Intervention de Serge Guillon

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 février 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Audition de M. Serge Guillon secrétaire général des affaires européennes

Serge Guillon, Secrétaire général des affaires européennes :

Ce sera avec plaisir que nous organiserons une réunion dans les nouveaux locaux du SGAE. Ma fonction est double : secrétaire général, de l'administration du SGAE, je suis, c'est la tradition, le conseiller du Premier ministre pour les affaires européennes. Notre machine administrative comporte environ 220 personnes, et son mode de fonctionnement repose sur une double légitimité, technique et politique.

Légitimité technique, car il nous revient de définir les positions exprimées par la France dans les différentes enceintes européennes de négociation à Bruxelles. Cela implique, pour le Conseil, d'exprimer une position et, pour le Parlement européen, d'expliquer aux élus les positions du Gouvernement, par des notes ou, de plus en plus, des échanges avec eux. Ce travail impose souvent de gérer des objectifs contradictoires, d'autant plus que la France est victime de ce que je nomme le syndrome du grand pays : elle est en effet concernée par la quasi-totalité des sujets, à la différence de pays plus petits, ou de certains grands pays dont les priorités sont traditionnelles et évoluent peu - ainsi la sphère financière pour le Royaume-Uni.

Une telle diversité de sujets requiert une vraie compétence technique, afin d'être des interlocuteurs crédibles des ministères concernés. C'est pourquoi le SGAE est un modèle réduit de l'administration française : on y trouve aussi bien un colonel de gendarmerie qu'une conseillère maître à la Cour des comptes, un médecin qu'un membre de l'Inspection générale des finances, un membre du corps des mines, ou des ponts et chaussées... Ces fonctionnaires restent au SGAE pour des durées variables : leur rotation contribue à la diffusion d'une culture communautaire.

Les sujets européens sont désormais perçus comme des sujets intérieurs. Il nous faut rendre une multitude d'arbitrages, et nous inscrire dans une guerre d'influence, de lobbying, qui prend de plus en plus d'importance dans la détermination des politiques communautaires : les acteurs y sont de plus en plus nombreux, parfois extra-européens (les Américains et les Chinois sont très présents) ; notre objectif est d'en devenir un aussi. Cela suppose de définir nos positions très tôt, et de savoir les propager afin d'influer sur les négociations, au moment où elles se cristallisent. Rendre des arbitrages, définir une stratégie, réclame une légitimité politique, conférée au secrétaire général par son rôle de conseiller auprès du Premier ministre.

Nous développons aussi des relations avec le Parlement, avec le Parlement européen, avec les associations de collectivités locales, avec les think tanks, avec le monde académique, le monde économique... J'ai défini deux axes de développement : accroître l'ouverture sur le monde extérieur, par des contacts directs avec le monde économique, car les ministères par leur approche sectorielle font parfois écran à notre perception des problèmes ; développer la réflexion stratégique. La France pèche en effet par un déficit de réflexion stratégique : pour peser dans les négociations, il faut d'abord savoir où l'on veut aller. Sinon, on se condamne à être en situation de réaction et à subir le calendrier européen.

J'ai lancé, avec l'accord du Premier ministre, un programme de groupes de réflexion interministériels, qui peuvent auditionner des experts extérieurs et dont l'objectif est de produire des mémorandums définissant des propositions opérationnelles et susceptibles d'être des vecteurs d'influence. La politique européenne de l'énergie, la stratégie commerciale, l'avenir de l'union économique et monétaire, la stratégie industrielle sont autant de sujets dont ces groupes s'emparent. Sur le thème de la culture, par exemple, un slogan comme « l'exception culturelle à la Française » n'est pas forcément compris par nos partenaires : montrer le modèle économique qui le sous-tend est plus convaincant. J'installerai prochainement un conseil scientifique composé de personnalités extérieures qui participeront à nos débats.

Le Conseil européen était consacré à trois sujets : le cadre financier pluriannuel, la stratégie commerciale de l'Union, et les relations extérieures, avec la Syrie et avec le Mali. En réalité, les deux derniers sujets ont été abordés en quelques minutes à la fin de la réunion, après une nuit blanche de négociation, et sans qu'un temps suffisant soit consacré aux débats. Cette négociation du Cadre financier pluriannuel est inachevée : il faudra l'accord du Parlement européen, et de nombreuses incertitudes techniques sur les résultats demeurent. Avant-hier, nous avons même reçu un nouveau tableau. Je resterai donc prudent.

Pour la première fois, le cadre financier pluriannuel a été négocié à vingt-sept, ce qui était un élément de difficulté supplémentaire par rapport à la négociation précédente, conduite à vingt-cinq. Encore a-t-on compté avec la Croatie, dans la perspective du prochain élargissement. Elle s'est ouverte dans un contexte général de crise des finances publiques, et de crise du concept même de solidarité - or le budget européen est, par excellence, un exercice de solidarité. S'y ajoute une véritable crise de sens du projet européen : des fissures apparaissent, comme on l'a vu récemment dans le discours du Premier ministre anglais.

Ce type de négociation s'ouvre, de surcroît, avec un héritage. Pour nous, il s'agit du piège du chèque britannique, version Fontainebleau de 1984, révisée à Berlin en mars 1999 avec le rabais de 75% sur leur contribution théorique obtenu par quatre pays en mars 1999, et consolidée par la suite. La France se retrouve le principal financeur de ce chèque, qui compense en partie le solde net de ces Etats et dont elle paie environ un tiers ; elle aurait donc intérêt, paradoxalement, à ce que le solde net des Britanniques ne se dégrade pas trop, ce qui pourrait nous inciter à les défendre. Leur chèque représente 10% de notre contribution aux finances de l'Union européenne (2 milliards d'euros sur vingt milliards).

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