Intervention de Richard Yung

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 janvier 2012 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Régulation des marchés financiers textes e 6748 et e 6759 - proposition de résolution européenne de m. richard yung

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur :

Les crises récentes ont révélé la faiblesse de la réglementation et de la régulation des marchés financiers. Certes, les différentes réunions du G20 qui se sont succédées après la crise de 2008 ont conduit à adopter certaines mesures, mais finalement, pensant que nous étions sortis de la crise, nous sommes progressivement devenus moins actifs sur ces sujets.

C'est dans ce contexte qu'un poids gigantesque a été pris par les marchés des produits dérivés, produits financiers basés sur un produit réel dit sous-jacent qui peut être par exemple une action, le cours d'une matière première ou encore un indice des prix. Ces produits qui présentent l'avantage de nécessiter des mises de fonds beaucoup moins importantes que l'achat du produit sous-jacent ont été conçus pour que les différents acteurs économiques puissent transférer le risque et se prémunir ainsi contre l'évolution défavorable du cours d'un actif. Or c'est à partir d'eux que se sont développées des bulles spéculatives qui atteignent aujourd'hui un montant total évalué à 600 000 milliards de dollars, soit douze fois le PIB mondial. Ces montants invraisemblables s'expliquent par le fait qu'il s'agit de contrats basés sur des contrats, eux mêmes basés sur des contrats, une telle construction constituant bien entendu un facteur de risque considérable.

Face à cette situation, l'Union européenne a pris de nombreuses initiatives en matière de régulation des marchés, la proposition de résolution que je vous présente portant sur deux d'entre elles : le règlement dit EMIR visant à réguler le marché des produits dérivés négociés de gré à gré, et la révision de la directive relative aux marchés d'instruments financiers dite « MIF II ».

La réglementation en vigueur, dite « MIF I », qui régit aujourd'hui les produits des sociétés d'investissement et les bourses traditionnelles, a favorisé la libéralisation des marchés européens. Elle a ainsi conduit à une modification importante de l'organisation des marchés financiers. Ils sont en constante évolution, comme l'a montré l'échec de la fusion de la bourse de New York (NYSE) avec la bourse de Francfort après l'avis négatif de la Commission européenne.

La directive MIF I a supprimé la règle de concentration des ordres d'achat et de vente sur les marchés aux termes de laquelle la confrontation entre l'offre et la demande doit être réalisée en un lieu unique. Le monopole des bourses traditionnelles a ainsi disparu au bénéfice de multiples plateformes d'échange sur lesquelles il est devenu possible de vendre et d'acheter des actions. Ces plateformes doivent offrir la transparence des prix et des quantités échangées, mais il existe de nombreuses plateformes, disons dissidentes, qui sont beaucoup plus opaques.

Le projet de directive que nous examinons reconnait quant à lui deux catégories de marchés qui sont, d'une part, les marchés réglementés, dont les bourses traditionnelles, dans lesquels la confrontation de l'offre et de la demande est soumise à une exigence de transparence, et d'autre part, les systèmes multilatéraux de négociation (SMN), plateformes spécialisées dans la négociation de certains titres, comme le cours d'une matière première par exemple, également soumises à certaines obligations de transparence. L'ensemble de ces marchés offrent donc des garanties d'accès non discriminatoires et des règles de libre concurrence.

J'ajoute que la directive MIF 1 avait aussi créé un statut hors marché organisé pour les intermédiaires financiers, dénommés « internalisateurs systématiques » destiné à des sociétés d'investissement exécutant les ordres de leurs clients tout en étant eux-mêmes partie prenante à ce marché.

Or, force est de constater que, malgré ces exigences de transparence, le fonctionnement de ces marchés ne s'est pas révélé efficace : le bilan de cette première directive apparait donc décevant.

En effet, les obligations de transparence pré- et post-négociation appliquées aux marchés réglementés et aux systèmes multilatéraux de négociation ne concernaient pas les bénéficiaires des nombreuses dérogations que la directive laissait subsister. Ceci a conduit à un transfert d'une large partie des activités financières des marchés transparents vers des systèmes plus opaques, non réglementés tels que les « dark pools », c'est-à-dire des systèmes de négociation qui garantissent l'anonymat aux clients. Ils sont aujourd'hui en plein développement et on les justifie au motif, extrêmement curieux me semble-t-il, que cet anonymat contribuerait à ne pas troubler les marchés. Des « crossing networks », ou réseaux croisés, se sont développés, qui réalisent le même type d'opérations sans publication ni transparence. Parallèlement, la passation automatique des ordres de bourse s'est diffusée ainsi que le trading à haute fréquence qui repose sur des modèles informatisés programmant des opérations à un rythme de l'ordre de la nanoseconde, ce qui aboutit à conférer le contrôle des marchés aux concepteurs de ces systèmes, écartant ainsi l'immense majorité des clients de la compréhension de leur fonctionnement réel.

Précisons enfin, qu'aujourd'hui, les produits dérivés sont, pour plus de 80 % d'entre eux, échangés « Over the counter » (OTC), c'est-à-dire sous forme de négociations de gré à gré en dehors des marchés réglementés ou des plateformes contrôlées.

Aussi est-il indispensable de faire évoluer la régulation des marchés en complétant la législation, ce qui est l'objet de la révision de la directive. Il s'agit notamment d'assurer un fonctionnement efficient des marchés, de renforcer la protection des investisseurs, de réduire les risques, ou encore d'étendre le champ de la régulation au-delà des seules actions. Or, sur ce dernier point, je relève qu'un communiqué de presse de M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité des marchés financiers (AMF), publié hier préconise que toutes les transactions sur les produits dérivés basés sur des actions - mais seulement les dérivés d'actions et non des autres sous-jacents - transitent désormais par des plateformes organisées. La révision de la directive doit également permettre d'éviter les risques systémiques, par un contrôle accru sur ces produits dérivés devenus de véritables bombes pour nos économies.

Le texte propose également une redéfinition des frontières entre le marché de gré à gré et le marché organisé afin de couvrir un plus grand nombre de transactions. Autrement dit, il s'agit d'essayer de ramener, au sein des marchés régulés, une partie des opérations qui échappent à tout contrôle, en créant une nouvelle catégorie de système de marché : les OTF ou « organised trading facilities ».

La proposition comporte l'obligation de négocier sur des marchés organisés soumis à des obligations de transparence les produits dérivés désignés par l'autorité européenne des marchés financiers (AEMF), chargée de coordonner les opérations et les pratiques de chaque superviseur national.

Deuxième ambition du texte : une obligation accrue de transparence, étendue aux produits dérivés. Les exemptions seront soumises à l'accord préalable de l'AEMF. Les trous ouverts dans la législation seront-ils assez importants pour que continuent à se développer des marchés non transparents ? Le texte préconise le regroupement en un seul lieu de l'ensemble des données de marché, afin de donner aux investisseurs et aux superviseurs une vue d'ensemble, c'est ce que l'on appelle consolidated tape. Les Américains le font. Ils ont monté un système coopératif entre participants à cet effet et disposent d'un organisme pour gérer cela. Il est souhaitable que l'Europe s'y mette.

Troisième ambition : un contrôle renforcé des nouvelles pratiques de marché. La proposition prévoit une obligation d'informer les régulateurs nationaux. Sera-ce un voeu pieux ? Les équipes qui font les programmes sont extrêmement pointues ; nombre de ces spécialistes viennent de l'école polytechnique... Aujourd'hui, les ingénieurs ne construisent plus de ponts, mais conçoivent des programmes informatiques.

Le texte confère aux autorités de surveillance nationales le pouvoir d'interdire certains produits, services et pratiques : espérons, là aussi, que ce sera autre chose qu'un voeu pieux !

Le problème des chambres de compensation a été évoqué plusieurs fois hier. C'est à travers elles que seront donc compensées les transactions sur produits dérivés. La chambre de compensation à l'ancienne, c'est cette pile de chèques que l'on regroupe, en fin de journée, selon les banques qui les ont émis, afin de consolider, pour chaque banque, un solde des transactions. L'idée est de faire de même avec les produits dérivés. Les chambres de compensation assurent le risque de contrepartie, puisqu'il faut, en fin de journée, dénouer les positions, pour ne pas rester avec un déséquilibre. Une partie des risques est donc transférée aux chambres de compensation. Il est imaginable qu'un jour, l'une d'elles se trouve dans une situation difficile, voire de défaut, si l'un des grands acteurs se déclare lui-même en défaut. La banque ne serait pas alors la seule à sauter, la chambre de compensation sauterait aussi. Il faudrait alors que les membres des chambres de compensation prennent leurs responsabilités mais qu'un adossement de ces chambres de compensation à la BCE permette d'assurer la liquidité. C'est le cas aux Etats-Unis où elles sont adossées à la FED. J'ai demandé si cela faisait partie des missions de la BCE, puisque j'ai cru comprendre que la définition de celles-ci pouvait poser problème...

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