous d'ailleurs.

Certains parlent déjà d'échec de la politique méditerranéenne de l'Union européenne, mais c'est aller trop vite et trop loin.

Certes la période troublée que connaît la rive sud de la Méditerranée n'aide en rien l'Europe à trouver ses marques ni à agir dans la durée, les récentes élections en Tunisie, en Égypte et même au Maroc, faisant craindre à certains que le « printemps arabe » n'aboutisse à un « hiver islamiste ».

Pourtant, les espoirs qu'ont fait naître les révolutions arabes ont stimulé les Occidentaux, et il ne se passe pas un jour sans que l'Union européenne n'évoque un renforcement de la coopération avec la rive sud. Certains de nos amis méditerranéens - les Marocains en particulier - ne se privent certes plus d'exprimer leurs doutes sur l'efficacité de l'Union pour la Méditerranée et leur préférence pour le dialogue en Méditerranée occidentale dans le cadre dit 5+5, enceinte de dialogue politique informel créée en 1990, consistant en réunions régulières des ministres des affaires étrangères et de l'intérieur de l'Algérie, de la Libye, du Maroc, de la Mauritanie, de la Tunisie, de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de Malte et du Portugal. Mais rappelons que les crédits alimentant la coopération avec cette partie du monde provenant du budget européen, leur distribution doit se faire selon des critères établis par l'Union européenne, la mise en oeuvre des projets s'effectuant en principe dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UpM), dont l'Assemblée parlementaire associe l'ensemble des pays de l'UE et des pays riverains du nord et du sud, à la différence de l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) où seuls les pays riverains sont représentés.

Tel est du moins le schéma idéal vers lequel il s'agit de tendre, mais qui exige que la transition démocratique soit achevée ou du moins que la situation politique soit stabilisée. Je rappelle, à titre d'exemple, que la Syrie vient de se retirer de l'Union pour la Méditerranée tandis que la Libye y entrait, que certains pays arabes continuent à refuser toute rencontre avec le ministre israélien des affaires étrangères, que la Tunisie envisage de voter une loi lui interdisant d'appartenir à tout organisme international où siègerait aussi Israël, et enfin que le secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée, le deuxième en dix-huit mois, vient de quitter son poste pour rejoindre le nouveau gouvernement marocain alors qu'il avait été nommé il y a seulement six mois, la désignation de son successeur s'annonçant difficile du fait du manque de candidats.

Avant d'évoquer les difficultés politiques résultant de la situation actuelle de la rive sud de la Méditerranée, permettez-moi de rappeler les objectifs actuels et concrets du programme de l'Union pour la Méditerranée.

Son secrétariat général, installé à Barcelone, compte désormais plus de 40 personnes travaillant sur les six secteurs prioritaires identifiés par la déclaration dite de Paris, son budget pour 2012 s'élevant à 6,2 millions d'euros.

S'agissant de la coprésidence de l'organisation, l'Égypte qui l'assurait pour la rive sud a annoncé qu'elle souhaitait passer le relais dans les meilleurs délais ; pour la rive nord, la réflexion se poursuit sur la possibilité de transférer définitivement la coprésidence actuellement confiée à la France, à la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Ashton ès qualités.

Par ailleurs, à l'exception des ministres des affaires étrangères, les membres des gouvernements des pays membres continuent de se rencontrer, les chefs d'État et de gouvernement n'ayant en revanche pas été en mesure de se réunir depuis longtemps, le sommet prévu en 2010 ayant constamment été reporté.

Enfin, les commissions permanentes de l'UpM siègent régulièrement et l'assemblée plénière prévue en mars prochain à Rabat est maintenue, même si la date ne pourra être confirmée qu'en février du fait des élections marocaines.

Quant aux projets de l'UpM, ils sont maintenus et actualisés, les instruments de la politique européenne de voisinage, à titre bilatéral, et de l'Union pour la Méditerranée, à titre multilatéral, devant, conformément aux déclarations des derniers Conseils européens, accompagner la transition et les réformes en cours dans la région.

L'Union pour la Méditerranée doit ainsi mener des projets mobilisateurs en matière économique en faveur de l'évolution de la société - avec des projets portant sur l'enseignement supérieur et sur la promotion du rôle des femmes -, et en matière d'environnement et de mobilité. A moyen terme, il se pourrait d'ailleurs qu'au moins les trois quarts des fonds de l'instrument européen de voisinage et de partenariat soient consacrés aux projets de l'UpM.

En outre, l'Union européenne insiste sur l'importance de la société civile, la Commission ayant d'une part mis en réserve une dotation budgétaire de 2 millions d'euros pour le financement d'actions destinées au renforcement des capacités des acteurs non étatiques et à la promotion des réformes ainsi qu'à l'accroissement de la responsabilité publique, et le commissaire européen à l'élargissement et à la politique de voisinage ayant d'autre part présenté un programme triennal visant à mobiliser et à revitaliser les sociétés civiles ainsi qu'à améliorer leur capacité de participer à la transition démocratique.

On ne saurait donc accuser l'Europe de se désintéresser de cette région du monde, mais ces projets ne peuvent être menés à bien que si les conditions de leur exécution sont réunies.

Or, non seulement la transition démocratique semble loin d'être achevée, mais en outre, dans les pays où des élections libres ont été organisées, les forces neuves issues de la révolution n'ont pas trouvé leur expression dans les urnes, et les partis islamistes sont arrivés en tête et ont obtenu une majorité relative de sièges. Plus généralement, l'action de l'Union pour la Méditerranée est gênée par l'actuelle instabilité des pays du sud.

En effet, si le premier obstacle à l'action de l'UpM demeure le conflit israélo-palestinien, l'organisation ne peut pas intervenir ni fonctionner normalement dès lors que ses principaux membres connaissent des difficultés intérieures et que certains d'entre eux expriment leur doute sur son bien fondé. Je prendrai simplement l'exemple de la dernière réunion de l'UpM, tenue à Vienne, à laquelle j'ai participé, où le représentant égyptien était absent.

Bien que les autorités marocaines s'en défendent, leur scepticisme à l'égard de l'Union pour la Méditerranée ne fait guère de doute, et le fait que le secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée ait accepté le poste de ministre délégué aux affaires étrangères n'a pas surpris.

Quant à la Turquie, portée par des résultats économiques très brillants et une stabilité politique et sociale enviable, elle renforce son statut de puissance régionale, son Premier ministre ayant ainsi réalisé une tournée triomphale dans les capitales arabes où les islamistes modérés se réclament de lui et érigent son pays en modèle. Outre le désir d'apparaître comme un guide plus convaincant que l'Occident pour les pays libérés de la dictature, la Turquie a toujours imaginé, en le regrettant, que son adhésion à l'UpM pourrait faire figure d'alternative à son adhésion à l'Union européenne, et elle fait à l'Europe le procès de vouloir utiliser cette institution pour limiter les migrations.

A ces scepticismes marocain et turc, s'ajoute l'inquiétude de l'Union européenne à l'égard de la Syrie, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et, à un moindre degré, du Maroc.

En Syrie, la révolte contre le régime de Bachar el-Assad se poursuivant malgré la répression meurtrière, l'Union européenne a pris des sanctions et en représailles, le pays s'est retiré de l'UpM. Le spectre d'une guerre civile est aujourd'hui dans tous les esprits, ainsi que les effets qu'elle pourrait avoir sur le Liban, entraînant l'éclatement des deux pays, qui sont de véritables mosaïques confessionnelles, en plusieurs entités religieuses.

En Algérie, le gouvernement fait face à des mouvements de révolte sporadique qu'il semble maîtriser en distribuant l'argent de la rente pétrolière, mais le déséquilibre demeure entre l'oligarchie et l'immense majorité de la population, qui vit dans des conditions difficiles malgré la richesse du pays. Est toutefois plutôt favorable au gouvernement algérien le fait que les islamistes du FIS sont associés à la terreur qui a ensanglanté le pays pendant plusieurs années. Les Algériens préfèrent donc supporter le pouvoir en place plutôt que de connaître à nouveau la guerre civile.

La Tunisie, quant à elle, vient de franchir la première étape de sa transition démocratique par l'élection libre d'une assemblée constituante. Ce scrutin a été remporté par le parti Ennahda, prenant modèle sur le parti AKP turc, qui dirige le gouvernement en coalition avec les sociaux-démocrates et la gauche républicaine.

Bien que n'ayant pas participé - du moins à ses débuts - à la révolution du jasmin, ce parti en est considéré comme le grand bénéficiaire car il apparaît aux yeux des électeurs comme l'adversaire martyr de l'ancienne dictature.

Son succès relatif aux élections continue à susciter la défiance des classes les plus évoluées de la société tunisienne.

En Égypte, le processus électoral achevé le 11 janvier dernier a donné la victoire aux frères musulmans du Parti de la Liberté et de la Justice comparables à Ennahda ou à l'AKP, qui sont en train de former une coalition gouvernementale avec les salafistes, partisans d'un Islam radical. Leur programme est au demeurant flou, leur campagne ayant été basée sur le slogan « l'Islam est la solution ». Interrogée sur l'application de la Charia, la coalition a répondu qu'elle n'était pas encore à l'ordre du jour et il semblerait que la coalition islamiste maintienne son engagement de respecter le traité de paix conclu avec Israël en 1979. Quoi qu'il en soit, la réalité du pouvoir semble encore largement entre les mains de l'armée égyptienne, l'élection présidentielle étant prévue en 2012.

En Libye, depuis la chute du colonel Kadhafi, le Conseil de Transition tente de gouverner le pays et de désarmer les milices. Mais il semble qu'il n'y ait plus d'armée nationale digne de ce nom, et que d'importantes quantités d'armes circulent librement dans le pays, ce qui rend la situation inquiétante et propice au terrorisme.

Au Maroc enfin, les élections qui ont suivi la réforme constitutionnelle lancée par le roi ont porté au pouvoir les islamistes modérés du Parti de la Justice et du Développement alliés à l'Istiqlal, l'ancien parti indépendantiste. Une forme de cohabitation s'est installée entre le roi, qui conserve des pouvoirs importants et le Premier ministre, M. Benkirane, qui n'entend pas se laisser voler sa victoire, certes encore toute relative puisqu'il n'a obtenu que 107 sièges sur 395.

Il est donc naturel que, dans ces conditions, l'action de l'Union pour la Méditerranée reste bridée et que l'Union européenne, tout en saluant le courage de la jeunesse et des classes moyennes qui se sont révoltées et en appelant de ses voeux une démocratisation de la région, s'interroge sur l'avenir dans des domaines aussi essentiels que la stabilité politique et celle des frontières, l'accès aux matières premières, l'endiguement de l'intégrisme religieux, le contrôle des flux migratoires et la garantie des accords militaires et des traités avec Israël.

L'incertitude sur des sujets aussi importants se traduit pour l'Union européenne par un manque de visibilité qui gêne le renforcement de sa politique méditerranéenne, alors que la situation actuelle devrait au contraire l'y encourager.

Telle est la façon, certes pas très optimiste, dont je perçois la situation actuelle de l'UpM. En effet, bien que l'on puisse se réjouir de certaines évolutions, n'oublions pas que l'enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion