Intervention de Jean Arthuis

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 février 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Table ronde conjointe avec la commission des affaires européennes de l'assemblée nationale et avec les membres français du parlement européen sur l'approfondissement démocratique de l'union et l'intégration solidaire avec la participation de mm. jean arthuis daniel cohn-bendit mme agnès bénassy quéré mm. jean pisani-ferry et yves bertoncini

Photo de Jean ArthuisJean Arthuis :

Nous nous trouvons à un moment important de la construction européenne, qu'avive l'adoption par le Conseil européen du cadre budgétaire pour la période 2014-2020. Il est d'ailleurs bien étrange que cette procédure intervienne un an avant le renouvellement du Parlement européen !

Si l'Union européenne a plusieurs missions - tirer les conséquences de la mondialisation, aller jusqu'au bout du projet entrepris et, enfin et surtout, nous sortir de la crise -, je me suis, pour ma part, surtout préoccupé de la gouvernance de la zone euro. Je m'étais impliqué dans le passage à l'euro lorsque j'étais ministre, entre 1995 et 1997 : en l'absence d'État européen, il nous fallut établir un règlement de copropriété pour cette monnaie orpheline. Espérant de l'euro qu'il leur apporterait la prospérité, les États ont formalisé leurs engagements dans un Pacte de stabilité qu'ils se sont empressés de transgresser. L'audace étant à l'oeuvre, la Grèce, qui ne remplissait nullement les critères de convergence, a néanmoins été admise dans la zone euro. Et pendant les dix premières années de son existence, la monnaie unique a fait office d'anesthésiant pour les États, les marchés et les agences de notation qui ont cru jusqu'à la fin de l'année 2009 que la zone euro était de fait un espace fédéral. C'est ainsi que le jour où la Grèce fut admise dans la zone euro, le taux de ses émissions de dette publique tomba de 15 % au même niveau que celui des Allemands ! Dans cette allégresse, la Commission européenne se montra pusillanime à l'égard des chefs d'État et de gouvernement qui arguèrent de la bonne santé de l'économie, les taux d'intérêt étant quasiment au plancher. En dépit d'une gouvernance dérisoire et honteuse, tout fonctionna en apparence : l'Europe traversant la crise en évitant le pire, on considéra que l'euro avait rempli sa mission.

Ce n'est qu'à la fin de l'année 2009 que l'on prit la mesure de la réalité de la situation. Eurostat ne disposant d'aucun pouvoir de contrôle, les États, qui se font mutuellement confiance, étaient considérés comme souverainement sincères dans la présentation de leurs comptes publics. Ce n'est que lorsque la crise des dettes souveraines survint que les chefs d'État et de gouvernement se réunirent pour la première fois à dix-sept - succédant aux ministres de l'économie et des finances de l'Eurogroupe, qui, enclins à la complaisance réciproque, avaient désigné comme président celui d'entre eux qui avait le plus de conflits d'intérêt et d'imagination en matière de rigueur fiscale : le ministre des finances du Luxembourg ! Les chefs d'État et de gouvernement multiplient les réunions et les déclarations fracassantes non suivies d'effets, faisant la démonstration de l'absence de pilotage de la zone euro. Mais c'est la Commission européenne qui aurait dû mesurer à temps à quel point la croissance espagnole était artificielle et s'interroger sur la crédibilité du contrôle prudentiel des banques irlandaises - sans parler de Chypre !

Il n'était pas question néanmoins, en 2009, de laisser tomber la Grèce ou tout autre membre de la zone euro, mais ce ne sont ni l'Union européenne ni le Parlement européen qui viennent à leur secours mais bien les États membres de la zone, en leur consentant des prêts bilatéraux et en mettant à contribution leurs finances publiques nationales au profit du mécanisme européen de stabilité. On voit donc se constituer au sein de l'Union européenne, parallèlement au budget des États membres du marché intérieur, un second budget de solidarité au niveau de la zone euro, beaucoup plus conséquent. Ce sont les parlements nationaux qui inscrivent en loi de finances les crédits nécessaires à la constitution du capital social du mécanisme européen de solidarité, et ce sont les garanties des États membres de la zone euro qui sont mises en jeu lorsque ce mécanisme emprunte sur les marchés.

Il est donc impératif de doter la zone euro d'un gouvernement économique, budgétaire et financier digne de ce nom. Afin que nous assumions le partage de souveraineté que représente la monnaie unique, afin de rendre la gouvernance de la zone euro plus lisible et plus cohérente et d'en assurer la légitimité démocratique, je conclus mon rapport par les onze propositions suivantes :

- doter Eurostat d'un véritable pouvoir d'investigation et en faire une agence statistique européenne indépendante certifiant la sincérité des comptes publics des États membres ;

- normaliser, homogénéiser et agréger ces comptes publics afin de mieux coordonner les actions publiques ;

- assurer l'indépendance des prévisions macro-économiques - une mission qui sera assurée en France par le Haut conseil des finances publiques, présidé par le Premier président de la Cour des comptes ;

- substituer aux sanctions financières qui ne font qu'accroître les difficultés des États déficitaires et qui contraignent au bout du compte leurs partenaires à leur prêter de l'argent pour les payer, un système de sanctions politiques graduées, consistant à assurer la publicité de leur situation puis à les priver de droits de vote ;

- associer les directeurs du budget des États membres de la zone euro aux travaux des conseils Écofin et de l'Eurogroupe - les présidents des banques centrales nationales et les directeurs du trésor y ayant été seuls admis jusqu'à ce jour pour des raisons historiques et de hiérarchie interne ;

- adopter un programme de consolidation budgétaire quinquennal visant le retour à l'équilibre dans la zone euro, et associé à des initiatives de croissance ;

- fusionner les fonctions de président du Conseil européen et de président de la Commission européenne - le doublon actuel compliquant l'identification de l'autorité européenne ;

- officialiser l'Eurogroupe en en faisant un véritable gouvernement économique, financier et budgétaire prenant en charge une union bancaire qui devra s'étendre aux sociétés d'assurance ;

- charger de la coordination budgétaire, à titre permanent, un ministre de l'économie et des finances indépendant de tout conflit d'intérêt, qui pourrait être nommé vice-président de la Commission européenne ;

- créer un véritable secrétariat général du Trésor européen : je m'étonne que Mme Ashton ait 3 000 collaborateurs à sa disposition pour une politique extérieure peu visible alors que Jean-Claude Juncker prenait appui sur son directeur du Trésor pour assurer le secrétariat de l'Eurogroupe ! Il ne s'agira nullement d'une scission entre l'Union à 27 et les 17 membres de la zone euro puisque tous les membres de l'Union ont vocation à la rejoindre ;

- créer un conseil de supervision ou de surveillance, compte tenu de l'implication des finances nationales dans le mécanisme européen de stabilité et des risques encourus en cas de sinistre de l'un des membres de la zone euro : ce conseil serait constitué de représentants des parlements nationaux des États membres de la zone euro et de parlementaires européens élus dans des pays de la zone, dotés non pas de pouvoirs législatifs mais de pouvoirs d'investigation. Loin de servir d'alibi démocratique, ils devraient être entièrement impliqués dans leur tâche et disposer des mêmes prérogatives de contrôle que les membres du Parlement afin de s'assurer que la gouvernance de la zone euro est rigoureuse et efficace. Un tel conseil pourrait répondre aux exigences de l'article 13 du TSCG.

Tels sont, Mesdames et Messieurs, les principaux éléments de ma contribution en faveur d'un véritable pilotage de la zone euro.

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