Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Economie finances et fiscalité — Taxe sur les transactions financières - communication de mme fabienne keller

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

C'est un sujet d'étude au long cours qui alimente le débat international et national puisque nous allons en reparler à propos du projet de loi de finances rectificative !

Après des déplacements à Londres, à Bruxelles, au Luxembourg et à Zürich, je reviens donc devant vous pour vous exposer l'évolution de ce projet et pour commencer, permettez-moi de rappeler rapidement les principes qui sont à l'origine du projet de la directive créant la taxe sur les transactions financières :

- s'assurer que le secteur financier contribue de manière satisfaisante aux charges publiques, c'est-à-dire en clair qu'il soit taxé à hauteur de sa capacité de contribution ;

- limiter l'activité financière indésirable (entendez le trading trop fréquent) et stabiliser les marchés ;

- augmenter les recettes publiques ;

- améliorer le fonctionnement du marché unique en éliminant les doubles taxations et les distorsions de concurrence.

Ce sont des principes fondamentaux généraux, mais ce sont surtout des objectifs très ambitieux assignés à la TTF qui elle-même, en tant que mécanisme fiscal, se présente comme suit :

- une base très large, car la taxe concerne l'ensemble du marché secondaire des actions et des obligations, mais aussi l'ensemble des dérivés ;

- un taux minimal de 0,1 % sur les actions et les obligations et de 0,01 % sur l'ensemble des autres transactions financières ;

- l'application du principe de résidence, c'est-à-dire que la taxe est perçue dans l'Etat membre où réside au moins une des parties à la transaction, quel que soit le lieu où a lieu cette transaction.

C'est l'aspect peut-être trop global (l'ensemble des transactions) et le choix du principe de résidence (qui astreint au paiement de la taxe des parties non résidentes) qui a détourné de ce projet la plupart des Etats membres. Outre cela, beaucoup craignent que les places financières européennes (Londres et Luxembourg en particulier) perdent des pans entiers du marché au profit de New York, Singapour et Hong Kong, et demain Rabat et Ryad qui se préparent.

Ainsi le projet de directive dans sa rédaction actuelle n'a pas pu obtenir l'appui des 27 Etats membres et nous nous orientons désormais vers une coopération renforcée dont les contours se dessinent lentement.

Le projet de la Commission a affiché des ambitions démesurées qui ont fait obstacle au consensus.

D'abord, le principe de résidence est ainsi formulé dans l'article du projet de directive qui délimite son champ d'application : « La présente directive s'applique à toute transaction financière dès lors qu'au moins une des parties à la transaction est établie dans un Etat membre et qu'un établissement financier établi sur le territoire d'un Etat membre est partie à la transaction, pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, ou agit au nom d'une partie à la transaction. »

Ce principe de résidence a pour conséquence qu'une institution financière est considérée comme établie dans un Etat membre et donc redevable de la taxe dès lors que (article 3 du projet) :

- elle a été autorisée à agir comme institution financière par l'Etat membre où elle se trouve ;

- elle a son siège social dans l'Etat membre concerné ;

- elle a son domicile ou sa résidence usuelle dans l'Etat membre ;

- elle dispose d'une succursale dans cet Etat membre ;

- elle est partie à une transaction avec une institution financière ou une autre partie résidant dans un Etat membre.

Ce principe a été conçu pour être particulièrement extensif et sa première conséquence est que si une transaction met en rapport deux parties ayant leur résidence dans l'Union européenne, la taxe est due deux fois, une fois par chacune des parties, quel que soit le lieu où la transaction est conclue.

A contrario, une transaction entre deux parties non résidentes mais prenant place dans l'Union européenne ne donne pas lieu au paiement de la taxe.

De même, il convient de remarquer qu'en application de la cinquième condition, une transaction entre une partie résidente et une partie non résidente donne aussi lieu au paiement de la taxe à deux reprises : la partie résidente parce qu'elle est résidente et la partie non résidente parce qu'elle traite avec une partie résidente.

Dans ces conditions, les adversaires de la taxe ont eu beau jeu de conclure que le principe de résidence portait mal son nom puisqu'il introduisait au contraire l'extraterritorialité de la taxe ; en effet, des parties étrangères à l 'Union seraient amenées à payer la taxe et des établissements financiers étrangers seraient requis pour encaisser la taxe et la verser à des fiscs étrangers. Le principe tel qu'il figure dans le projet de la Commission leur paraît donc assez difficile à appliquer. Pourtant, il s'agit d'une « mondialisation de la fiscalité de fait ».

Toutefois, la Commission a maintenu sa position en affirmant que le principe de résidence était le meilleur moyen d'éviter qu'on puisse échapper à la taxe ou délocaliser la transaction. Le principe de résidence, dans l'esprit de la Commission, implique que ce qui importe, ce n'est pas le lieu de la transaction, mais l'existence ou non d'un lien économique avec l'Union européenne. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un principe particulièrement astucieux, répondant bien au risque éventuel de délocalisation des transactions.

Cependant, à défaut de délocaliser les transactions, les institutions financières pourront toujours se délocaliser elles-mêmes ou passer par leurs filiales.

La Commission propose une base très large et un taux très bas mais en théorie seulement. L'article 2 du projet de directive entend par « transaction financière » l'achat ou la vente d'un instrument financier avant compensation et règlement et englobe les contrats de prêt et d'emprunt de titres, le transfert du droit de disposer d'un instrument financier ainsi que les contrats dérivés. La Commission veut toucher tous les acteurs, tous les marchés et tous les produits du secteur financier. Cette ambition a soulevé des craintes chez certains membres.

En théorie, les taux minimaux proposés sont de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés. Ces taux sont loin d'être des taux dérisoires bien qu'ils soient présentés comme faibles.

Pourtant, à ce stade, la base en termes d'instruments financiers n'est large qu'en apparence dans la mesure où nous n'avons pas encore les moyens de connaître le volume des transactions sur les dérivés qui fonctionnent en dehors des marchés réglementés. Je plaide pour ma part depuis le début pour une obligation de déclaration de toutes les transactions, qu'elles aient lieu ou non sur un marché réglementé.

Nous serons aidés par EMIR et MIFID. EMIR vise à introduire une plus grande transparence et une meilleure gestion des risques sur le marché des dérivés de gré à gré (obligation de compensation, règles communes pour les contreparties centrales, obligation de reporting, etc). MIFID améliore la protection des clients mais garantit et accroît aussi la transparence des marchés financiers ; ce règlement concerne l'ensemble des sociétés d'investissement. Il est prévu que les dérivés soient négociés sur des marchés réglementés. MIFID nous aidera donc à connaître les flux.

Quant aux taux proposés, ce sont des minima selon la Commission qui laisse aux Etats membres le soin de les augmenter, en tant que de besoin, tout en signalant que des taux trop élevés seraient susceptibles d'encourager les délocalisations. On rappellera que le taux s'applique au prix effectif de la transaction.

Nos interlocuteurs du secteur financier nous ont fait remarquer que les taux n'étaient faibles qu'en apparence puisque l'effet de cascade propre aux transactions n'avait pas été pris en compte par la Commission. Ainsi un simple achat d'action à la Bourse entraîne des achats et des ventes entre plusieurs parties prenantes comprenant les courtiers, les chambres de compensation, et la centrale de compensation. A ce stade du projet, seule la centrale de compensation est exemptée du paiement de la taxe, si bien qu'il faut ajouter aux taxes payées par l'acheteur et le vendeur celles qui seraient payées par les deux courtiers et les deux chambres de compensation, chaque fois à l'achat et à la vente, ce qui conduit dans le meilleur des cas à un taux de 2,2 % pour une simple transaction. Cet effet de cascade sera peut-être corrigé dans le projet de coopération renforcée, mais dès le départ, il a naturellement joué contre le projet de directive. Pourtant, il n'entrait sans doute pas dans l'intention de la Commission pour qui la transaction n'est qu'un achat et une vente.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion