Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 mars 2016 à 9h05
Justice et affaires intérieures — Union européenne et lutte contre le terrorisme : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mm. philippe bonnecarrère et simon sutour

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Merci de nous avoir confié ce travail, sur un sujet aussi essentiel que passionnant. Ses enjeux sont autant techniques que politiques, et ils concernent aussi la défense des libertés publiques, auxquelles nous sommes tous attachés.

Sur la lutte contre le trafic d'armes, mentionnons l'adoption définitive d'un règlement définissant des normes minimales communes en matière de neutralisation des armes à feu, une proposition de directive du 18 novembre 2015 relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes, et un plan d'action de la Commission européenne du même jour pour lutter contre le trafic illicite d'armes et d'explosifs. Le problème se pose aussi à l'intérieur de nos frontières nationales : M. Gilles de Kerchove nous a ainsi indiqué qu'il suffisait de 300 euros pour acheter une kalachnikov ! D'où l'idée évoquée par Fabienne Keller de créer un fonds pour racheter les armes en circulation...

Sur le renforcement de la coopération policière et judiciaire en Europe, un accord a été trouvé entre le Parlement européen et le Conseil le 26 novembre dernier sur le règlement portant réforme d'Europol. Ce projet de règlement devrait être adopté par le Parlement européen en avril 2016 et appliqué à partir du 1er avril 2017. Il renforce l'agence dans sa lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité et la criminalité transfrontière, en obligeant les États à lui fournir les informations nécessaires. Notons encore que le contrôle démocratique de l'activité d'Europol, semblable à celui de l'état d'urgence en France, sera supervisé par un groupe parlementaire conjoint composé de membres des parlements nationaux et du Parlement européen. Signalons aussi la création, au sein d'Europol, le 25 janvier 2016, d'un centre européen de contre- terrorisme chargé de coordonner les informations des cellules nationales de lutte contre le terrorisme. En effet, la circulation des informations a été peu satisfaisante entre la Belgique et la France, alors que ce sont deux pays proches à la fois géographiquement et culturellement. De plus, le fait qu'Abdelhamid Abaoud ait pu se promener ainsi en Europe sans être inquiété - ou, avant lui, que Mohammed Merah ait pu aller se former au Tadjikistan - soulève la question d'une meilleure détection des signaux faibles.

La Commission a présenté le 21 janvier 2016 une proposition de directive concernant les échanges d'informations relatives aux ressortissants de pays tiers ainsi que le système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS). ECRIS est un système électronique d'échange d'informations sur les condamnations antérieures prononcées par des juridictions pénales dans l'Union européenne à l'encontre des ressortissants européens. Pour mieux lutter contre la criminalité transfrontière et le terrorisme, la réforme propose d'étendre le système européen d'information sur les casiers judiciaires aux ressortissants de pays tiers. La proposition de résolution demande que les condamnations prononcées par la justice de chaque pays contre des ressortissants d'autres pays y figurent également, et que l'ensemble du système soit mieux et plus systématiquement renseigné par tous les États.

Le dossier du Parquet européen est lui aussi un véritable marathon. La proposition de règlement portant création du Parquet européen remonte au 17 janvier 2013. En application de l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le Parquet européen a vocation à poursuivre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Toutefois, le Conseil européen peut décider d'étendre ses attributions à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. La structure proposée initialement par la Commission comportait deux niveaux : une unité centrale - que certains ont qualifiée de « super procureur européen » - et un second niveau constitué de procureurs européens délégués par cette unité centrale.

Dans une première résolution européenne adoptée le 15 janvier 2013, le Sénat a souhaité une extension rapide des compétences du Parquet européen à la criminalité grave transfrontière. Dans une seconde résolution européenne portant avis motivé du 3 octobre 2013, le Sénat a critiqué le choix centralisateur et directif de la Commission. À la suite du carton jaune adressé par quatorze chambres de parlements nationaux qui ont suivi la position du Sénat, la Commission a refusé de retirer son texte, mais le Conseil a fait évoluer le projet dans le sens d'une structure collégiale et décentralisée pour le Parquet européen.

La discussion - qui dure toujours - s'est articulée autour de plusieurs débats portant sur la structure du Parquet européen, l'extension de ses compétences, la compétence partagée du Parquet européen avec celle des autorités judiciaires des États membres, la compatibilité des règles relatives au fonctionnement du Parquet européen avec les droits internes des États membres, la question de la recevabilité et de l'évaluation des preuves, afin de garantir les droits de la défense, et la mise en place d'un recours judiciaire effectif pour les citoyens européens.

Pour le Sénat, en tout cas, la question de la structure du Parquet européen est fondamentale car elle met directement en cause la souveraineté des États membres.

Où en est le débat européen aujourd'hui ?

Le Parlement européen est plutôt favorable à la proposition initiale de la Commission. Au niveau des États, plusieurs groupes de pays ont des approches différentes : l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Roumanie ou la Bulgarie sont en faveur d'une vision intégrée du Parquet européen. L'Allemagne, l'Autriche et la Pologne sont proches de cette position. Des pays comme les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, la République tchèque ou la Hongrie, manifestent de fortes réticences. Quant au Royaume-Uni et à l'Irlande, ils ont indiqué, dans la logique de l'« opt-out », qu'ils ne participeraient pas à la nouvelle institution. Le Danemark en a fait de même, grâce aux dispositions qui l'exonèrent de certaines obligations.

Le Gouvernement est favorable au principe du Parquet européen, qui pourrait favoriser une politique pénale européenne harmonisée. Il soutient la structure collégiale en concevant le Parquet comme un véritable instrument d'entraide judiciaire. Il souhaite toutefois éviter les contentieux de masse : pour lui, le futur Parquet européen ne devra se saisir que des affaires importantes.

En l'absence de consensus sur la structure, voire le principe même d'un Parquet européen, la question de l'extension de ses compétences n'est pas à l'ordre du jour ; certains le regretteront en estimant que ce Parquet pourrait constituer un bon instrument dans la lutte contre le terrorisme. Si le Parquet européen doit voir le jour, ce sera probablement dans le cadre de la coopération renforcée, prévue par les traités, d'au moins neuf États membres. Les conditions de l'intervention d'un Parquet européen, doté d'un statut spécifique, dans 28 systèmes judiciaires différents, expliquent la prolongation des discussions en cours.

Le rapport énumère les diverses mesures relatives à la lutte contre le terrorisme sur internet et la radicalisation. Il évoque aussi l'importance de la coopération internationale avec les pays tiers dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. À cet égard, le sommet de La Valette les 11 et 12 novembre 2015 réunissant des représentants de l'Union européenne et d'un certain nombre de pays tiers notamment africains, a représenté un progrès. La question de la défense au large, dans la zone sub-sahélienne ou en Libye, ainsi que les conséquences du recours à l'article 42-7 du TFUE, pourraient faire l'objet de travaux plus approfondis.

La proposition de résolution européenne qui vous est présentée prend acte d'un certain nombre d'avancées qui ont répondu aux attentes exprimées par la résolution européenne du Sénat du 1er avril 2015. Elle est aussi l'occasion de souligner que l'intensification de la coopération et de l'échange d'informations entre les agences européennes concernées et les services de justice, de police et de renseignement des États membres, constitue la condition sine qua non de l'efficacité des politiques européennes en la matière. Malgré les critiques dont il fait l'objet, le système Schengen n'a pas d'alternative.

En conclusion, reconnaissons - hélas ! - que les attentats terroristes, et notamment ceux qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier, ont constitué un grand coup d'accélérateur pour de nombreux dossiers.

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