Intervention de Jean-Paul Emorine

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 juillet 2015 à 13h45
Économie finances et fiscalité — Union des marchés de capitaux : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. jean-paul emorine et richard yung

Photo de Jean-Paul EmorineJean-Paul Emorine :

Monsieur le Président, mes chers collègues, l'actualité récente autour de la Grèce me fournit l'occasion d'introduire mon propos sur l'Union des marchés de capitaux sous un angle très concret. Nous subissons en Europe, et particulièrement au sein de la zone euro, les effets hélas encore durables d'une crise majeure qui a débuté sur les marchés financiers américains. La Commission européenne a décidé de s'engager résolument dans une politique de soutien de la croissance et de l'emploi en Europe. Notre commission a déjà pu se prononcer sur un des axes de cet agenda : le plan dit « Juncker » c'est-à-dire le Fonds européen pour les investissements stratégiques. Le livre vert « construire l'union des marchés de capitaux » s'inscrit lui aussi dans les actions engagées pour promouvoir la croissance. C'est en cela une initiative que nous soutenons pleinement.

En quoi consiste-t-elle ? La Commission européenne ouvre une large consultation sur le développement des canaux de financement complémentaires au crédit bancaire : ceux des marchés financiers. Pourquoi soutenir le développement de ces mêmes marchés qui ont joué un rôle actif dans le déclenchement et la propagation de la crise financière ?

Afin de mieux appréhender cette démarche, je vous propose de revenir rapidement sur les grandes évolutions du secteur financier. Sur les dernières décennies, le financement de l'économie par le crédit bancaire, c'est à dire l'intermédiation bancaire, s'est développé à un rythme bien supérieur à celui des dépôts. Se sont alors développés d'autres formes de ressources financières - marchés de capitaux, marchés interbancaires - ainsi que des outils de financement de plus en plus complexes - titrisation par exemple. Croissance des risques, interdépendance entre les acteurs financiers sont autant d'éléments qui ont renforcé l'intensité et l'impact des crises. La réponse aux crises a été fort logiquement un renforcement de la réglementation qui, a conduit à son tour, à une pression à la baisse sur le crédit bancaire et en parallèle à une croissance des marchés de capitaux et du secteur financier non régulé... On le voit il s'agit là de profondes évolutions de fond. Nous pensons qu'il faut les accompagner et bien sûr les encourager. Nous pensons aussi qu'il ne faut pas les subir et que les objectifs et les leçons de la crise doivent être rappelés.

Comment ces évolutions se traduisent actuellement au sein de l'Union européenne ? L'Europe a été particulièrement ambitieuse dans sa réponse à la crise. La Commission a initié près de 40 propositions législatives pour le seul secteur financier. La forte pression réglementaire, conjuguée à celle des marchés et aux exigences de rentabilité, bouleverse le modèle européen traditionnel de financement de l'économie. Le financement bancaire qui y était jusqu'alors prépondérant - à hauteur d'environ 70 % - voit son importance diminuer au profit du financement par les marchés de capitaux. Cette tendance est d'ailleurs déjà largement engagée en France. Les marchés de capitaux y représenteraient actuellement 40 % du financement global.

Un deuxième constat s'impose. L'intégration des marchés financiers est une ambition ancienne en Europe mais elle est encore très imparfaite. La crise a renforcé le repli des différents acteurs et des flux financiers eux-mêmes derrière leurs frontières nationales. Cette fragmentation demeure aujourd'hui une réalité préoccupante et ce tout particulièrement pour la zone euro. Face à ce double constat, qu'envisage la Commission européenne ?

L'objectif de l'initiative d'union des marchés de capitaux est double : d'une part, développer les marchés de capitaux pour pallier la diminution du financement bancaire, et, d'autre part, développer l'union de ces marchés pour contrer la fragmentation financière.

En quoi consiste une union des marchés de capitaux ? Au sein de la zone euro, nous sommes depuis peu dans une Union bancaire. Indifféremment de leur pays d'installation, les entreprises présentant les mêmes caractéristiques financières devraient théoriquement y trouver un financement bancaire aux mêmes conditions. L'union des marchés de capitaux étend ce principe à l'ensemble des canaux de financement non bancaires ainsi qu'à l'épargne des citoyens. C'est un enjeu majeur pour le développement de notre économie. C'est pour cela que le livre vert a suscité à la fois beaucoup de réactions, d'attentes voire même d'inquiétudes. N'en doutons pas, ce projet est aussi un signe adressé au Royaume-Uni. Il l'accueille avec enthousiasme tout en faisant clairement savoir qu'il ne peut s'agir d'une réplication de l'Union bancaire. La mise en place d'un superviseur européen des marchés financiers constitue pour le Royaume-Uni une ligne rouge à ne pas franchir.

Quelle peut être notre appréciation ? La consultation lancée par le livre vert ouvre en réalité une multitude de débats qui sont pour certains très techniques et complexes et pour d'autres plus politiques. Il nous est apparu essentiel que le Sénat s'en saisisse. Il n'est pas de notre ambition d'y apporter autant de réponses. Ce que nous avons souhaité initier ici c'est une réflexion globale sur les grandes options en ce qui concerne la façon de financer l'économie européenne. Dans quelles conditions souhaitons-nous accompagner le développement des marchés financiers ? Quelles sont les enjeux qui nous paraissent prioritaires ? Quels principes doivent être rappelés ? Sans même aller jusqu'à évoquer ici le coût économique et social de la crise financière, il nous paraît sage d'analyser avec soin la relation entre finance et croissance dans nos systèmes économiques. La stabilité financière elle-même est la condition nécessaire de la croissance ; elle doit être réaffirmée comme une priorité. Pour ce faire l'agenda réglementaire doit se poursuivre avec bon sens mais fermeté et la question de la supervision des marchés doit être posée.

Nous avons en Europe, et particulièrement en France, des établissements bancaires de premier plan. Ils ont démontré leur résistance face à la crise et ont fait l'objet de toutes les attentions des régulateurs et des superviseurs. Nous nous devons de les préserver et de sauvegarder ainsi notre souveraineté financière face à un marché financier international très concurrentiel. Un récent compromis est intervenu au Conseil ECOFIN au sujet de la séparation des activités bancaires. Il fait la part belle aux exigences britanniques et laisse nos banques nationales bien isolées. Nous vous proposons de nous manifester à ce sujet car il est inacceptable d'adopter un règlement d'harmonisation maximale qui ne concerne au final presqu'un seul État. Il en va du respect de l'esprit des traités, de la subsidiarité et de la concurrence au sein de notre Union. Enfin, et c'est loin d'être un détail, pour la zone euro l'union des marchés de capitaux n'est pas qu'un simple objectif, c'est un impératif. Ceux sont quelques-unes des réflexions que nous vous suggérons et que mon collègue, Richard Yung à qui je passe la parole, va vous présenter plus en détail.

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