Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 juillet 2012 : 1ère réunion
Travail — Reconnaissance des qualifications professionnelles - proposition de résolution européenne de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Selon la Commission européenne, la directive en vigueur n'a pas atteint tous ses objectifs. La liberté d'établissement et la liberté de prestation de services demeurent entravées, selon elle, par des délais et des obstacles administratifs non justifiés.

Je commencerai par rappeler sommairement le droit en vigueur issu de la directive de 2005.

Dans le cas d'une mobilité temporaire (prestation de services), la directive dispose que le professionnel peut travailler, en principe, sur la base d'une déclaration préalable.

Dans le cas d'une mobilité permanente (établissement dans un pays de l'Union autre que celui où les qualifications professionnelles ont été obtenues, à titre de salarié ou non), il faut distinguer selon les professions.

Trois systèmes coexistent.

Dans le premier, la reconnaissance est automatique pour les professions dont les conditions minimales de formation ont été harmonisées. Sept professions sont concernées : architecte, dentiste, infirmière, sage-femme, médecin, pharmacien et vétérinaire.

Le professionnel fait sa demande auprès de l'autorité compétente chargée de la profession dans le pays d'accueil et il apporte la preuve de vos qualifications. Cette autorité examine la demande dans un délai de trois mois. Elle est tenue de reconnaître tous les titres de formation, figurant à l'annexe V de la directive, qui satisfont à des exigences minimales de durée de formation initiale ou de pratique.

Le deuxième système concerne l'artisanat, le commerce et l'industrie (par exemple la profession de coiffeur). Ces professions peuvent bénéficier d'une reconnaissance automatique sur la base de l'expérience professionnelle acquise. La durée exigée varie entre trois et six ans.

Le système dit général sert pour toutes les autres professions réglementées ou pour les professionnels qui n'entrent pas dans les critères de la reconnaissance automatique.

Les qualifications professionnelles sont regroupées en cinq niveaux permettant la comparaison des qualifications.

La reconnaissance des qualifications intervient si le migrant a une qualification professionnelle au moins équivalente au niveau immédiatement inférieur à celui exigé dans l'État membre d'accueil. La reconnaissance doit être accordée aussi au migrant dont la profession n'est pas réglementée dans l'État membre d'origine mais qui l'a exercée à temps plein pendant deux ans. Dans certaines conditions limitées, l'État membre d'accueil peut imposer une compensation (stage d'adaptation pendant trois ans maximum ou épreuve d'aptitude).

Voilà pour cette présentation sommaire du système actuel. Quelles modifications ou ajouts la Commission européenne a-t-elle proposé ?

La proposition phare de la Commission est de créer une carte professionnelle européenne, en réalité un certificat électronique. Délivrée par l'État membre d'origine, elle certifierait l'authenticité des diplômes, l'expérience et les qualifications du professionnel. L'État membre d'accueil n'aurait pas à demander et vérifier ces documents, d'où un gain de temps en théorie : il devrait juste valider la carte. L'Etat d'origine créerait et validerait la carte en cas de mobilité temporaire.

Optionnelle, la carte professionnelle ne serait créée que pour les professions qui en feraient la demande. La décision de créer une carte serait prise par la Commission en comitologie. Les conditions de création d'une carte sont floues. Quand faut-il considérer qu'une profession le demande et qu'en est-il des professions pas ou peu organisées ? Lorsqu'une profession n'est pas réglementée dans un pays, peut-on lui imposer la charge administrative, inutile pour lui, de délivrer une carte ?

L'accès partiel à une profession constitue une autre innovation. En vertu de ce principe reconnu par la Cour de justice depuis 2006, un professionnel est autorisé à n'exercer qu'une partie d'une profession. L'exemple souvent cité est celui du moniteur de snowboard par rapport au moniteur de ski. Ce principe qui doit faciliter la mobilité, en particulier quand les professions ne se recoupent pas exactement d'un pays à l'autre, peut aussi être source d'insécurité juridique. Le caractère séparable d'une activité n'est pas toujours évident, d'autant plus que le texte de la Commission tend à apprécier ces situations au cas par cas, et non profession par profession.

D'autres dispositions relèvent les exigences minimales de formation pour les médecins, sages-femmes, infirmiers... Globalement, cela ne pose pas de difficultés majeures aux professionnels français. Nous avons reçu les représentants de leurs Ordres. L'enjeu est plutôt de faire respecter les exigences figurant déjà dans la directive de 2005, par exemple pour les sages-femmes. J'ai été surpris de la différence entre les exigences de formation à cette profession en France, où elle est autorisée à prescrire des médicaments et dans d'autres Etats membres, où seul un cursus de quelques mois est requis.

La proposition de directive demande aux Etats membres d'examiner l'opportunité de maintenir autant de professions réglementées, certains héritages ne se justifiant plus toujours. La France se situe plutôt dans une bonne moyenne. Mais ce screening ne doit pas sacrifier la sécurité des consommateurs et des patients.

La Commission européenne propose d'inclure les notaires dans le champ de la directive, ce qui est assez conflictuel.

D'autres dispositions plus techniques concernent la création de « cadres communs de formation », l'utilisation du système d'information du marché intérieur pour faciliter la coopération des administrations, la création d'un mécanisme d'alerte pour les professionnels de santé frappés d'une interdiction d'exercer.

Quel jugement pouvons-nous porter sur ces propositions ?

Notre Haute assemblée, sur l'initiative de notre commission et de Jean-Louis Lorrain en particulier, a adopté en mars dernier un avis motivé de non-conformité au principe de subsidiarité. Les griefs concernaient particulièrement les règles applicables aux professions de santé, ainsi que le manque d'intelligibilité de plusieurs dispositifs clefs, en particulier la carte professionnelle. Notre collègue Christiane Demontès, rapporteure de l'avis motivé pour la commission des affaires sociales, a confirmé et enrichi notre analyse - nos travaux sont complémentaires.

Ces griefs demeurent pertinents. Notre proposition de résolution les reprend largement, mais sous un autre angle que la subsidiarité.

Mme Bernadette Vergnaud, rapporteur de la commission IMCO du Parlement européen a remis il y a dix jours son projet de rapport qui sera examiné à la fin de l'année. Il est remarquable que le projet de résolution du Parlement européen cite dans ses visas l'avis motivé du Sénat, ce qui illustre le dialogue croissant entre le Parlement européen et les parlements nationaux. La quasi-totalité des réserves que j'exprime figurent d'ailleurs dans le rapport du Parlement européen.

Cette communauté de vue reflète le sentiment des professionnels concernés. J'ai constaté lors de mes auditions leur grande maturité. Les Ordres ont intégré la logique européenne et leurs réseaux se réunissent régulièrement pour adopter des positions communes. Leur démarche n'est absolument pas protectionniste. Les professions de santé de notre pays sont sans doute les plus ouvertes aux ressortissants étrangers.

Notre message doit être double. Tout d'abord, les objectifs de la proposition de directive sont excellents et les dispositions proposées vont plutôt dans le bon sens en simplifiant les procédures. Il n'y a pas de recul sur les exigences minimales de formation. Toutefois, cette méthode a ses limites, car le vrai obstacle à plus de mobilité tient au manque de confiance mutuelle. Les sages-femmes, par exemple, pointent les écarts très importants de formation entre les pays. Le champ de compétences de chaque profession n'est souvent pas le même d'un pays à l'autre. En France, les sages-femmes peuvent prescrire, pas dans les autres pays. Les spécialités médicales ont aussi des contours très différents, et il n'est pas rare que les autorités de certains pays ne contrôlent pas sérieusement les qualifications. De faux diplômes circulent aussi.

Comment construire la confiance ? Simplifier ne suffit pas, il faut créer des standards communs élevés de formation, dont, dans l'idéal, le respect serait certifié par une autorité européenne indépendante. Ces conditions ne sont pas négociables quand la sécurité des patients ou des consommateurs est en jeu.

La crainte principale liée au projet de carte professionnelle européenne est celle d'un dessaisissement des autorités compétentes du pays d'accueil au profit des autorités du pays d'origine. Les autorités du pays d'accueil - en l'occurrence les ordres professionnels - seraient réduites de facto à un rôle d'enregistrement. Des garde-fous sont donc nécessaires.

Si la proposition de modification de la directive va dans le bons sens à propos des exigences minimales de formation, le recours aux actes délégués permettrait à la Commission européenne seule, sous le contrôle du Parlement européen et du Conseil, de modifier et d'actualiser ces exigences. Les actes délégués ont l'avantage de la souplesse et de la rapidité. En revanche, ils ne garantissent pas que les professions concernées soient associées. Or, sans les professions, pas de confiance. Je vous propose une position réservée, mais ouverte sur les actes délégués qui peuvent faciliter une harmonisation par le haut des exigences de formation.

De même, je suis pour les cadres communs de formation. Ce jargon désigne l'extension à toutes les professions du système de la reconnaissance automatique. Ces cadres communs pourront être élaborés par les professionnels représentant un tiers des Etats membres seulement, contre les deux tiers aujourd'hui - on est à la frange des coopérations renforcées.

En revanche, l'inclusion des notaires dans le champ de la directive ne peut recueillir notre accord. J'ai rencontré à deux reprises le Conseil supérieur du notariat pour cerner toutes les difficultés juridiques. La profession de notaire ne peut entrer dans le champ de la directive, car on est nommé notaire par le garde des Sceaux. Être titulaire du diplôme ne suffit pas pour exercer la profession. Être notaire n'est pas une qualification, mais une fonction ...

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