Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mars 2016 à 9h00
Justice et affaires intérieures — Réforme de l'espace schengen et crise des réfugiés - rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, rapporteur :

Ce rapport d'information porte sur l'avenir de l'espace Schengen et la crise migratoire aiguë à laquelle l'Europe est aujourd'hui confrontée. Ces deux questions sont, bien sûr, étroitement liées. Il nous apparaît urgent de prendre position et de définir une ligne.

Il a été démontré que la politique du « chacun pour soi » ne peut conduire en la matière qu'à une impasse. On voit bien que les décisions unilatérales prises par certains États ne constituent pas une solution durable : elles pourront tout au plus bloquer certains flux, avec des conséquences humanitaires déjà visibles et inacceptables, ou déboucher sur l'utilisation de voies de contournement ou de substitution aggravant la situation de pays européens voisins et interpellant à nouveau l'Union européenne.

Au cours de la dernière période, des expressions comme « dislocation de l'Union européenne », « démantèlement de l'Union européenne », voire même de « mort de l'espace Schengen » ont été prononcées. À la mi-janvier, dans des termes très durs, le ministre français de l'intérieur a déclaré : « Soit on considère que l'Europe est un chaos et on ne fait rien, soit on agit avec volontarisme et avec un agenda précis. » Et il ajoutait : « Si nous ne nous montrons pas extrêmement vigilants quant aux conditions dans lesquelles s'exerce la sécurité de nos frontières extérieures, nos opinions publiques seront de moins en moins favorables à accorder un accueil serein aux réfugiés. » On ne peut être plus précis et plus direct sur les relations qui existent entre les deux problématiques.

Nous avons entendu des responsables français de ces dossiers, à Paris et à Bruxelles, les ambassadeurs d'un certain nombre de pays particulièrement concernés : la Turquie, la Grèce et la Macédoine, qui est en première ligne, pour le moment, face à la pression migratoire des réfugiés bloqués à la frontière grecque. Nous en avons conclu que l'heure des choix était venue : nous sommes arrivés à un point de non-retour.

Dans une précédente intervention, au mois de novembre 2014, je vous avais rappelé le dispositif général du Code frontières Schengen, tel qu'il résulte du règlement de 2013. L'espace Schengen a été ouvert en 1985 entre cinq pays, puis s'est élargi peu à peu. J'avais mis l'accent sur les insuffisances ou les lacunes de cet espace commun de libre circulation.

En matière de visas tout d'abord, à l'exception du visa de court séjour dit « visa Schengen », chaque État membre délivre aux ressortissants des États tiers une autorisation de séjour selon des critères qui lui appartiennent. Il en est de même, en grande partie, pour la protection internationale : chaque État accorde aux demandeurs d'asile une protection nationale selon ses pratiques, même si des règles communes en matière d'accueil, de procédure et de qualification sont maintenant définies par les directives de 2013.

Mais la crise migratoire aiguë qui frappe l'Europe depuis plusieurs mois a fait apparaître que l'enjeu majeur était décidément le contrôle effectif des frontières extérieures de l'Union européenne et, singulièrement, de l'espace Schengen. On le sait, les frontières des États membres de la périphérie sont aussi les frontières communes de l'Europe. C'est tout le problème des États les plus exposés - l'Italie, puis la Grèce aujourd'hui - ainsi que celui de l'agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures, Frontex.

Il faut se féliciter des deux propositions de règlement présentées par la Commission le 23 janvier dernier. L'une porte sur la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et renforce substantiellement le mandat et les moyens humains et matériels de Frontex. L'autre prévoit un renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures de l'Union. Le projet de création de garde-frontières européens - proposition avancée depuis longtemps par le Sénat - pourrait voir le jour avant l'été 2016, ou au plus tard en septembre 2016.

Nous pensons, pour notre part, qu'il faut aller plus loin. Ce qui est en jeu, c'est le rétablissement de la confiance entre les États membres, et entre les citoyens et l'Union européenne. En son absence, tout l'édifice européen se trouve extrêmement fragilisé : il s'agit pour l'Union européenne, à qui tant de reproches sont déjà adressés, d'une question de survie.

Il s'agit donc peut-être d'exiger une condition préalable à toute réforme, qu'elle concerne le Code frontières Schengen, le système Dublin ou encore le dispositif européen sur le droit d'asile. Ce préalable, c'est la mise en place, le plus rapidement possible, d'un contrôle systématique avec validation biométrique des entrées et des sorties dans l'espace Schengen et hors de cet espace. Les migrants arrivant massivement depuis des zones de guerre sont souvent dépourvus de papiers. Cet enregistrement systématique devra concerner tant les ressortissants des pays tiers que les ressortissants bénéficiant de la libre circulation dans l'espace européen, c'est-à-dire les détenteurs de passeports européens. Ce projet, communément appelé « Smart Borders » ou « Frontières intelligentes » est en débat, dans les instances européennes, depuis 2013. S'il était validé, il pourrait, selon ce qui nous a été dit, être mis en oeuvre au plus tôt au printemps 2017 : c'est bien long... Certains lui ont reproché sa dimension trop sécuritaire. Pourtant, de grands pays comme le Brésil ou de plus petits comme le Burkina Faso, l'utilisent depuis des années. C'est sans doute la condition sine qua non, selon nous, du rétablissement de la confiance et donc de la poursuite d'une politique européenne commune.

Il faut aussi rappeler l'importance, en la matière, des relations avec les pays tiers. Soulignons la nécessité du renforcement de la coopération internationale, en particulier avec les pays d'origine et de transit des réfugiés ou des migrants, qu'a bien montrée le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015. Nous savons tous que le renforcement de cette coopération est seul susceptible, à plus ou moins bref délai, de résoudre les difficultés auxquelles l'Union européenne fait face. Je n'insisterai pas sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie qui a été entériné par le Conseil européen de la semaine dernière. Sa mise en oeuvre sera difficile. En Grèce, des migrants ont déjà déclaré qu'il n'était pas question pour eux de retourner en Turquie. La vigilance s'impose donc. En tout cas, il ne remet nullement en cause la stratégie européenne préconisée par la proposition de résolution européenne (PPRE) qui vous est présentée.

Il importe, enfin, de rappeler l'importance d'une résolution rapide des conflits armés qui ravagent de nombreuses régions du monde, en particulier le Moyen-Orient. Cela aiderait à limiter la crise migratoire, qui ne pourra cependant pas être stoppée facilement.

L'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit d'un possible éclatement de l'Union européenne faute d'un accord sur les outils à mettre en oeuvre et l'obligation de solidarité.

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