Intervention de monopole de fait attribué à la Commission européenne pour déclencher l'action

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 mai 2013 : 1ère réunion
Institutions européennes — Les sanctions pour non-respect du droit européen : point d'actualité de m. simon sutour

monopole de fait attribué à la Commission européenne pour déclencher l'action :

La seconde caractéristique du recours en manquement est le monopole de fait attribué à la Commission européenne pour déclencher l'action. Quelle que soit l'importance des griefs, les particuliers ne peuvent en effet jamais saisir directement la Cour de justice en se fondant sur le fait qu'un État membre n'a pas respecté une ou même plusieurs obligations imposées par les traités. Les autres États membres peuvent théoriquement saisir la Cour de justice, mais seulement après avoir demandé à la Commission européenne d'agir. Un contentieux ne peut donc être engagé par un État membre que dans l'hypothèse où la Commission européenne a refusé d'agir. De toute manière, il n'est pas dans les usages qu'un État membre s'en prenne directement à un autre État membre en saisissant la Cour de Justice. En pratique, c'est donc la Commission qui maîtrise la procédure de sanction et en apprécie l'opportunité.

En effet, la troisième caractéristique tient au fait que nul ne peut imposer à la Commission d'agir contre un État membre ayant manqué à une de ses obligations. Même en cas de violation flagrante du droit de l'Union, un éventuel refus d'agir de la Commission n'ouvrirait aucune possibilité d'action dirigée contre la Commission européenne, pourtant gardienne des traités selon la formule consacrée.

Quatrième caractéristique : si la Commission estime qu'il y a un manquement, elle doit obligatoirement commencer par une phase précontentieuse : aucun grief, même le plus grave, ne peut être directement soumis à la Cour de justice de l'Union européenne. La première étape est ainsi constituée par un échange d'observations entre la Commission européenne et l'État membre mis en cause. Habituellement, cette première phase dure environ deux mois. Si la Commission est convaincue par l'État membre, ou si ce dernier met fin au manquement reproché, la procédure s'arrête. Si tel n'est pas le cas, la Commission européenne peut émettre un « avis motivé ». Là encore, deux mois sont habituellement accordés à l'État membre pour se mettre en règle.

Cinquième caractéristique : le recours n'est que le prolongement de la phase précontentieuse. La Commission européenne peut abandonner un grief, par exemple si l'État mis en cause s'est partiellement ou totalement conformé à ses obligations, mais elle ne peut pas formuler un nouveau grief ou formuler différemment un même grief. Cet enchaînement s'impose à la Commission, mais aussi à la Cour de justice lorsqu'elle examine le droit national mis en cause, car les juges doivent comparer le texte de la saisine et la situation de l'État membre au moment de l'envoi de l'avis motivé. Cette règle peut avoir une conséquence très importante : si un État est mis en cause par avis motivé pour ne pas avoir transposé une directive, et qu'il met à profit le délai accordé pour adopter une transposition que la Commission juge inadéquate, l'action initialement engagée s'éteint malgré tout, puisque le grief de non transposition pure et simple n'est plus susceptible d'être retenu par la Cour de justice. Si la Commission entend poursuivre l'État membre en raison de la mauvaise transposition opérée, elle doit reprendre toute la procédure depuis le départ.

La sixième et dernière caractéristique sur laquelle je veux insister tient au régime différencié des sanctions éventuellement prononcées par la Cour de justice de l'Union européenne :

- si le contentieux n'est motivé ni par l'absence de transposition, ni par une mauvaise transposition de directive, la Cour de justice peut certes constater le manquement, mais dans un premier temps elle ne peut pas prononcer de sanction. Une sanction éventuelle ne peut intervenir qu'à l'issue d'une seconde saisine de la Cour de justice par la Commission européenne, motivée cette fois par à la mauvaise application du premier arrêt de la Cour de justice. Dans ce cas, les juges peuvent prononcer une sanction financière, qui peut prendre la forme d'une astreinte ou d'une amende forfaitaire. Depuis l'affaire dite « des poissons sous taille », jugée en 2005, la jurisprudence de la Cour de justice admet le cumul de l'amende et de l'astreinte ;

- tout est plus simple si le contentieux porte sur la non-transposition d'une directive, car la Commission européenne peut alors demander à la Cour de justice de constater le manquement et de prononcer simultanément une sanction, là aussi sous la forme d'une amende forfaitaire ou d'une astreinte. Un État membre qui manque à ses obligations de transposition encourt donc une sanction financière quasiment certaine s'il n'a pas mis la procédure précontentieuse à profit pour satisfaire à ses obligations. Introduite par le traité de Lisbonne, cette innovation dans le recours en manquement mérite d'être soulignée. En effet, la Cour de justice se montre très stricte. Elle a par exemple refusé de prendre en compte l'impossibilité constitutionnelle d'adopter une loi de transposition parce qu'une dissolution avait été prononcée.

La crainte de la sanction s'avère efficace, car la Commission obtient presque systématiquement gain de cause avant même d'avoir saisi la Cour de justice. Une affaire tout à fait récente illustre ce que je viens de dire : un avis motivé ayant été envoyé le 26 janvier 2012 à treize États membres qui n'avaient pas mis en oeuvre l'interdiction d'élever des poules pondeuses dans des cages disposées en batterie, onze États membre ont rectifié la transposition de la directive ou ont procédé à sa transposition. Seules la Grèce et l'Italie n'ont pu remplir leurs obligations : la Commission a donc saisi la Cour de justice le 25 avril 2013. En l'occurrence, la phase précontentieuse s'est étalée sur 15 mois. Cette durée illustre l'ampleur du pouvoir d'appréciation dont la Commission européenne dispose en l'espèce.

Je crois qu'il était utile, pour nous-mêmes et nos collègues, de rappeler ces nouvelles règles. Nous ne pouvons pas, spécialement aujourd'hui, prendre le risque que notre pays doive payer de lourdes pénalités pour n'avoir pas rempli en temps utile ses obligations de transposition. Nous devons tous être sensibilisés à cette exigence.

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