Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 juillet 2012 : 1ère réunion
Agriculture et pêche — Rôle des organisations de producteurs dans la négociation du prix du lait - proposition de résolution européenne de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Les producteurs de lait sont aujourd'hui dans une situation plutôt inconfortable. La politique du lait a longtemps été - et restera longtemps - une politique d'aménagement du territoire rural. Les évolutions du cours des céréales ayant un impact très fort sur les élevages, il est important de se pencher sur l'histoire des organisations de producteurs.

Ce rapport résulte d'un constat : la réforme du secteur laitier, telle qu'elle a été envisagée par le « mini paquet lait » adopté par l'Union européenne en début d'année, s'engage assez mal. Cette réforme fait suite à la crise du secteur laitier en 2009 : les prix avaient baissé de 50 %, voire de 80 % dans certains pays de l'Union. La crise mêlait l'internationalisation du marché du lait et l'inquiétude des éleveurs devant la fin des quotas laitiers, annoncée pour 2015 - et que la France avait été l'une des dernières à accepter.

Avec la loi de modernisation de l'agriculture de 2010, la France avait choisi d'engager le secteur dans la voie - révolutionnaire ! - de la contractualisation. Des contrats passés entre éleveurs et fabricants devaient succéder au cadre sécurisant des quotas. Mais que pèse un éleveur qui a trente ou quarante vaches face à un industriel présent dans trente ou quarante pays ? Pour équilibrer le rapport de forces entre les deux parties, il était prévu que les éleveurs puissent se regrouper en organisations de producteurs, afin de peser dans la négociation des contrats, en particulier dans la négociation des prix. Tel fut l'objet du « mini paquet lait », adopté en mars 2012 à la suite d'une intense pression de la France. M. Bruno Le Maire, alors ministre de l'agriculture, et notre commissaire M. Michel Barnier, ancien ministre de l'agriculture, s'étaient montrés très pugnaces pour convaincre le commissaire à la concurrence, M. Almunia.

Cette disposition est très novatrice. Le droit agricole et le droit de la concurrence ont toujours été dans une complémentarité difficile. Bruxelles fait toujours primer le droit de la concurrence et sanctionne toute entrave à la concurrence. L'article 42 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit toutefois des dérogations pour l'agriculture ; les accords et ententes sont autorisés lorsqu'ils sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC, mais ces dérogations sont limitées par les interprétations restrictives des institutions de contrôle. En 2003, la Commission a condamné une entente dans le secteur bovin. La Cour de justice de l'Union européenne fait prévaloir le droit de la concurrence chaque fois que possible. L'Autorité de la concurrence française a quant à elle dénoncé en 2008 les recommandations de prix établies par l'interprofession laitière ; en début d'année, elle a également sanctionné le cartel des endiviers.

En 2008, j'ai eu des rapports difficiles avec le conseiller agriculture du président de la République de l'époque : en condamnant de manière trop autoritaire le rôle des indicateurs de tendance, il avait brutalement amplifié la crise qui se profilait.

Organisations à statut, reconnues par l'Etat et qui visent une mutualisation des moyens de leurs membres, les OP sont mentionnées dans le droit agricole européen. Selon la Commission, « ces OP ont pour but de renforcer la position des producteurs sur le marché ». Ce « mini paquet lait » apporte deux nouveautés. En premier lieu, les OP dans le secteur laitier sont expressément reconnues, comme l'étaient, avant elles, les OP des producteurs de fruits et légumes. Le seuil de constitution est fixé à deux cents adhérents. Avant ce règlement, les éleveurs étaient regroupés soit en coopératives, ce qui implique un transfert de propriété de la marchandise, soit sous différents statuts. Les OP supposent quant à elles une organisation plus formelle et ont des missions plus importantes.

Le droit de la concurrence interdisait aux agriculteurs de se regrouper pour peser face à la grande distribution. Le règlement confie aux OP la capacité de négocier des contrats portant sur les volumes et les prix, à condition de ne pas dépasser 3,5 % de la production totale de l'Union ou 33 % de la production nationale. Cette possibilité n'est plus réservée aux seuls cas où il y a transfert de propriété de la marchandise. Il s'agit, ni plus ni moins, de la reconnaissance explicite d'une entente. Dans un contexte européen très favorable à la concurrence, c'est un saut majeur, et une victoire française.

On constate pourtant beaucoup d'attentisme sur le terrain. Seuls deux projets d'OP sont en cours de validation. Les éleveurs sont réticents. L'OP impose un formalisme lourd et doit obtenir des mandats de vente de ses adhérents, or les agriculteurs sont souvent très individualistes. Beaucoup sont déjà regroupés en différentes formes d'associations et se demandent à quoi servent ces OP sinon à créer une structure supplémentaire.

Mentionnons aussi les difficultés humaines puisque les responsables des groupements actuels appréhendent d'être remis en cause par une nouvelle OP. Certains militent parfois pour la constitution d'OP, mais s'empressent de négocier à l'ancienne avec les industriels.

Le doute s'installe d'autant plus que les contrats ne règleront ni le niveau des prix ni leur volatilité ; les contrats n'empêcheront pas la restructuration. La filière lait prend une large part dans l'aménagement du territoire. Nous sommes dans un marché très internationalisé. La restructuration de la filière sera inévitable. En France, elle a eu lieu en amont (nous avons 400 transformateurs et 4 à 5 grands industriels sur le marché mondial), mais peu en amont. Outre-Rhin, la restructuration s'est faite du côté des producteurs et non des transformateurs.

Les industriels n'ont guère été partisans de la mesure. Leur approche a un impact direct sur l'attitude des éleveurs. Cet attentisme est très embarrassant.

Les groupements actuels n'ont aucune sécurité juridique. Seules les OP sont reconnues par le paquet lait. Toute négociation de contrats par une entité autre que les OP n'est pas prévue.

Il est crucial de redonner confiance et espoir aux éleveurs. Il est fondamental que les éleveurs s'organisent : groupés, ils peuvent être forts et gagner ; isolés, ils sont sûrs de perdre. Mes contacts avec mes collègues des départements laitiers m'inclinent à penser que nous pouvons nous attendre à de nouvelles turbulences à l'automne, à cause de la hausse des prix des céréales...

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