Commission des affaires européennes

Réunion du 14 janvier 2016 à 8h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • canne
  • spéciaux
  • sucre
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous réitère mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. Notre ordre du jour appelle en premier lieu l'examen du rapport de notre collègue Gisèle Jourda sur la proposition de résolution européenne qu'elle a déposée le 18 décembre dernier avec Michel Magras.

L'Union européenne et le Vietnam ont conclu, en août, un accord de libre-échange qui pourrait avoir un effet très négatif sur la filière sucrière dans nos régions ultrapériphériques. Nos deux collègues ont présenté devant la délégation à l'Outre-mer un rapport d'information qui décrit précisément les multiples enjeux de la filière canne pour nos DOM, avant de déposer une proposition de résolution européenne formulant une série de préconisations. Une fois que nous nous serons prononcés, la proposition de résolution sera transmise à la commission des affaires économiques, qui disposera d'un mois pour l'examiner. Je cède maintenant la parole à Gisèle Jourda, pour qui le sucre de canne et les sucres spéciaux n'ont plus aucun secret !

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Le 4 août dernier, l'Union européenne et le Vietnam ont conclu un accord de libre-échange. Globalement, la France peut se féliciter du bon équilibre de ce texte en termes d'accès au marché, de marchés publics ou de protection des indications géographiques. Cependant, il comporte une disposition très négative s'agissant des sucres spéciaux, produits particulièrement sensibles pour la France et ses DOM. En effet, un contingent de 20 000 tonnes de sucre a été accordé au Vietnam par la Commission, contingent incluant les sucres spéciaux, qui sont une filière vitale pour les Régions ultrapériphériques (RUP) françaises.

Cette disposition de l'accord illustre de la part de la Commission une méconnaissance totale du caractère stratégique de la filière « canne » dans les RUP françaises, voire une tactique délibérée tendant à faire de ces régions des variables d'ajustement pour la conclusion de ce type d'accords commerciaux globaux qui vont en se multipliant, et menacent notre filière.

Parallèlement à sa proposition de résolution européenne, votre délégation à l'Outre-mer a présenté, le 10 décembre dernier, un rapport d'information sur lequel j'ai travaillé avec son président, Michel Magras. Nous y présentons les multiples enjeux de la filière canne à la Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe. Le rapport relève la politique contradictoire de la Commission européenne, qui d'un côté conduit des politiques agricole et régionale ambitieuses et, de l'autre, une politique commerciale brutale, ignorant les intérêts et spécificités de régions qu'elle prétend par ailleurs promouvoir.

La Commission européenne n'a pas pris en compte le caractère sensible des sucres spéciaux, malgré les demandes réitérées du Gouvernement français en faveur de leur exclusion de l'accord ou du moins d'un contingent très réduit.

La Commission répond que le risque économique n'est pas avéré. En cas de problème, argumente-t-elle, une clause de sauvegarde permettra d'apaiser les inquiétudes. Elle considère enfin que le Vietnam ne produit pas de sucres spéciaux et que le contingent prévu de 20 000 tonnes ne fait que prendre acte du flux actuel des exportations vietnamiennes.

Cette analyse n'est pas pertinente, c'est le moins que l'on puisse dire : de tels accords créent leurs propres dynamiques, en l'espèce la capacité du Vietnam à prendre appui sur les opportunités que l'accord lui offre pour développer sa propre filière sucrière, y compris et surtout pour les sucres spéciaux.

Si la production annuelle de sucres spéciaux vietnamiens est aujourd'hui limitée dans une fourchette de 1 à 4 tonnes, le Vietnam produit 1,5 million de tonnes de sucre de canne et en est exportateur net depuis 2013. Le savoir-faire de ses producteurs, conjugué à des volumes importants, lui permettra de développer rapidement et massivement sa filière de sucres spéciaux destinés à l'export, et ce à des coûts de revient incomparablement bas.

Que représentent les sucres spéciaux pour nos DOM ? La France, grâce à ses départements ultramarins, est le seul des 28 États de l'Union européenne à produire du sucre de canne. Cette filière est une ressource essentielle pour la Réunion, la Martinique et la Guadeloupe, ainsi que pour la Guyane. Elle représente plus d'un tiers de la surface agricole utile de ces départements et près de 40 000 emplois directs, indirects et induits.

Indépendamment de l'accord avec le Vietnam, de nombreux autres accords sont en négociation ou le seront bientôt. Certains ont déjà été signés. Mon rapport écrit détaille les pays avec lesquels de telles négociations s'ouvriront, avec un impact fort sur les économies des DOM.

Nos départements d'Outre-mer peuvent-ils adapter leur compétitivité face à cette vague de concurrence qui se profile ? La réponse est non. Car pour contrer cette nouvelle donne concurrentielle, la marge d'évolution des conditions de production et de compétitivité des DOM pour les sucres spéciaux est quasi nulle, du fait de conditions de compétitivité qui les pénalisent.

Plusieurs caractéristiques placent en effet ces territoires dans une situation défavorable par rapport à leurs nombreux concurrents actuels et potentiels. D'abord le climat, qui touche des installations dont les coûts d'entretien sont très élevés et dont les manifestations extrêmes, comme les cyclones, ne sont pas rares. Ensuite, la superficie cultivable est réduite par les contraintes naturelles : outre l'insularité, les exploitations ne sont pas extensibles et le relief accidenté vient encore compliquer la donne. L'augmentation des surfaces cultivées en canne pour augmenter la productivité n'est donc pas une option envisageable.

La proposition de résolution formule les préconisations suivantes : une cohérence de bon sens entre la politique commerciale de la Commission et ses politiques agricole et de cohésion, notamment en ce qui concerne les RUP ; l'aménagement de l'accord avec le Vietnam pour, au minimum, aboutir à un contingent réduit de 280 tonnes de sucres spéciaux. Je précise que les responsables français qui suivent la négociation m'ont fait savoir que la réponse de la Commission sur ce point majeur était toujours attendue, ce qui est très problématique ; la proposition de résolution préconise également l'amélioration indispensable de l'efficacité des mécanismes de défense commerciale et de stabilisation en cas de déséquilibre prévisible ou avéré sur les marchés concernés ; enfin, la prise en compte systématique par la Commission des intérêts spécifiques des régions ultrapériphériques dans les négociations commerciales et une pression accrue du Gouvernement, à cette fin, sur les services de la Commission.

Je vous propose d'apporter un petit complément à un texte par ailleurs déjà précis, complet et équilibré.

Ces quatre modifications aux paragraphes 13, 34, 40 et 41 de la proposition se fondent sur la communication de la Commission européenne d'octobre 2015 intitulée Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable. La Commission s'y engage à publier ses propositions de texte lors de toutes les négociations d'accord de commerce et d'investissement - comme elle le pratique déjà pour le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI) - dès l'issue des négociations et sans attendre la fin de la révision juridique.

La Commission s'engage aussi vis-à-vis des parties concernées à plus de transparence dans les procédures de défense commerciale, en mettant davantage de documents à disposition et en leur facilitant l'accès à ces derniers via une plateforme web spécifique.

Il faut prendre la Commission au mot et inscrire ses propres engagements dans le texte qui nous est proposé, plus particulièrement les dispositions générales relatives à la transparence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous remercie de votre présentation sur cet accord dont les implications sont en effet désagréables.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Voilà une nouvelle illustration des difficultés de l'Union européenne avec ses RUP. Peu d'États sont concernés : outre la France, l'Espagne (Canaries) et le Portugal (les Açores et Madère) ; nos territoires sont les plus lointains. Lors de la renégociation de la politique régionale, le volet consacré aux RUP a failli être supprimé. Or notre collègue Georges Patient et moi-même en avions démontré l'efficacité dans un rapport récent. Nous avons agi et obtenu gain de cause.

La canne à sucre est l'une des productions agricoles majeures des DOM, qui sont soumises à une concurrence inégale. J'ai visité, avec Georges Patient, des exploitations de canne à sucre en Guyane. Les agriculteurs guyanais n'ont pas le droit d'utiliser certains produits qui sont employés massivement au Surinam et au Brésil, à quelques dizaines de kilomètres. Conséquence : leurs exploitations reçoivent les insectes chassés par leurs voisins... Il y a aussi notre législation sociale plus avancée.

Avec cette proposition de résolution européenne, nous donnons de la voix, et nous mandatons en quelque sorte notre Gouvernement pour faire valoir, à Bruxelles, la pression que nous lui imposons au Parlement ...

La mobilisation finit quelquefois par payer : ainsi de l'octroi de mer, ressource principale des collectivités d'outre-mer, sauvé de la suppression par une prise de conscience et une action certes tardives mais finalement efficaces. Je remercie Gisèle Jourda de sa pugnacité et de sa conviction sur ce dossier. Je me félicite que la question soit portée par des sénateurs de métropole.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je m'associe à ces remerciements. C'est une bonne proposition de résolution.

Le 9 septembre, des membres français du Parlement européen, toutes tendances confondues (dont Patrick Le Hyaric, Marielle de Sarnez, Emmanuel Maurel, Tokia Saïfi, José Bové), ont écrit à la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, pour l'alerter sur l'accord tarifaire France-Vietnam - sans réponse pour le moment.

Une partie de la canne à sucre exportée par le Vietnam est en réalité produite en Thaïlande et au Cambodge. Les accords dits « Tout sauf les armes » qui dispensent les 48 pays les moins développés de droits de douane pour leurs exportations vers l'Union européenne ont permis au Cambodge de développer en quelques années une industrie d'exportation de la canne à sucre. Mais ce développement s'accompagne d'une déforestation et d'un accaparement des terres. Le Parlement européen a déposé deux résolutions à ce sujet en 2012 et 2014.

La question du contingent vietnamien ne recouvre donc pas l'ensemble du problème. L'accord « Tout sauf les armes » est positif, mais il a des effets pervers, dans ce secteur et dans d'autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Merci de cette ouverture sur un sujet dont les implications économiques et humaines sont importantes. Vous avez pointé les faiblesses de la négociation conduite avec le Vietnam. Or, au cours des auditions que je conduis sur le TTIP en ma qualité de rapporteur de notre groupe de suivi, mes interlocuteurs m'ont présenté cette négociation comme un modèle et un succès pour la diplomatie française ! C'est en effet la première fois qu'une reconnaissance des indications géographiques (IG) est incluse dans une négociation avec un pays émergent. Pour le ministère de l'agriculture, c'est un standard à appliquer aux futures discussions.

Je vous remercie donc de mettre en évidence les problèmes sérieux que pose cette négociation dont je n'entends par ailleurs que des louanges.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Nous avons, en France, l'art d'entretenir les paradoxes... Notre pays ne se réduit pas à l'Hexagone : nos collectivités d'outre-mer n'ont que ce type d'économie comme ressource. À la Réunion, où sévit le chômage de masse, le maintien de la filière canne est un enjeu majeur.

La Commission européenne a beaucoup investi dans l'amélioration des cultures. Les superficies ont été réduites pour éviter les traitements par voie aérienne. Pour y faire face, nous devons aider nos agriculteurs à obtenir un déclenchement automatique des mécanismes de compensation et de défense commerciale, qui ne sont jamais mis en oeuvre par la Commission. À nous de nous faire entendre pour la défense de ce fleuron de notre économie.

J'entends avec intérêt les éléments présentés par André Gattolin. Il importe d'accroître le contrôle sur les origines de nos importations.

Enfin, je salue la qualité de la collaboration avec Michel Magras sur ce rapport, d'autant que nous avons dû travailler dans l'urgence. J'espère me montrer digne de l'héritage de Simon Sutour au sein de la délégation à l'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous invite maintenant à voter sur ce texte de nature à conforter les démarches du Gouvernement auprès des instances communautaires.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, le rapport ainsi que la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :

Le Sénat,

Vu l'article 88 4 de la Constitution,

Vu les articles 206, 207 et 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la résolution n° 105 du Sénat (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012,

Vu le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil COM (2013) 323 du 31 mai 2013 sur l'évolution des importations de sucre dans l'Union européenne en provenance des pays ACP et des pays les moins avancés (PMA),

Vu le projet de loi n° 414 (2014-2015) déposé au Sénat le 15 avril 2015 autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République socialiste du Viêt Nam, d'autre part,

Vu le projet de loi n° 551 (2014-2015) déposé au Sénat le 24 juin 2015 autorisant la ratification de l'accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République des Philippines, d'autre part,

Vu le mémorandum sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam présenté par la Commission européenne le 4 août 2015,

Vu le projet de loi n° 692 (2014-2015) enregistré à la Présidence du Sénat le 17 septembre 2015 autorisant la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Colombie et le Pérou, d'autre part,

Vu le courrier des commissaires européens chargés du commerce, de la politique régionale et de l'agriculture et du développement rural, en date du 8 octobre 2015, en réponse au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, au ministre des outre-mer et au secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, sur la demande du Gouvernement français d'exclure les sucres spéciaux de l'offre tarifaire européenne faite au Vietnam,

Vu le courrier de la commissaire européenne au commerce en date du 8 octobre 2015 en réponse à des parlementaires européens sur l'exclusion des sucres spéciaux des accords de commerce avec le Vietnam,

Vu la communication « Le commerce pour tous, vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable » présentée par la Commission le 14 octobre 2015,

Considérant que les régions ultrapériphériques (RUP), comme l'a souligné la Commission européenne à maintes reprises, notamment dans ses communications de 2004, 2008 et 2012 exposant sa stratégie pluriannuelle pour ces territoires, constituent un atout pour l'Europe et qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de soutenir leur développement endogène,

Considérant que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet l'édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres, notamment « leur éloignement, l'insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits »,

Considérant que la filière de la canne à sucre joue un rôle économique et social vital dans les RUP françaises, notamment à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, puisqu'elle représente 40 000 emplois directs et indirects dans des territoires où le taux de chômage est plus du double de la moyenne hexagonale,

Considérant que l'Union européenne, au travers de sa politique agricole et de sa politique régionale, a contribué fortement à la modernisation de la filière de la canne pour en faire un secteur exemplaire et a ainsi permis aux économies sucrières des RUP de réaliser d'importants gains de compétitivité, progrès qui ne doivent pas être annulés par une politique commerciale fondée sur un credo de libre-échange aveugle à ses effets pervers non maîtrisés,

Considérant que les économies sucrières des outre-mer français se préparent déjà à absorber le choc de la fin des quotas sucriers à compter du 1er juillet 2017, qui remet fondamentalement en cause l'équilibre prévalant dans l'organisation commune du marché du sucre, attise la concurrence avec la production industrielle de sucre à partir de la betterave en Europe continentale et les contraint, pour survivre, à se réorienter vers un marché de niche, celui des sucres roux non destinés au raffinage, dits« sucres spéciaux », qui représente 50 % de la production sucrière de La Réunion et 30 % de celle de la Guadeloupe,

Considérant que les accords commerciaux en vigueur, en particulier avec les pays les moins avancés d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique (ACP/PMA), mais aussi plus récemment avec la Colombie et le Pérou, se traduisent déjà par l'entrée sur le marché européen des sucres spéciaux de concurrents agressifs comme le Bélize, Maurice, le Malawi, le Swaziland et la Zambie,

Considérant que l'accord de libre-échange avec le Vietnam, qui a fait l'objet d'un accord politique de principe le 4 août 2015 entre les deux parties et qui est entré dans une phase ultime de finalisation technique, rompt avec le précédent de l'accord avec l'Afrique du Sud, dans lequel avait été retenu pour la première fois le principe de l'exclusion des sucres spéciaux du champ de l'ouverture commerciale,

Considérant qu'en l'état l'Union européenne prévoit d'accorder au Vietnam un contingent à droits nuls de 20 000 tonnes par an de sucre et de produits à haute teneur en sucre, volume qui équivaut à 10 % du marché européen des sucres spéciaux et 20 % de la production des RUP,

Considérant que, si le Vietnam n'est pas encore un acteur majeur du marché mondial des sucres spéciaux, il dispose néanmoins du savoir-faire technique et de la capacité industrielle pour le devenir, dès lors que l'accord de libre-échange lui ouvre une nouvelle opportunité de développement,

Considérant que, même si le Vietnam se consacre pour l'heure principalement à son marché intérieur, des exportations de sucres roux à hauteur de 6 000 tonnes par an sont déjà avérées, comme le reconnaissent les services de la Commission européenne, de même que son intérêt offensif à investir de nouveaux marchés, notamment celui de la Chine,

Considérant que l'Union européenne, après l'échec du cycle de Doha de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), multiplie et accélère les ouvertures de négociations commerciales, en particulier avec les principaux pays producteurs de sucre au monde, comme le Brésil, l'Inde, les États Unis, la Thaïlande, les Philippines, l'Australie ou le Mexique, dont les capacités de production avérées sont considérables et dont la politique d'expansion à l'export est très dynamique,

Considérant que l'accumulation de contingents à droits nuls octroyés à des pays tiers au fil de la signature d'accords commerciaux risque de conduire à une saturation du marché européen des sucres spéciaux, qui est déjà arrivé à maturité, et qu'elle constitue ainsi une menace sérieuse pour les économies vulnérables des RUP,

Considérant que les RUP françaises sont soumises à des normes environnementales et sociales de production très contraignantes auxquelles échappent leurs concurrents des pays tiers et que seuls des tarifs douaniers appropriés permettent de rétablir l'équilibre,

Considérant que la Commission européenne néglige le travail d'évaluation prospective qui l'amènerait à tempérer sa volonté d'ouverture commerciale illimitée et manque, en particulier, à ses obligations en ne produisant pas d'études d'impact précisant les conséquences potentielles pour les RUP des accords commerciaux qu'elle négocie,

Considérant que les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords précédents se sont révélés inefficaces à cause du défaut de dispositif de suivi et d'alerte rapide, de la lourdeur et de la lenteur corrélative des procédures et de l'absence manifeste de volonté de les appliquer de la part de la Commission européenne, comme cela a pu être constaté pour la banane lors de la mise en oeuvre de l'accord avec le Pérou,

Juge indispensable de garantir la cohérence des politiques agricole, régionale et commerciale de l'Union européenne, conformément à l'article 207 du TFUE, aux termes duquel « il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l'Union »,

Estime nécessaire de compenser les handicaps structurels et de valoriser les avantages comparatifs des RUP, ces territoires constituant, au sein de leur environnement régional, des modèles porteurs des valeurs de l'Union européenne en matière sociale et environnementale,

Demande d'adopter comme ligne directrice, pour toute négociation future d'accords commerciaux de l'Union européenne, le principe de l'exclusion des sucres spéciaux,

Soutient une inflexion de l'équilibre négocié avec le Vietnam afin qu'à défaut d'exclusion des sucres spéciaux, soit défini un contingent spécifique proportionnel à leur part dans le marché global du sucre, soit un quota de 280 tonnes par an,

Recommande une clarification de la nomenclature douanière relative aux sucres, spécifiquement de la ligne 17 01 99 90 couvrant une grande variété de produits différents, pour identifier précisément la teneur des importations, prévenir le risque de contournement de la réglementation et éviter d'encourager la fraude,

Préconise, conformément aux engagements de transparence pris par la Commission européenne en matière de défense commerciale, pour assurer le respect effectif du contingentement, de se doter d'instruments statistiques permettant un suivi en temps réel de l'évolution des importations pays par pays et d'organiser des échanges de données réguliers entre la Commission européenne et les États membres afin de permettre une réaction rapide en cas de dépassement des quotas autorisés,

Juge nécessaire, pour poursuivre le renforcement des échanges d'information, de maintenir les certificats d'importation hebdomadaires sur les produits sensibles comme le sucre,

Souhaite une refonte des mécanismes destinés à prévenir une déstabilisation de l'économie des RUP en garantissant leur permanence, en fixant à l'avance des seuils d'alerte et en prévoyant un déclenchement automatique de la suspension des avantages concédés en cas de franchissement des seuils,

Suggère la création d'un observatoire des revenus pour la filière de la canne afin de disposer des moyens d'apporter rapidement les preuves irréfutables d'une déstabilisation de l'économie des RUP liée à l'afflux d'importations de sucre de pays tiers sur le marché européen et, en conséquence, de déclencher sans délai les mécanismes permettant d'y porter remède,

Estime indispensable une réévaluation des compensations financières du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) pour prendre en compte l'aggravation du risque et des différentiels de compétitivité résultant de l'accumulation des contingents à droits nuls octroyés à des pays tiers sur des productions stratégiques des RUP,

Invite la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu'il lui revient de négocier, en particulier en menant des études d'impact préalables, afin de disposer d'une vision prospective des effets induits,

Recommande au Gouvernement la plus grande vigilance dans la définition du mandat de négociation de la Commission européenne lors de l'ouverture de nouvelles négociations afin que la préservation des intérêts vitaux des économies des RUP soit prise en compte dès l'origine, et invite le conseil à publier les directives de négociation pour tous les accords de libre-échange en cours et à venir.

Appelle au renforcement de l'information des Parlements nationaux par les autorités communautaires et nationales en cours de négociation et avant la conclusion d'un accord politique de principe avec la partie tierce, et invite la Commission à publier, immédiatement à l'issue des négociations, le texte de l'accord tel qu'il se présente, sans attendre la fin de la révision juridique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

La crise des migrants et la lutte contre le terrorisme constituent un double défi pour l'Union européenne et appellent des réponses coordonnées. Nos commissions des affaires européennes ont à cet égard un rôle indéniable à jouer, en tant que relais des attentes de nos concitoyens et des territoires mais aussi en tant que force de proposition. C'est dans ce contexte qu'une délégation de notre commission, composée de Gisèle Jourda, Daniel Raoul, Simon Sutour et moi-même, s'est rendue à Berlin les 17 et 18 décembre dernier, à l'invitation de Peter Friedrich, président de la commission des affaires européennes du Bundesrat. L'audition de deux commissaires européens sur le thème des migrations, MM. Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge des affaires intérieures et des migrations, et Neven Mimica, commissaire en charge de l'aide au développement et de la coopération, et une réunion de travail entre nos deux commissions ont ainsi été organisées.

Avant de détailler le contenu de cette réunion, je rappellerai en quelques mots le rôle du Bundesrat. Incarnant un « Parlement des gouvernements des États fédérés », il est en quelque sorte l'organe par l'intermédiaire duquel les seize Länder participent directement, en leur qualité d'États membres, à la formation de la « volonté politique » de la Fédération qui profite, à l'inverse, de l'expérience politique et administrative des Länder. Constitutionnellement, il s'agit d'un « organe permanent » qui se renouvelle régulièrement avec les élections des parlements régionaux, ce qui confère toute sa légitimité démocratique à l'institution ; mais pour cette même raison, il n'est pas facile de nouer des relations suivies avec ses membres. Les débats sont généralement consacrés à une ou deux grandes questions qui font l'objet de discussions approfondies, mais l'essentiel de l'activité parlementaire se fait au sein des seize commissions dans lesquelles chaque Land délègue un membre.

En matière européenne, lorsque la législation des Länder, l'organisation de leur administration ou leurs procédures administratives sont concernées de manière prépondérante par un projet de texte, l'opinion du Bundesrat doit être « prise en considération de manière déterminante ». Le Bundesrat a le dernier mot pour définir la position allemande au Conseil, sauf en ce qui concerne l'élargissement, la politique extérieure et la politique de sécurité qui relèvent, prioritairement, de la Fédération. Vous trouverez plus de détails sur le mode de fonctionnement du Bundesrat dans le rapport.

Venons-en à nos échanges avec les commissaires européens. Le choix du thème des migrations n'est pas anodin en Allemagne, comme l'actualité récente l'a encore démontré. L'Allemagne a ainsi accueilli environ 1,1 million de demandeurs d'asile en 2015, la plupart utilisant la route des Balkans. Précisons que 428 468 réfugiés proviennent de Syrie et près de 100 000 demandeurs sont issus de pays d'Europe : Albanie et Kosovo. Les capacités d'accueil allemandes sont fortement sollicitées, au risque de susciter des tensions au sein de la population. Le Gouvernement a octroyé une aide de 670 euros par mois et par demandeur d'asile devant être versée aux communes et aux Länder afin d'améliorer la prise en charge.

Les deux commissaires ont souligné que la crise actuelle mettait en cause le projet européen ainsi que l'espace Schengen. La libre circulation doit continuer à être la règle, le rétablissement des frontières nationales l'exception. L'Europe doit manifester sa solidarité et sa responsabilité en allégeant, notamment, la pression qui s'exerce sur l'Allemagne et ses Länder. Les commissaires ont exprimé leur grande déception quant à la mise en oeuvre du plan de la Commission du 9 septembre 2015 visant à relocaliser 160 000 réfugiés. Seuls 11 pays sur 28 ont déclaré qu'ils participeraient à la répartition plus équitable et 250 personnes seulement ont été jusqu'à présent relocalisées. La crise des réfugiés représente un grand défi et un catalyseur pouvant faire le lit du populisme. Le plan de relocalisation nécessite, à l'évidence, un travail de conviction et de pédagogie qui doit être préféré à une politique de punition. En tout état de cause, l'alternative est, selon eux, entre le « courage » ou la « régression ».

Ils plaident pour le renforcement et le développement des hot spots, qui permettent d'enregistrer et d'identifier les migrants. Deux fonctionnent seulement à l'heure actuelle : l'un à Lampedusa, l'autre à Lesbos. Trois devraient être prochainement opérationnels.

Le contrôle des frontières extérieures de l'Union constitue un autre impératif : à cet égard, le nouveau plan présenté le 15 décembre 2015 par la Commission substitue à Frontex une nouvelle agence au mandat renforcé et dotée de moyens techniques et humains autonomes. Cette agence aura notamment un bureau chargé de l'éloignement. Ce plan doit être pris en considération. La question des expulsions d'illégaux devrait par ailleurs être examinée par la Commission au printemps 2016. Ce plan va de pair avec la révision du règlement dit Dublin III qui confère à l'État de premier accueil le soin d'instruire la demande d'asile. Cette révision doit répondre à un esprit de solidarité entre les États membres, dès lors que le système actuel n'est, à l'évidence, plus soutenable. Il convient enfin de renforcer la coopération avec la Turquie - sur laquelle il y aurait beaucoup à dire - et les pays des Balkans occidentaux. Il faut aussi intensifier l'aide au développement à destination des pays d'origine des migrants, dans la lignée des conclusions du sommet de La Valette. Les commissaires ont conclu sur l'idée que les migrants, s'ils faisaient l'objet d'une bonne intégration, pouvaient constituer une chance pour nos sociétés - j'ajouterai : à eux de ne pas la gâcher !

La déclaration commune sur le sujet que nous avons adoptée avec la commission des affaires européennes du Bundesrat est venue compléter cette discussion. Elle insiste sur la nécessité de mettre en place une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Union européenne, via notamment des programmes de réinstallation. Il s'agit pour l'Union européenne d'affirmer ses valeurs, en dépassant sa dimension purement économique. La défense du droit d'asile fait partie des priorités, celle-ci devant néanmoins être exigeante afin de juguler toute dérive et contrôler ainsi les migrations d'essence économique. La déclaration commune souligne le rôle majeur d'une protection plus efficace des frontières extérieures, notamment en vue de maintenir l'acquis de Schengen qui constitue l'une des plus grandes réalisations de l'Union européenne. Toute réponse à la crise des migrants passe également par le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne et l'intensification de l'aide à destination des régions en crise. Peut-être, à une époque, n'avons-nous pas suffisamment prêté attention à cette coopération.

Nous avons également adopté une déclaration commune visant la lutte contre le terrorisme. Plusieurs pistes devraient être approfondies : la clause de défense mutuelle, la protection des frontières extérieures, la lutte contre les trafics d'armes, le contrôle coordonné et systématique aux frontières, la lutte contre la radicalisation via internet. L'Europe doit se doter des moyens nécessaires pour combattre les menaces extérieures qui pèsent sur elle. Il est urgent de sortir l'Europe de la défense du domaine du concept pour la faire entrer dans celui de l'opérationnel. Il s'agit aussi de défendre les valeurs communes de l'Union européenne. La déclaration commune insiste sur le rôle des parlements nationaux dans l'élaboration d'une réponse européenne au terrorisme, celui-ci constituant une menace pour la démocratie. Elle rappelle ainsi la nécessité d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et le développement d'un réseau européen en la matière.

Le texte des deux déclarations communes figure en annexe du rapport.

Cette rencontre devrait être suivie, dans les prochains mois, d'une nouvelle réunion, organisée cette fois-ci au Sénat. Trois sujets devraient faire l'objet de travaux communs. D'abord, il importe que le tandem franco-allemand définisse une position commune sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (dit « TTIP », pour Transatlantic Trade and Investment Partnership), qui donnera une orientation forte pour les 28. Le deuxième sujet concerne la politique européenne de l'énergie, au coeur de la réindustrialisation de notre continent. Ne nous le cachons pas : s'il est signé, le TTIP déclinera simplement la politique nationale des États-Unis en matière d'énergie. Enfin, le troisième sujet porte sur le marché unique du numérique.

Nous avons publié voici quelques années une déclaration commune sur la PAC. Depuis la situation s'est dégradée dans certains départements, notamment en Normandie dans la filière laitière. Je crains que les visions française et allemande des problématiques agricoles ne divergent de plus en plus, l'Allemagne ayant rejoint le camp des pays libéraux. En matière agricole, l'ultra-libéralisme n'est pas la solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

En effet, s'agissant du TTIP, l'Allemagne et la France tiendront des positions divergentes dans la négociation. Le poids de l'agriculture devient marginal chez notre voisin, et sa pugnacité en sera réduite d'autant. Malgré tout, j'ai été frappé par la communauté de vues entre nos deux commissions.

À la page 33 du projet de rapport, dans le point 3 de la déclaration commune, il me semble qu'une erreur de traduction doit être corrigée afin notamment de viser la « communauté de valeurs européennes ».

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Il est utile de rencontrer les commissions des affaires européennes des autres États membres, comme nous le faisons pour la deuxième fois avec l'Allemagne et chaque année avec l'Italie.

Le projet de rapport explique bien ce qu'est le Bundesrat, que certains présidents de groupe considèrent comme le nec plus ultra du bicamérisme, alors que ses pouvoirs sont limités. La rencontre commune de nos deux commissions avec les deux commissaires européens - M. Mimica, que nous avions entendu en sa qualité de président de la commission croate des affaires européennes, et M. Avramopoulos, ancien maire d'Athènes et membre de la Vouli - a été particulièrement fructueuse. C'est une bonne méthode de travail. La France et l'Allemagne représentent 150 millions d'habitants et le tiers du PIB de l'Union européenne.

Sur la forme, la déclaration commune n'est pas celle des deux commissions, mais celle de leurs présidents, à la demande des Allemands. Je me félicite que ma suggestion sur la coopération euro-méditerranéenne ait été prise en compte, grâce à l'habileté de Peter Friedrich, président de la commission allemande, qui a su surmonter les réserves de certains de ses membres.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

En effet, votre rapport restitue fidèlement la place du Bundesrat dans les institutions allemandes. Toutefois, il serait à mon sens possible de distinguer plus explicitement les compétences exclusives, concurrentes et subsidiaires de l'État et des Länder.

Il est écrit que « la Fédération est représentée par le Président de la République fédérale » et que la Loi fondamentale « détermine les domaines qui relèvent de sa compétence » : il faudrait ici ajouter « exclusive ». C'est globalement juste, mais les Länder peuvent intervenir lorsque la loi fédérale le permet explicitement.

Le paragraphe suivant énumère les domaines d'intervention transférés aux Länder : il faudrait préciser qu'il s'agit là de compétences concurrentes.

On lit plus bas : « Les Länder ne peuvent légiférer qu'avec l'assentiment de la Fédération dans les domaines suivants ». Il serait plus juste de parler d'absence d'intervention de la Fédération. Parmi ces domaines est citée la politique énergétique, ce qui exagère le poids des Länder : la définition de la stratégie de production et de distribution de l'énergie relève entièrement du domaine fédéral.

Les possibilités d'arrangement entre l'État et les Länder pourraient être évoquées. « Dans ces mêmes domaines, la Fédération ne peut légiférer que s'il existe un besoin de réglementation uniforme à l'échelle de l'État fédéral » : il s'agit là des compétences concurrentes. Il faudrait préciser « dans certains de ces domaines ».

Un rappel de la réforme de la Loi fondamentale en 2006, dont les conséquences ont été importantes, serait bienvenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Voilà un rapport très intéressant. Toutefois, les convergences dans le domaine de la lutte anti-terroriste y sont mises en avant, alors que nos échanges avec nos collègues font apparaître de nombreux décalages. La protection des libertés, la biométrie, le suivi des personnes soupçonnées : autant de points de divergence. À l'heure où nous envisageons une évolution de notre législation, son état actuel est déjà problématique aux yeux des Allemands ! Il est indispensable de parler de ces divergences, car rien ne sert d'aller plus loin dans la lutte anti-terroriste si nos partenaires ne nous suivent pas. Mes positions sur le sujet sont bien connues ; elles seraient considérées d'extrême droite en Allemagne !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Ne négligeons pas les sensibilités allemandes dans ce domaine. L'impression de convergence globale cache de nombreux points de désaccord.

L'Europe de la défense, ensuite, qui désigne les capacités de notre continent à intervenir à l'extérieur, n'est pas la défense de l'Europe, que nous avons confiée à l'OTAN : il ne faut pas confondre les termes...

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Seulement deux hot spots ont été ouverts, l'un en Italie, l'autre en Grèce, alors que nous en avons besoin de bien davantage et que les financements ne paraissent pas manquer, ni les spécialistes : cette lenteur est-elle le fait des Grecs et des Italiens ?

Je salue les passages du projet de rapport sur le Bundesrat, lequel a une approche très pragmatique de son travail, en particulier lorsqu'il est consulté sur la mise en oeuvre de la législation y compris avant l'adoption des textes. Il est tout à fait utile de consulter, avant d'adopter des textes, ceux qui auront la charge de les appliquer, nous le savons par défaut...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci pour ce débat. Comme nous y invite Daniel Raoul, nous devons effectivement veiller à ce que l'agriculture ne soit pas la variable d'ajustement du TTIP. Nous pourrons également, comme le souhaite André Gattolin, examiner de plus près les compétences spécifiques du Bundesrat, voir s'il n'y aurait pas des convergences nouvelles à rechercher. Nous pourrions éventuellement nous réunir avec nos collègues allemands et italiens ; par exemple, un déplacement au Mont-Saint-Michel me semblerait tout à fait approprié, pour identifier les pistes de travail sur le TTIP. Le président du Sénat a, à cet égard, appelé de ses voeux notre plus grande attention, car ce traité risque bien, s'il n'est pas maîtrisé, d'entraîner une véritable onde de choc dans notre économie, concomitante de celle qui suivra la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine. Une réunion avec nos collègues allemands et italiens, voire espagnols si cela était possible, serait tout à fait utile pour trouver des positions communes.

En attendant, je vous propose d'adopter ce rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Nous serions bien inspirés, également, de nous rapprocher de nos collègues du Parlement polonais.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Pour l'Espagne, il faut compter avec le fait que la commission des affaires européennes est commune au Sénat et aux Cortes ; d'autre part, la situation politique actuelle est très particulière outre-Pyrénées.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du présent rapport d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Du 15 au 18 septembre dernier, la délégation française auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE s'est rendue à Oulan-Bator, capitale de la Mongolie, pour participer aux travaux de sa réunion d'automne.

Plusieurs délégations, dont la nôtre, ont manifesté leur surprise devant ce choix. N'était-ce pas pousser très loin à l'Est les frontières de l'Europe - fussent-elles les frontières d'une Europe sentimentale ou rêvée ? Pourquoi demander à cette assemblée parlementaire, chargée de la coopération et de la sécurité en Europe, de se réunir en Mongolie ? Cette mission nous en a apporté la réponse.

Ce morceau de steppe d'Asie centrale est pris en tenailles entre la Russie et la Chine, mais c'est un pays qui tend à desserrer cet étau géographique, historique et politique depuis qu'il a réussi une « transition de velours » vers la démocratie. Cependant il reste désespérément en quête d'un « troisième voisin », selon sa propre expression, empreinte d'humour et de réalisme.

Ce choix de l'OSCE a eu le mérite de saluer un pays qui a fait de grands efforts pour se rapprocher de notre idéal démocratique. Je rappellerai qu'en 2012, la Mongolie était devenue le cinquante-septième État partenaire de l'OSCE.

En effet, la Mongolie - outre une longue et prestigieuse histoire qui remonte à Gengis Khan et repose sur une langue unique, un alphabet propre et une culture originale - présente un intérêt stratégique indéniable pour l'Europe, surtout depuis l'admirable « transition de velours ».

La Mongolie a été sous domination chinoise depuis le XVIIe siècle jusqu'en 1911, date de la proclamation de son indépendance. Cet épisode fut de courte durée puisque, infiltrée par les Bolchéviques, la Mongolie est en 1924 transformée par la force en république soviétique, satellite de l'ancienne URSS ; elle restera sous le régime du Parti unique jusqu'en 1990. Les premières élections libres ont lieu en 1992 et depuis on a assisté à deux authentiques alternances politiques.

Depuis 1989, l'Union européenne, qui a agi sur ce dossier avec une grande prescience, développe et approfondit ses relations avec la Mongolie et depuis 2013, l'Union européenne considère la Mongolie comme une priorité.

En avril 2013, un accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Mongolie a été signé ; il sert de cadre juridique au développement des relations. Il s'agit d'un dialogue politique, mais aussi de relations commerciales, d'aide au développement et de coopération dans le domaine de l'agriculture, du développement rural, de l'énergie, du changement climatique, de la recherche et, enfin, de l'éducation et de la culture.

L'Union européenne est devenue le troisième partenaire commercial de la Mongolie après la Russie et la Chine. Les exportateurs mongols bénéficient d'une exonération presque totale des droits de douane lorsqu'ils accèdent aux marchés de l'Union, grâce au système des préférences nationales.

En 2014, l'Union et la Mongolie ont célébré le 25e anniversaire de leur coopération qui coïncidait presque avec le 25e anniversaire de l'accès à la démocratie. En 2015, la Mongolie et la France ont célébré le 50ème anniversaire de l'établissement de leurs relations diplomatiques.

La Mongolie étant devenue une cible prioritaire, l'Union européenne a donné 15 millions d'euros aux activités de coopération et de développement avec ce pays pour la période 2011-2013. Le programme indicatif pluriannuel au titre de l'instrument de la coopération au développement prévoit une enveloppe de 65 millions d'euros pour la période 2014-2020. La Mongolie pourra également bénéficier d'un soutien au titre des programmes thématiques et régionaux, ainsi que pour les actions financées par l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme et les programmes d'appui aux acteurs non étatiques. Ce soutien supplémentaire est estimé à 14 millions pour la période 2014-2020. Le montant total de l'aide de l'Union européenne en faveur des actions de coopération au développement en Mongolie s'élèvera ainsi à 79 millions sur cette période.

Quatre États membres de l'Union ont une ambassade en Mongolie : l'Allemagne, la France, la République tchèque et le Royaume Uni - et la Mongolie compte 18 autres ambassades étrangères. L'Allemagne fait mieux que nous : son ambassade est quatre fois plus nombreuse que la nôtre et les échanges commerciaux germano-mongols quatre fois supérieurs aux nôtres. À cela, il y a des raisons historiques : l'Allemagne réunifiée a récupéré l'excellente implantation de la RDA datant de l'époque soviétique.

La Mongolie maintient avec habileté l'équilibre entre la Chine et la Russie. La Chine traite la Mongolie avec égard en raison des minorités mongoles sur son territoire. La Russie, depuis l'affaire ukrainienne, s'est aliénée la bonne volonté mongole ; mais Oulan-Bator se contente de faire savoir qu'elle appelle de ses voeux une Russie agissant selon les critères et les standards des démocraties occidentales.

Le Japon et la Corée du Sud, qui souhaitent contenir la Chine en Asie, entretiennent d'excellentes relations avec la Mongolie à hauteur de leur très bonne pénétration du marché mongol. Ainsi, 30 000 Mongols travaillent en Corée du Sud comme travailleurs étrangers.

Les Américains et les Indiens, plus discrets, semblent les grands absents du paysage, ce qui paraît conforter le choix de l'Union européenne et qui devrait nous conduire, nous autres Français, à accompagner ce choix prioritaire.

Les Mongols me sont apparus comme un peuple jeune et ouvert qui continue à savourer le retour à la liberté malgré une grande pauvreté et d'immenses difficultés économiques. Étonnamment, bien qu'ils soient un très petit pays, ils pensent « grand » et ils restent déterminés et optimistes. La situation politique est très stable. Nous avons retiré de notre séjour une impression très favorable.

Cependant, nous avons constaté la complexité et l'inefficacité du circuit financier communautaire, ce qui conduit à un mauvais usage de crédits pourtant importants et en hausse. Nous suggérons que ces crédits soient « décentralisés » et mis en oeuvre en étroite coopération avec les quatre ambassades de l'Union européenne présentes à Oulan-Bator. C'est le sens de l'avis politique que je vous propose d'adopter, pour que le personnel de nos ambassades serve mieux les projets des entreprises locales, aussi bien que ceux des entreprises européennes cherchant à se développer en Mongolie.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

C'est ce que demandent les Mongols eux-mêmes...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Effectivement, sachant que la Mongolie est enserrée entre la Chine et la Russie, les Mongols sont très sensibles à ce que nous pouvons faire pour le développement de leurs entreprises, comme des nôtres, dans leur pays.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je le confirme à mon tour, pour l'avoir constaté avec le groupe d'amitié France-Mongolie : nos amis mongols, à propos de l'Europe, comme de la France ou de l'Allemagne, parlent d'une « troisième frontière », ils veulent se rapprocher de nous parce qu'ils craignent la Chine comme la Russie, c'est une constante de leur histoire. La Mongolie traverse une période de forts changements, sa population qui était traditionnellement nomade s'est sédentarisée, en particulier dans les faubourgs pauvres d'Oulan-Bator. Il y a beaucoup à faire dans ce pays, nous avons par exemple développé une coopération entre l'École nationale d'administration (ENA) et l'École de la Gouvernance d'Oulan-Bator, mais nous sommes encore très loin du compte. Le pays ne compte que trois millions d'habitants, mais il est le huitième par la surface et son sous-sol est riche. Il connaît une transition politique rapide mais les risques de tensions y sont très forts dans les années à venir et l'État ne semble pas doté des outils pour y faire face.

J'approuve donc cette proposition, même si je doute que la Commission européenne nous suive et quand bien même nous serions d'accord à quatre pays de l'Union qui disposent d'une ambassade à Oulan-Bator...

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

La question se pose également de l'ingénierie nécessaire aux dossiers de coopération avec l'Union européenne, on l'a vu avec les anciens pays de l'Est comme la Bulgarie : en fait-on assez de ce côté-là ? Et nos ambassades disposent-elles des moyens suffisants pour accompagner les entreprises désireuses de s'implanter en Mongolie, comme les entreprises mongoles cherchant des coopérations avec des Européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Cet avis politique peut y aider, à condition que les ambassadeurs s'en saisissent et coordonnent leur travail sur place - ils ne sont que quatre, mais ils ne représentent pas les plus petits pays de l'Union européenne... À ce titre, cet avis politique est un levier d'innovation pour inciter la Commission européenne à faire mieux.

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, l'avis politique qui sera transmis à la Commission européenne.

Accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et la Mongolie COM (2015) 226 final

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 12 du Traité sur l'Union européenne (TUE),

Vu les articles 288, 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),

Vu le protocole n°1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne, annexé au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu l'accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Mongolie, d'autre part, (COM (2015) 226 final) du 29 mai 2015,

Se réjouit que l'Union européenne ait décidé de considérer la Mongolie comme un partenaire prioritaire et qu'elle envisage de lui accorder un montant total de crédits de 79 millions d'euros pour la période 2014-2020 ;

Appuie l'ensemble des objectifs de l'accord de partenariat et coopération qui témoigne de l'importance croissante des relations entre l'Union européenne et la Mongolie à un moment capital de son histoire ;

Juge positivement la perspective ouverte par l'accord de partenariat et coopération d'étendre le rôle et l'influence de l'Union européenne dans cette région d'Asie ;

Déplore, toutefois, une particulière lourdeur dans la gestion des crédits accordés à la Mongolie et une insuffisante coordination européenne qui prive la Mongolie de l'émergence de vrais projets européens communs aux quatre États membres disposant d'une ambassade en Mongolie ;

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Le groupe de travail sur la subsidiarité a estimé que le nouveau paquet « économie circulaire » présenté par la Commission européenne posait des problèmes au regard de la subsidiarité. Je vous propose de demander à nos collègues Claude Kern et Michel Delebarre, qui avaient examiné le précédent paquet, d'approfondir cette question d'ici notre prochaine réunion, compte tenu du délai très serré de huit semaines dont disposent les parlements nationaux pour émettre un avis motivé.

Il en est ainsi décidé.

Le Sénat a été saisi de deux textes émanant du Parlement européen qui concernent la réforme de la loi électorale de l'Union européenne. Les propositions du Parlement européen pourraient avoir des conséquences significatives sur les modalités d'organisation des élections européennes dans les États membres. Je suis surpris que ces textes ne nous aient pas été transmis au titre du contrôle de subsidiarité. Je vous propose, en toute hypothèse, d'en faire un examen sur le fond et de relever le cas échéant les problèmes de subsidiarité. Le Parlement néerlandais, le Bundesrat et la Chambre des Lords vont se saisir également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il y a là effectivement un sujet, en particulier sur la question du vote des Européens qui vivent hors d'Europe et sur la question du double vote dans le pays d'origine et dans le pays de résidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous propose d'en être rapporteur, avec Fabienne Keller.

Il en est ainsi décidé.

Une directive du 8 juin 2011 a limité l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Elle concerne notamment le matériel d'éclairage tels que les lustres. Le cristal a toutefois bénéficié d'une exemption depuis 2011 jusqu'en 2016.

Une consultation publique est en cours. Sur cette base, le renouvellement de l'exemption sera accordé ou non. La décision qui sera prise revêt un enjeu important pour les cristalleries et pour l'emploi.

Je vous propose donc de désigner un rapporteur pour étudier cette question et, le cas échéant, préparer un avis politique que nous adresserions à la Commission européenne : Monsieur Danesi, acceptez-vous d'en être le rapporteur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Un point de méthode : Patricia Schillinger n'est pas présente parce qu'elle a dû assister à la réunion d'une délégation dont elle est membre. Des chevauchements se produisent chaque semaine : les délégations ne pourraient-elles pas tenir compte de nos contraintes horaires le jeudi matin ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Un bilan de la réforme des méthodes de travail du Sénat sera effectué. Votre observation pourra être prise en compte à cette occasion.

La réunion est levée à 10h05.