Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 janvier 2016 à 8h40
Politique de coopération — Rencontre avec la commission des affaires européennes du bundesrat 17 et 18 décembre 2015 : rapport d'information de m. jean bizet mme gisèle jourda mm. daniel raoul et simon sutour

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

La crise des migrants et la lutte contre le terrorisme constituent un double défi pour l'Union européenne et appellent des réponses coordonnées. Nos commissions des affaires européennes ont à cet égard un rôle indéniable à jouer, en tant que relais des attentes de nos concitoyens et des territoires mais aussi en tant que force de proposition. C'est dans ce contexte qu'une délégation de notre commission, composée de Gisèle Jourda, Daniel Raoul, Simon Sutour et moi-même, s'est rendue à Berlin les 17 et 18 décembre dernier, à l'invitation de Peter Friedrich, président de la commission des affaires européennes du Bundesrat. L'audition de deux commissaires européens sur le thème des migrations, MM. Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des affaires intérieures et des migrations, et Neven Mimica, commissaire en charge de l'aide au développement et de la coopération, et une réunion de travail entre nos deux commissions ont ainsi été organisées.

Avant de détailler le contenu de cette réunion, je rappellerai en quelques mots le rôle du Bundesrat. Incarnant un « Parlement des gouvernements des États fédérés », il est en quelque sorte l'organe par l'intermédiaire duquel les seize Länder participent directement, en leur qualité d'États membres, à la formation de la « volonté politique » de la Fédération qui profite, à l'inverse, de l'expérience politique et administrative des Länder. Constitutionnellement, il s'agit d'un « organe permanent » qui se renouvelle régulièrement avec les élections des parlements régionaux, ce qui confère toute sa légitimité démocratique à l'institution ; mais pour cette même raison, il n'est pas facile de nouer des relations suivies avec ses membres. Les débats sont généralement consacrés à une ou deux grandes questions qui font l'objet de discussions approfondies, mais l'essentiel de l'activité parlementaire se fait au sein des seize commissions dans lesquelles chaque Land délègue un membre.

En matière européenne, lorsque la législation des Länder, l'organisation de leur administration ou leurs procédures administratives sont concernées de manière prépondérante par un projet de texte, l'opinion du Bundesrat doit être « prise en considération de manière déterminante ». Le Bundesrat a le dernier mot pour définir la position allemande au Conseil, sauf en ce qui concerne l'élargissement, la politique extérieure et la politique de sécurité qui relèvent, prioritairement, de la Fédération. Vous trouverez plus de détails sur le mode de fonctionnement du Bundesrat dans le rapport.

Venons-en à nos échanges avec les commissaires européens. Le choix du thème des migrations n'est pas anodin en Allemagne, comme l'actualité récente l'a encore démontré. L'Allemagne a ainsi accueilli environ 1,1 million de demandeurs d'asile en 2015, la plupart utilisant la route des Balkans. Précisons que 428 468 réfugiés proviennent de Syrie et près de 100 000 demandeurs sont issus de pays d'Europe : Albanie et Kosovo. Les capacités d'accueil allemandes sont fortement sollicitées, au risque de susciter des tensions au sein de la population. Le Gouvernement a octroyé une aide de 670 euros par mois et par demandeur d'asile devant être versée aux communes et aux Länder afin d'améliorer la prise en charge.

Les deux commissaires ont souligné que la crise actuelle mettait en cause le projet européen ainsi que l'espace Schengen. La libre circulation doit continuer à être la règle, le rétablissement des frontières nationales l'exception. L'Europe doit manifester sa solidarité et sa responsabilité en allégeant, notamment, la pression qui s'exerce sur l'Allemagne et ses Länder. Les commissaires ont exprimé leur grande déception quant à la mise en oeuvre du plan de la Commission du 9 septembre 2015 visant à relocaliser 160 000 réfugiés. Seuls 11 pays sur 28 ont déclaré qu'ils participeraient à la répartition plus équitable et 250 personnes seulement ont été jusqu'à présent relocalisées. La crise des réfugiés représente un grand défi et un catalyseur pouvant faire le lit du populisme. Le plan de relocalisation nécessite, à l'évidence, un travail de conviction et de pédagogie qui doit être préféré à une politique de punition. En tout état de cause, l'alternative est, selon eux, entre le « courage » ou la « régression ».

Ils plaident pour le renforcement et le développement des hot spots, qui permettent d'enregistrer et d'identifier les migrants. Deux fonctionnent seulement à l'heure actuelle : l'un à Lampedusa, l'autre à Lesbos. Trois devraient être prochainement opérationnels.

Le contrôle des frontières extérieures de l'Union constitue un autre impératif : à cet égard, le nouveau plan présenté le 15 décembre 2015 par la Commission substitue à Frontex une nouvelle agence au mandat renforcé et dotée de moyens techniques et humains autonomes. Cette agence aura notamment un bureau chargé de l'éloignement. Ce plan doit être pris en considération. La question des expulsions d'illégaux devrait par ailleurs être examinée par la Commission au printemps 2016. Ce plan va de pair avec la révision du règlement dit Dublin III qui confère à l'État de premier accueil le soin d'instruire la demande d'asile. Cette révision doit répondre à un esprit de solidarité entre les États membres, dès lors que le système actuel n'est, à l'évidence, plus soutenable. Il convient enfin de renforcer la coopération avec la Turquie - sur laquelle il y aurait beaucoup à dire - et les pays des Balkans occidentaux. Il faut aussi intensifier l'aide au développement à destination des pays d'origine des migrants, dans la lignée des conclusions du sommet de La Valette. Les commissaires ont conclu sur l'idée que les migrants, s'ils faisaient l'objet d'une bonne intégration, pouvaient constituer une chance pour nos sociétés - j'ajouterai : à eux de ne pas la gâcher !

La déclaration commune sur le sujet que nous avons adoptée avec la commission des affaires européennes du Bundesrat est venue compléter cette discussion. Elle insiste sur la nécessité de mettre en place une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Union européenne, via notamment des programmes de réinstallation. Il s'agit pour l'Union européenne d'affirmer ses valeurs, en dépassant sa dimension purement économique. La défense du droit d'asile fait partie des priorités, celle-ci devant néanmoins être exigeante afin de juguler toute dérive et contrôler ainsi les migrations d'essence économique. La déclaration commune souligne le rôle majeur d'une protection plus efficace des frontières extérieures, notamment en vue de maintenir l'acquis de Schengen qui constitue l'une des plus grandes réalisations de l'Union européenne. Toute réponse à la crise des migrants passe également par le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne et l'intensification de l'aide à destination des régions en crise. Peut-être, à une époque, n'avons-nous pas suffisamment prêté attention à cette coopération.

Nous avons également adopté une déclaration commune visant la lutte contre le terrorisme. Plusieurs pistes devraient être approfondies : la clause de défense mutuelle, la protection des frontières extérieures, la lutte contre les trafics d'armes, le contrôle coordonné et systématique aux frontières, la lutte contre la radicalisation via internet. L'Europe doit se doter des moyens nécessaires pour combattre les menaces extérieures qui pèsent sur elle. Il est urgent de sortir l'Europe de la défense du domaine du concept pour la faire entrer dans celui de l'opérationnel. Il s'agit aussi de défendre les valeurs communes de l'Union européenne. La déclaration commune insiste sur le rôle des parlements nationaux dans l'élaboration d'une réponse européenne au terrorisme, celui-ci constituant une menace pour la démocratie. Elle rappelle ainsi la nécessité d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et le développement d'un réseau européen en la matière.

Le texte des deux déclarations communes figure en annexe du rapport.

Cette rencontre devrait être suivie, dans les prochains mois, d'une nouvelle réunion, organisée cette fois-ci au Sénat. Trois sujets devraient faire l'objet de travaux communs. D'abord, il importe que le tandem franco-allemand définisse une position commune sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (dit « TTIP », pour Transatlantic Trade and Investment Partnership), qui donnera une orientation forte pour les 28. Le deuxième sujet concerne la politique européenne de l'énergie, au coeur de la réindustrialisation de notre continent. Ne nous le cachons pas : s'il est signé, le TTIP déclinera simplement la politique nationale des États-Unis en matière d'énergie. Enfin, le troisième sujet porte sur le marché unique du numérique.

Nous avons publié voici quelques années une déclaration commune sur la PAC. Depuis la situation s'est dégradée dans certains départements, notamment en Normandie dans la filière laitière. Je crains que les visions française et allemande des problématiques agricoles ne divergent de plus en plus, l'Allemagne ayant rejoint le camp des pays libéraux. En matière agricole, l'ultra-libéralisme n'est pas la solution.

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