Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 janvier 2016 à 18h00
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international chargé des affaires européennes sur les conclusions et les suites du conseil européen des 17 et 18 décembre 2015

Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes :

Je vous adresse également mes meilleurs voeux : que cette année de tous les périls pour l'Europe permette de la renforcer.

Demain matin, les priorités européennes de la France seront présentées par le Premier ministre en Conseil des ministres.

Les travaux du Conseil européen des 17 et 18 décembre ont porté sur les grandes crises auxquelles l'Europe est confrontée - réfugiés, terrorisme - mais aussi sur plusieurs chantiers structurants pour l'avenir de l'Union : approfondissement de l'union économique et monétaire, renforcement du marché intérieur, Union de l'énergie, référendum britannique.

Concernant les réfugiés, priorité a été donnée, sous l'impulsion du Président de la République, à la mise en oeuvre concrète des décisions déjà prises, dans le cadre du Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), concernant les hot spots, la répartition solidaire des réfugiés, le retour des migrants illégaux et le contrôle des frontières extérieures. Si l'un de ces maillons se révélait faible, le dispositif tout entier serait fragilisé et décrédibilisé. La réponse de l'Europe à cette crise doit être conforme à nos valeurs mais ferme à l'égard de ceux qui ne relèvent pas de la protection européenne.

Les hot spots dans les pays de premier accueil - Grèce et Italie - ont pour but d'enregistrer les réfugiés, d'effectuer les contrôles de sécurité, de distinguer ceux qui relèvent de la protection internationale des autres. Or, leur mise en place est trop lente : sur les six hot spots prévus en Italie, deux n'ont toujours pas d'officiers Frontex et trois sont dépourvus d'agents du Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA). Sur les cinq hot spots grecs, trois seulement fonctionnent, dont deux sans agents du BEAA. Leur capacité d'accueil ne dépasse pas 1 850 réfugiés, alors que les arrivées journalières se chiffrent en milliers, notamment en Grèce, et que les naufrages se poursuivent en Méditerranée centrale, ce qui démontre que le trafic en partance de Libye n'a pas cessé.

Le bilan actuel des relocalisations n'est pas plus satisfaisant : alors qu'en deux ans, 160 000 réfugiés devaient être répartis dans toute l'Europe, ils ne sont aujourd'hui que 272 à l'être, dont 190 depuis l'Italie et 82 depuis la Grèce. Certains pays n'ont pas encore nommé d'officiers de liaison avec les pays de premier accueil et d'autres n'ont pas répondu aux sollicitations du BEAA.

La politique de retour a fait l'objet d'un plan d'action adopté par le Conseil JAI du 15 octobre. Depuis septembre, 683 personnes non admises à bénéficier du statut de réfugié en Europe ont été ramenées dans leur pays d'origine. Frontex devra avoir les moyens de financer ces retours qui ne peuvent dépendre uniquement de l'Italie ou de la Grèce.

L'aide humanitaire doit être à même de maintenir les réfugiés dans les pays frontaliers de la Syrie comme la Turquie, le Liban et la Jordanie. La France a tenu ses engagements en faveur du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du programme alimentaire mondial (PAM). Le rôle central de la Turquie dans la résolution de la crise migratoire a été rappelé lors d'une réunion informelle avec le chancelier autrichien, la chancelière allemande, le président de la Commission européenne, le vice-président Timmermans, le Premier ministre turc et moi-même. M. Ahmet Davutoðlu a présenté l'avancement du plan d'action négocié avec la Commission européenne : création de passeports biométriques, amélioration de l'accès au travail des Syriens, renforcement des contrôles des ressortissants de pays tiers non européens qui transitent par la Turquie pour venir en Europe. Nous avons également évoqué la coopération avec la Bulgarie et la Grèce, la lutte contre les filières de trafiquants, la coopération avec Europol. Le 7 janvier, M. Timmermans a néanmoins rappelé que le flux de migrants partant de la Turquie vers la Grèce restait trop important.

Le Conseil européen a soutenu le « paquet frontières » adopté par la Commission européenne le 15 décembre. Celui-ci inclut une révision ciblée du code frontières de Schengen, pour permettre des contrôles systématiques aux frontières extérieures, y compris de citoyens européens qui reviennent dans l'Union ; il comporte aussi une révision du mandat de Frontex, afin que cette agence puisse procéder à des opérations qui relevaient jusqu'à présent de la souveraineté des États membres, grâce à la création d'un corps de garde-frontières européens. Ainsi, l'Union pourrait intervenir rapidement à ses frontières extérieures, sans en référer à un État membre, ce qui permettrait d'éviter les situations que nous avons connues en Hongrie, puis en Grèce. En outre, grâce à ces garde-frontières européens, le gouvernement d'union nationale libyen pourra demander à l'Union européenne d'opérer dans les eaux territoriales pour lutter contre les départs de bateaux.

Hier, j'ai rencontré à La Haye le ministre des affaires étrangères néerlandais, qui va assurer la présidence du Conseil des ministres pendant ce semestre. Durant sa présidence, le « paquet frontières » devra avoir été adopté.

Le deuxième grand sujet concerne la lutte contre le terrorisme. Pour la première fois, l'article 42-7 du traité de l'Union européenne - à savoir la clause d'assistance mutuelle - a été évoqué : la France a sollicité l'appui de l'Europe, pour ses opérations militaires contre Daech en Syrie et en Irak, ainsi que pour ses opérations au Sahel ou en République centrafricaine. La réponse a été unanime et la majorité des États membres a déjà fait connaître la teneur de sa contribution militaire. Ainsi, le Bundesrat, qui doit se prononcer avant toute opération militaire, a donné son accord à une très large majorité. La construction de l'Europe de la défense est donc en marche.

En matière de lutte contre le terrorisme, la priorité est à la mise en oeuvre du plan d'action décidé lors du Conseil européen du 12 février. En décembre, tirant les premières leçons des attentats du 13 novembre, les chefs d'État et de Gouvernement ont insisté sur l'importance des échanges via les systèmes d'information Schengen et Europol. Tout agent contrôlant les entrées dans l'espace Schengen doit connaître les signalements émis par tout État de l'Union, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

L'accord intervenu sur le PNR européen, outil indispensable, constitue une étape importante : le Parlement européen doit maintenant confirmer en plénière l'engagement qu'il a pris dans le cadre du trilogue.

Trois autres sujets ont été abordés lors du Conseil. D'abord, l'approfondissement de l'union économique et monétaire, à la suite du rapport des cinq présidents. Le Conseil européen a insisté sur la gouvernance de la zone euro et la nécessaire mise en oeuvre de l'union bancaire. Après que le deuxième pilier est entré pleinement en fonction - le mécanisme de résolution unique étant opérationnel depuis le 1er janvier -, la construction du troisième pilier doit être achevée, afin de garantir les dépôts. Nous allons donc poursuivre notre débat avec l'Allemagne.

Deuxième sujet : des propositions législatives devront être présentées pour approfondir le marché intérieur, notamment le marché unique du numérique. Nous serons très vigilants sur la régulation des plateformes, les droits d'auteur et la diversité culturelle. L'union des marchés de capitaux devrait améliorer le financement des PME.

L'Union de l'énergie, troisième sujet abordé par le Conseil, concerne des dossiers précis comme celui du gazoduc Nord Stream. Le « paquet énergie-climat » et le projet de l'Union de l'énergie qui ont été confirmés par la COP 21, doivent être transcrits dans les textes législatifs pour assurer la sécurité énergétique de l'Europe tout en respectant les objectifs de transition énergétique.

Enfin, un point de l'ordre du jour du Conseil européen a été consacré au référendum britannique. David Cameron a présenté ses demandes. Avant le Conseil, il a été décidé que cette négociation serait conclue en février. Le président de la Commission européenne et le président du Conseil européen vont donc consulter l'ensemble des États membres sur les quatre points soulevés par le Gouvernement britannique. S'il faut tenir compte de ses demandes, cela ne peut se faire au détriment des acquis de l'Union. Tout ce qui peut rassurer les Britanniques et améliorer le fonctionnement de l'Union doit être retenu, mais sans bouleverser les relations entre les pays de la zone euro et les autres. Rien ne doit freiner l'intégration de la zone euro. De même, tout ce qui touche à la liberté de circulation et à la citoyenneté européenne ne saurait être remis en cause. En revanche, la Cour de justice a rendu des arrêts qui permettent de lutter contre les abus sociaux : nous devons en tenir compte.

Entre le Conseil européen de février et le référendum britannique, qui interviendra six à huit mois après, tous les dossiers risquent d'être suspendus dans l'attente du résultat, de crainte qu'une décision ne soit utilisée par les partisans du non. Ce ne serait pas acceptable. En outre, l'accord auquel nous parviendrons aura-t-il une réelle influence sur le vote des Britanniques ? Il est permis d'en douter, car depuis des lustres, des partis et des médias expliquent aux Anglais que l'Union est une abomination. À nous de convaincre ce peuple de rester avec nous alors qu'une crise de civilisation nous menace.

Le Conseil européen a également échangé sur la crise syrienne et sur la situation en Libye. Nous devons avoir une position cohérente pour que les autres grandes puissances travaillent, avec nous, à une issue politique. Dans l'affaire libyenne, tous les pays voisins et tous ceux qui comptent dans la région, comme la Turquie, les Émirats et le Qatar, doivent privilégier la formation d'un gouvernement d'union nationale. Les Libyens qui refuseraient cette voie devront être privés de soutiens internationaux.

2016 est l'année de tous les dangers pour l'Europe : soit l'Union se disloquera, car chacun cherchera des solutions nationales, soit elle se renforcera. J'ai ainsi été à Varsovie après les élections polonaises pour rappeler les valeurs de l'Union mais aussi pour dire que la Pologne doit rester au coeur de l'Union.

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