Les dépenses qui donnent lieu à retour et celles qui n'y donnent pas lieu ne sont pas traitées de la même manière dans la négociation : un accord est facilement trouvé pour réduire des dépenses d'action extérieure, par exemple, parce qu'elles ne donnent pas lieu à retour. Depuis 1984, et à cause de l'attitude de la Commission européenne depuis une dizaine d'années, les États se focalisent sur les soldes nets, alors que ce n'est en rien une indication des relations entre un État et l'Union : l'économie allemande, par exemple, a considérablement bénéficié de l'élargissement à l'est du marché intérieur, sans que cela se reflète dans le solde net de sa contribution à l'Union. Émile Noël, qui a été longtemps le secrétaire général de la Commission européenne, s'est toujours opposé au calcul de ces soldes nets, qui lui semblaient la négation même de la solidarité européenne - un ménage aurait peu de chances de survivre à semblable exercice...
Autre point, la particularité de la procédure et son interprétation par M. Van Rompuy. L'élaboration des perspectives financières a été l'occasion de mettre à l'épreuve, à haut niveau, l'articulation entre la présidence tournante et la présidence du Conseil européen. La préparation de la négociation a été assurée par la présidence tournante, danoise puis chypriote. En septembre, celle-ci a mis sur la table une proposition de compromis. Quelques jours plus tard, le président du Conseil européen a convoqué un Conseil européen exceptionnel en avançant une autre proposition de compromis, reprenant ainsi la main. A cette occasion, des consultations bilatérales ont été organisées sans la présidence chypriote. Le sommet a échoué.
Selon la procédure classique la présidence tournante aurait dû élaborer un nouveau projet, examiné par le Coreper avant d'être soumis aux ministres des affaires européennes en Conseil Affaires générales. Toutefois, M. Van Rompuy a déclaré que le Conseil européen avait simplement été suspendu et qu'il reprendrait en février. Cette interprétation a eu pour conséquence de mettre à l'écart la présidence irlandaise, qui n'a découvert que le 4 février des chiffres qui servaient de base à nos discussions bilatérales. Le Parlement européen n'a pas, non plus, été associé, son président recevant quelques esquisses le même jour - sa réaction se comprend ainsi aisément. Il appartiendra aux Irlandais de renouer le fil du dialogue car l'accord conclu devra être traduit dans un règlement, adopté par le Conseil Affaires générales et présenté au Parlement européen.
Quels ont été les résultats ? M. Van Rompuy a considéré très tôt que pour parvenir à un accord, il fallait obtenir un préaccord entre le Royaume-Uni, la France, et l'Allemagne. Avec cette dernière, après nos échanges bilatéraux, nos positions étaient très proches, même si nous n'avons pas jugé souhaitable de les formaliser pour ne pas donner l'impression de vouloir les imposer à nos partenaires.
La position initiale des Britanniques était très éloignée. M. Cameron cherchait à garder son chèque - son abrogation relevant de l'unanimité, il dispose d'un pouvoir de blocage éternel ! Il a tenu des propos très critiques à l'égard de l'Union européenne et souhaitait que le budget diminue de 200 milliards d'euros, soit 20%. Finalement il a fait des pas de géant, revenant à 100 milliards le premier jour, puis 50 milliards, et il ne réclamait plus qu'une baisse de 30 milliards le soir du deuxième jour du Conseil. Il n'est pas exclu, si le président Van Rompuy avait cherché à pousser son avantage, qu'il ait ensuite adhéré au paquet sur la table. L'Allemagne, quant à elle, avait adopté une position flexible : la chancelière voulait avant tout parvenir à la signature d'un accord, lequel lui garantissait le renouvellement du chèque d'un milliard d'euros qu'elle avait obtenu en 2005. La France, enfin, était prête à accepter une coupe raisonnable de l'ordre de 10 à 15 milliards d'euros de l'enveloppe globale, et exprimait des préoccupations concernant les régions en transition, les régions ultrapériphériques, la PAC, et le plafonnement de sa contribution au rabais britannique.
M. Van Rompuy a cherché à obtenir l'adhésion de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne aux grands équilibres, tout en gagnant le soutien des autres pays par une politique « de cadeaux ». M. Cameron a tenté de pousser son avantage sur les crédits de paiement et d'obtenir une coupe de plus de 30 milliards dans les crédits d'engagement. Cependant, la France avait annoncé qu'elle n'était pas prête à accepter une baisse des crédits d'engagement supérieure à 15 milliards et que la baisse des crédits de paiement devait être cohérente avec l'écart habituel entre les deux, soit environ 5% ; l'Allemagne était plus souple. Finalement le budget a été arrêté à 960 milliards en crédits d'engagement et à 908,4 milliards en crédits de paiement, soit une baisse de 3% par rapport aux enveloppes précédentes. Toutefois, ce plafond témoigne d'une hausse par rapport aux 855 milliards du budget exécuté en 2013. De même, en euros courants la progression est nette. En réalité, il y a une légère baisse, qui avait été largement anticipée, mais loin de la diminution de 200 milliards annoncée par le Royaume-Uni et ses alliés ! Le point de sortie est à peu près ce que nous avions envisagé. A ces montants, il convient d'ajouter les 10 milliards hors budget du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation ou du Fonds de solidarité de l'Union européenne et les 27 milliards du Fonds européen de développement, soit 1 000 milliards au total.
La France a toujours analysé le chiffre global par rapport aux positions du Parlement européen. Aussi a-t-elle adopté une position médiane, autour de laquelle l'accord s'est réalisé.
Les crédits de la PAC ont diminué de manière importante d'une période à l'autre, mais la baisse est très limitée par rapport à 2013, car l'enveloppe n'avait cessé de baisser tout au long de la période. La France plaidait pour le maintien de ses retours sur le premier et le deuxième piliers. Le président Van Rompuy nous a très vite expliqué que sur les 5 milliards que nous demandions sur le premier pilier, nous ne recevrions que 800 millions pour la France. Afin d'éviter un problème avec les Britanniques, M. Van Rompuy a proposé une hausse de 800 millions sur le développement rural, en expliquant qu'un transfert au premier pilier était possible dans la limite de 15% des enveloppes. Après avoir analysé la négociabilité de notre position, et en jouant jusqu'au bout la carte du retour des crédits au titre du premier pilier, le président de la République a obtenu 2 milliards au titre du développement rural, qui compensent la baisse « faciale » des aides directes.
La négociation sur la politique de cohésion a été très compliquée. Les Allemands ont négocié beaucoup de cadeaux, notamment une enveloppe de 200 millions pour Leipzig, où Mme Merkel a fait ses études. Il fallait tenir compte de nombreux paramètres comme la règle du « capping » qui bloquait les montants pour certains États, l'existence de filets de sécurité évitant une baisse forte des crédits de certains pays, ou les cadeaux promis.
Notre priorité était de maintenir la catégorie des régions en transition (une cinquantaine, dont une dizaine en France), et de maintenir l'enveloppe destinée aux régions ultrapériphériques. Le maintien de l'enveloppe concernant les régions de transition semblant difficile, nous avons finalement obtenu des Allemands la création d'un fonds de lutte contre le chômage des jeunes, avec deux composantes de trois milliards, destiné aux régions où le taux de chômage des jeunes dépasse les 25 %, et non les 20% comme nous le souhaitions. En définitive, avec ce fonds, nos crédits sont à peu près stabilisés, même si nous devons affiner nos appréciations lorsque nous connaîtrons les chiffres du chômage pour 2012.