Le traité de Lisbonne, à l'article 86, a donné une base juridique à la création du parquet européen. Ce parquet peut être créé par une décision du Conseil statuant à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. Il a pour mission de combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Le Conseil peut toutefois l'étendre à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière. Pour cela, il doit statuer à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission. Pour l'heure, la Commission ne l'envisage pas.
Ce parquet, tel que l'envisage Bruxelles, serait créé sous la forme d'un office intégré de l'Union s'appuyant sur les systèmes judiciaires nationaux. Il bénéficierait de garanties d'indépendance et devrait rendre compte de ses activités. Le texte précise les mesures d'enquête qu'il pourrait accomplir tout en permettant l'application de règles de droit national. Il établit l'admissibilité devant les juges du fond des éléments de preuve que le parquet aura recueillis. Il prévoit des garanties procédurales pour les personnes suspectées. Ce sont les juridictions nationales qui exerceront le contrôle juridictionnel de l'ensemble des actes d'enquête et de poursuite attaquables du parquet européen. Ces juridictions pourront néanmoins adresser des questions préjudicielles à la Cour de justice sur l'interprétation des dispositions pertinentes du droit de l'Union. Le parquet européen devrait avoir des relations privilégiées avec Eurojust qui est parallèlement réformé.
Sur le principe, nous sommes évidemment favorables à cette proposition. Dans une résolution du 15 janvier 2013, le Sénat avait soutenu la création d'un parquet européen. Nous avions jugé possible de procéder par étape en commençant par la protection des intérêts financiers de l'Union, tout en souhaitant une extension rapide à la criminalité grave de nature transfrontière. Néanmoins, il est à craindre que la formule très intégrée retenue par la Commission ne réussisse pas à s'imposer dans la pratique, face aux réticences des États membres. Le parquet européen serait, en effet, dirigé par un procureur européen nommé par le Conseil avec l'approbation du Parlement européen pour un mandat de huit ans non renouvelable. Ce procureur européen serait assisté de procureurs adjoints nommés dans les mêmes conditions et de procureurs délégués dans les États membres qu'il nommerait lui-même et qu'il pourrait révoquer.
Dans notre résolution, nous avions défendu un parquet européen de forme collégiale, désignant en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre. C'est le seul moyen de garantir, à notre sens, l'ancrage du parquet européen dans les systèmes nationaux et son acceptation par les praticiens des États membres. La position commune franco-allemande va dans le même sens. En faisant un choix plus centralisateur et directif, la Commission européenne va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif d'un meilleur pilotage et d'une coordination renforcée, ce qui est contraire au principe de subsidiarité.
J'ajoute que, compte tenu de l'opposition de certains États membres, ce parquet européen ne pourra vraisemblablement être créé que par la voie d'une coopération renforcée. La formule proposée doit être suffisamment souple pour recueillir un consensus parmi au moins neuf États membres, seuil requis par le traité pour le lancement de la coopération renforcée. En proposant un schéma beaucoup plus rigide, la Commission européenne a pris le risque de faire échouer le processus. Bref, le texte de la Commission paraît aussi discutable au regard de la subsidiarité que peu opportun.
Plusieurs chambres parlementaires ont décidé de se saisir de ce texte au titre de l'examen de subsidiarité : le Bundesrat, le Parlement chypriote, les Cortes espagnols, le Parlement maltais, la Chambre des représentants des Pays-Bas, la Diète polonaise, la Chambre des communes et la Chambre des Lords, les Parlements slovène et suédois. Leur appréciation sera connue au plus tard le 28 octobre. Quoi qu'il en soit, si un quart des parlements nationaux adoptent un avis motivé, la Commission devra réexaminer le texte. Ce serait une bonne nouvelle.
Voilà les raisons pour lesquelles je vous propose d'adopter une proposition de résolution européenne portant avis motivé.