Notre ordre du jour appelle, en premier lieu, une communication de Jean-Paul Emorine et Richard Yung sur l'Union des marchés de capitaux.
Nous examinerons ensuite la proposition de résolution européenne qui vous a été adressée. Si vous marquez votre accord avec le texte proposé, celui-ci pourrait également faire l'objet d'un avis politique que nous adresserions à la Commission européenne. La compétitivité passe par un bon financement de l'économie. C'est l'intérêt d'une union des marchés des capitaux d'apporter une contribution à cet enjeu. Nous avons reçu le commissaire Jonathan Hill qui semblait décidé à agir vite. Nous avons pu apprécier son pragmatisme. L'union des marchés de capitaux doit être comprise comme complémentaire au rôle des banques. Elle enrichira les offres de financement existantes. L'intention du commissaire est d'agir aux différents niveaux de développement des entreprises. Jean-Paul Emorine et Richard Yung ont examiné dans le détail les intentions de la Commission européenne dans ce domaine qui sont retracées dans un livre vert. Ils vont pouvoir nous livrer leur appréciation.
Monsieur le Président, mes chers collègues, l'actualité récente autour de la Grèce me fournit l'occasion d'introduire mon propos sur l'Union des marchés de capitaux sous un angle très concret. Nous subissons en Europe, et particulièrement au sein de la zone euro, les effets hélas encore durables d'une crise majeure qui a débuté sur les marchés financiers américains. La Commission européenne a décidé de s'engager résolument dans une politique de soutien de la croissance et de l'emploi en Europe. Notre commission a déjà pu se prononcer sur un des axes de cet agenda : le plan dit « Juncker » c'est-à-dire le Fonds européen pour les investissements stratégiques. Le livre vert « construire l'union des marchés de capitaux » s'inscrit lui aussi dans les actions engagées pour promouvoir la croissance. C'est en cela une initiative que nous soutenons pleinement.
En quoi consiste-t-elle ? La Commission européenne ouvre une large consultation sur le développement des canaux de financement complémentaires au crédit bancaire : ceux des marchés financiers. Pourquoi soutenir le développement de ces mêmes marchés qui ont joué un rôle actif dans le déclenchement et la propagation de la crise financière ?
Afin de mieux appréhender cette démarche, je vous propose de revenir rapidement sur les grandes évolutions du secteur financier. Sur les dernières décennies, le financement de l'économie par le crédit bancaire, c'est à dire l'intermédiation bancaire, s'est développé à un rythme bien supérieur à celui des dépôts. Se sont alors développés d'autres formes de ressources financières - marchés de capitaux, marchés interbancaires - ainsi que des outils de financement de plus en plus complexes - titrisation par exemple. Croissance des risques, interdépendance entre les acteurs financiers sont autant d'éléments qui ont renforcé l'intensité et l'impact des crises. La réponse aux crises a été fort logiquement un renforcement de la réglementation qui, a conduit à son tour, à une pression à la baisse sur le crédit bancaire et en parallèle à une croissance des marchés de capitaux et du secteur financier non régulé... On le voit il s'agit là de profondes évolutions de fond. Nous pensons qu'il faut les accompagner et bien sûr les encourager. Nous pensons aussi qu'il ne faut pas les subir et que les objectifs et les leçons de la crise doivent être rappelés.
Comment ces évolutions se traduisent actuellement au sein de l'Union européenne ? L'Europe a été particulièrement ambitieuse dans sa réponse à la crise. La Commission a initié près de 40 propositions législatives pour le seul secteur financier. La forte pression réglementaire, conjuguée à celle des marchés et aux exigences de rentabilité, bouleverse le modèle européen traditionnel de financement de l'économie. Le financement bancaire qui y était jusqu'alors prépondérant - à hauteur d'environ 70 % - voit son importance diminuer au profit du financement par les marchés de capitaux. Cette tendance est d'ailleurs déjà largement engagée en France. Les marchés de capitaux y représenteraient actuellement 40 % du financement global.
Un deuxième constat s'impose. L'intégration des marchés financiers est une ambition ancienne en Europe mais elle est encore très imparfaite. La crise a renforcé le repli des différents acteurs et des flux financiers eux-mêmes derrière leurs frontières nationales. Cette fragmentation demeure aujourd'hui une réalité préoccupante et ce tout particulièrement pour la zone euro. Face à ce double constat, qu'envisage la Commission européenne ?
L'objectif de l'initiative d'union des marchés de capitaux est double : d'une part, développer les marchés de capitaux pour pallier la diminution du financement bancaire, et, d'autre part, développer l'union de ces marchés pour contrer la fragmentation financière.
En quoi consiste une union des marchés de capitaux ? Au sein de la zone euro, nous sommes depuis peu dans une Union bancaire. Indifféremment de leur pays d'installation, les entreprises présentant les mêmes caractéristiques financières devraient théoriquement y trouver un financement bancaire aux mêmes conditions. L'union des marchés de capitaux étend ce principe à l'ensemble des canaux de financement non bancaires ainsi qu'à l'épargne des citoyens. C'est un enjeu majeur pour le développement de notre économie. C'est pour cela que le livre vert a suscité à la fois beaucoup de réactions, d'attentes voire même d'inquiétudes. N'en doutons pas, ce projet est aussi un signe adressé au Royaume-Uni. Il l'accueille avec enthousiasme tout en faisant clairement savoir qu'il ne peut s'agir d'une réplication de l'Union bancaire. La mise en place d'un superviseur européen des marchés financiers constitue pour le Royaume-Uni une ligne rouge à ne pas franchir.
Quelle peut être notre appréciation ? La consultation lancée par le livre vert ouvre en réalité une multitude de débats qui sont pour certains très techniques et complexes et pour d'autres plus politiques. Il nous est apparu essentiel que le Sénat s'en saisisse. Il n'est pas de notre ambition d'y apporter autant de réponses. Ce que nous avons souhaité initier ici c'est une réflexion globale sur les grandes options en ce qui concerne la façon de financer l'économie européenne. Dans quelles conditions souhaitons-nous accompagner le développement des marchés financiers ? Quelles sont les enjeux qui nous paraissent prioritaires ? Quels principes doivent être rappelés ? Sans même aller jusqu'à évoquer ici le coût économique et social de la crise financière, il nous paraît sage d'analyser avec soin la relation entre finance et croissance dans nos systèmes économiques. La stabilité financière elle-même est la condition nécessaire de la croissance ; elle doit être réaffirmée comme une priorité. Pour ce faire l'agenda réglementaire doit se poursuivre avec bon sens mais fermeté et la question de la supervision des marchés doit être posée.
Nous avons en Europe, et particulièrement en France, des établissements bancaires de premier plan. Ils ont démontré leur résistance face à la crise et ont fait l'objet de toutes les attentions des régulateurs et des superviseurs. Nous nous devons de les préserver et de sauvegarder ainsi notre souveraineté financière face à un marché financier international très concurrentiel. Un récent compromis est intervenu au Conseil ECOFIN au sujet de la séparation des activités bancaires. Il fait la part belle aux exigences britanniques et laisse nos banques nationales bien isolées. Nous vous proposons de nous manifester à ce sujet car il est inacceptable d'adopter un règlement d'harmonisation maximale qui ne concerne au final presqu'un seul État. Il en va du respect de l'esprit des traités, de la subsidiarité et de la concurrence au sein de notre Union. Enfin, et c'est loin d'être un détail, pour la zone euro l'union des marchés de capitaux n'est pas qu'un simple objectif, c'est un impératif. Ceux sont quelques-unes des réflexions que nous vous suggérons et que mon collègue, Richard Yung à qui je passe la parole, va vous présenter plus en détail.
Nous avons reçu le projet de livre vert dont le commissaire responsable est anglais. Nous l'avons examiné soigneusement. Il devrait donner lieu à un travail législatif à l'automne prochain. Deux textes sont en préparation : il s'agit, d'une part, de la révision de la directive sur les prospectus et, d'autre part, d'un texte relatif à l'encadrement de la titrisation. La partie « prospectus » concerne l'appel à l'épargne qui obéit à un certain nombre de règles spécifiques et qui relève de la compétence, en France, de l'Autorité des marchés financiers. Simplifier les démarches et la documentation en vigueur est manifestement nécessaire et la révision de la directive devrait y veiller, tout en créant des procédures allégées à destination des petites et moyennes entreprises.
La titrisation a mauvaise presse en Europe en raison de ses relations avec la crise financière de 2008. En effet, les banques, notamment américaines, avaient alors proposé des produits qui incluaient des prêts immobiliers, dont certains étaient alors garantis par le gouvernement fédéral, mais qui demeuraient de ce fait tributaires de l'évolution du marché immobilier. Lorsque celui-ci s'est retourné, l'ensemble de la titrisation a plongé. L'idée est ainsi de relancer la titrisation en la rendant sûre, transparente et contrôlée. La démarche doit être d'assurer l'harmonisation des règles à l'échelle de l'Union sans laquelle il ne saurait y avoir de marché de capitaux. Car les règles en la matière sont, pour le moment, différentes d'un pays à l'autre, ce qui rend difficile d'investir l'épargne nationale dans d'autres pays.
Il faut encore définir un label délivré par une autorité dont la neutralité soit assurée. En effet, les agences de notation, qui assuraient jusque-là cette fonction, étaient elles-mêmes parties à la titrisation, ce qui a contribué à la catastrophe que nous avons connue en 2008. Nous proposons en ce sens que cette mission incombe désormais à l'Agence européenne des marchés financiers qui assure des fonctions jusqu'à présent plus normatives.
La garantie financière des crédits immobiliers est inexistante en Europe, tandis qu'elle est assurée aux États-Unis par les deux grandes agences que sont la Federal Home Loan Mortgage Corporation (FreddieMac) et la Federal National Mortgage Association (FannyMae) et qui disposent de la garantie du gouvernement fédéral. Nous pensons donc qu'il faudra trancher cette question.
Par ailleurs, le Conseil ECOFIN, en date du 19 juin dernier, a abouti à un compromis sur proposition de règlement visant à réformer la structure des banques. Cela faisait écho à ce que le commissaire Barnier avait proposé, à la fin de la précédente mandature, avec la séparation des activités de dépôt de celles de marché. Cette proposition avait alors suscité de nombreuses oppositions puisqu'elle érigeait la règle britannique dite Vickers en modèle. En effet, dans cette règle, la partie dépôt est sanctuarisée tandis que le reste des activités est ouvert. Une telle proposition de la Commission se heurtait aux dispositions de la loi bancaire française qui prévoyaient un principe de séparation différent. La mise en oeuvre de cette préconisation européenne aurait eu de dommageables conséquences pour les banques françaises. Le Sénat, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, avait émis un avis motivé en 2014, attirant l'attention du Gouvernement et de la Commission européenne sur les disparités entre les États qu'un tel texte était à même de susciter. Le service juridique du Conseil a d'ailleurs confirmé le bien-fondé de l'initiative sénatoriale. Car la création de disparités nationales s'avère antinomique avec le dessein de créer une union bancaire et financière.
Telle était la situation lorsque la nouvelle commission a repris le dossier. Le Royaume-Uni se voit soustrait aux règles en la matière et les banques françaises se retrouvent dans le collimateur !
Tout à fait ! Le Parlement européen a rejeté cette proposition, mais quelque temps après, le Conseil ECOFIN a trouvé un compromis qui nous ramène au cas de figure antérieur. Le Parlement européen doit rediscuter de cette proposition. Notre volonté est d'avertir à la fois le Gouvernement et la Commission de l'incompatibilité de cette proposition avec la démarche européenne. Nous avons ainsi consigné nos observations en ce sens dans les dispositions de l'avis politique que nous vous proposons. Le texte encore en discussion mentionne également des plafonds. Ainsi, je cite « les États membres disposeront de deux options pour atteindre les objectifs du règlement, soit par une loi nationale de cantonnement des dépôts, soit par une séparation des activités de marché à l'initiative de l'autorité de supervision compétente. » Ce dispositif mentionne deux autres conditions qui sont pour nous inacceptables, à savoir l'exemption pour les établissements dont les dépôts représentent moins de 3 % du total des actifs ou sont inférieurs à 35 milliards d'euros, ce qui vise d'ailleurs les petites banques allemandes (Sparkasse), ou encore la définition d'un seuil spécifique à 100 milliards d'euros d'actifs de marché, à partir duquel les autorités de surveillance compétentes, en l'espèce la Banque centrale européenne pour la zone euro, disposeront du pouvoir d'imposer la réduction ou la filialisation de certaines activités de négociation considérées risquées. L'une des conséquences du texte est de permettre aux filiales des banques américaines installées à Londres de prospérer au-delà de toute mesure. Ainsi, le paradoxe de cette mesure est ainsi d'atteindre, au final, un objectif totalement opposé à l'ambition européenne.
Merci mes chers collègues pour cette explication sur un sujet un peu complexe, il est vrai, et qui s'avère complémentaire d'un autre dossier que représente le Fond européen des investissements stratégiques. Dans la continuité de l'avis motivé de 2014, vous nous présentez une proposition de résolution européenne assortie d'un avis politique. D'ailleurs, vous avez certainement pris connaissance de l'entretien de M. Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, dans les pages économiques d'un grand quotidien national, dont je partage totalement l'avis sur la situation française et qui évoque ces points. Il faut absolument nous garder d'une certaine naïveté car certaines mesures européennes peuvent s'avérer analogues à des Chevaux de Troie au bénéfice notamment des États-Unis.
Je souhaite tout d'abord féliciter nos deux rapporteurs pour leur intervention. Leurs explications sont extrêmement salutaires pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent les marchés bancaires et les capitaux. En effet, le postulat selon lequel l'Union européenne demeure trop dépendante des marchés bancaires semble s'être fait progressivement jour, au risque de conduire à des rétractations de crédit. Le risque est tout de même important dans cette proposition de la Commission élaborée sous l'influence anglaise. On part en effet de l'idée selon laquelle la titrisation, certes contrôlée - mais de quelle manière ? -, favorise les banques d'investissement au détriment des banques plus traditionnelles. Le danger est d'ailleurs très grand puisqu'on sait que les crises récentes ont été provoquées par les agissements de ces établissements et courir le risque d'un sous-financement de l'économie par une rétractation des prêts octroyés par les banques est une démarche dangereuse. Il faut certes un système mixte, mais à la condition de parfaitement le contrôler.
Je souhaitais également évoquer les conditions d'élaboration du livre vert. En effet, la consultation en ligne a donné lieu à 474 réponses dont près de 82 % émanent des compagnies des secteurs bancaire et assurantiel, parmi lesquelles on trouve un grand nombre de sociétés de hedge funds et d'investissement. La part des réponses qui revient aux institutions nationales avoisine les 12,5 % et celles émanant de personnes individuelles 5,6 % des réponses. Ce sont ainsi toujours les organes directement concernés par une telle réglementation qui répondent massivement. La provenance par pays des réponses est également éclairante : avec 22 % des réponses, le Royaume-Uni, dont le commissaire en charge du dossier est d'ailleurs un ressortissant, est à la première place, suivi, à hauteur de 17 %, par la Belgique. La France et l'Allemagne se trouvent loin derrière, avec environ 13 % des réponses. La Commission et les directions générales, qui organisent ce type de consultation, en tirent par la suite des recommandations dans le livre vert qui sont extrêmement favorables à la majorité des réponses apportées. Outre les ateliers, auxquels j'ai d'ailleurs eu l'occasion de participer et qui se déroulent systématiquement en langue anglaise, le résultat de ce type de consultations mérite d'être questionné. La prudence de nos deux rapporteurs me semble ainsi tout à fait de mise et nous nous devons d'alerter le Gouvernement sur les enjeux de ce livre vert.
Je partage l'analyse de nos deux rapporteurs sur la situation des banques françaises généralistes. J'aurai trois remarques sur la proposition de résolution européenne. D'une part, je retrouve tout à fait l'esprit de l'intervention de notre collègue André Gattolin dans la rédaction de son point 13 qui concerne les modalités de financement et la priorité que vous souhaitez donner au financement bancaire. Je serai toutefois attentif quant à la diversité des financements qui représente l'un des enjeux des marchés bancaires : si les conditions de financement bancaire sont désormais excellentes, on a cependant tendance à oublier la période 2008-2010 notamment marquée par l'effondrement de Dexia qui a frappé les collectivités territoriales qui n'avaient pas anticipé une telle conjoncture. En outre, toutes les plus grandes collectivités territoriales, afin de ne pas revivre de telles difficultés, ont un accès direct au financement obligataire, via l'agence de financement local qui dispose d'une bonne signature bancaire et évite l'intermédiation financière. C'est pourquoi, je préconise que le point 13 soit modifié pour clairement identifier la diversité des sources de financement en s'inspirant de la résolution que le Parlement européen a adoptée la semaine dernière. D'autre part, sur la question des PME évoquée au point 27, la question des seuils de financement homogènes et adaptés aux financements de marché est très délicate, du fait de l'inadaptation des attentes de rentabilité des acteurs financiers aux PME. D'ailleurs, la résolution du Parlement européen souligne qu'il est nécessaire de tenir davantage compte de la composition économique du secteur des PME dans chaque État membre, afin d'éviter toute conséquence imprévue induite par la mise en oeuvre du marché européen des capitaux. Je vous proposerai d'ajouter un élément sur le financement des PME.
Je serai favorable à une rédaction assurant la synthèse entre notre proposition de résolution européenne et celle du Parlement européen.
S'agissant du point 13, nous vous proposons cette nouvelle rédaction : « souhaite que le plan d'action issu de cette consultation guide le développement des marchés de capitaux tout en veillant à la diversité des sources de financement et en préservant la place des banques dans le financement de l'économie européenne. »
S'agissant du point 27, la définition européenne devrait permettre de couvrir un large spectre.
La formule du Parlement européen évoquait la nécessité, pour la Commission, de tenir compte des différences économiques et culturelles du secteur des PME dans chaque État membre, car il est évident que les définitions des PME divergent ! L'approche strictement européenne de la PME, du point de vue français, paraît, à cet égard, inadaptée.
Est-ce qu'une telle approche n'est pas, en définitive, couverte par l'expression des «seuils d'identification des PME homogènes et adaptés aux financements de marché» ?
On recherche l'inverse, car il s'agit de s'adapter à la typologie de nos économies.
D'ailleurs, à l'intérieur du groupe des PME-PMI, le secteur d'activités fournit un élément de différenciation notable et ce, dès l'échelle nationale !
Il faut donc que la rédaction du point 27 assure à la fois une certaine forme d'harmonisation à l'échelle européenne et la reconnaissance de la diversité des PME.
Nous vous proposons la rédaction suivante : « Estime justifiée la priorité accordée au financement des PME et appelle à la définition de seuils homogènes d'identification tenant compte de la diversité des PME dans les États membres. »
Avec ces deux modifications, je mets aux voix cette proposition de résolution européenne qui sera transmise à la commission des finances saisie au fond qui l'examinera le 21 juillet prochain. Je vous propose également d'adopter l'avis politique qui sera adressé à la Commission européenne. C'est d'ailleurs un sujet qui est destiné à être longtemps dans l'actualité puisque nos amis anglais ont activement participé l'élaboration du texte que concerne cet avis !
À l'issue de ce débat, la proposition de résolution européenne et le projet d'avis politique ont été adoptés, à l'unanimité, dans les textes suivants :
1. Le Sénat,
2. Vu l'article 88-4 de la Constitution,
3. Vu le livre vert de la Commission européenne du 18 février 2015 intitulé « Construire l'union des marchés de capitaux » (COM (2015) 63),
4. Vu le règlement (UE) n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,
5. Vu le règlement (UE) n°1022/2013 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne des missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne en application du règlement (UE) n° 1024/2013,
6. Vu le règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010,
7. Vu la proposition de règlement COM (2014) 43 du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne,
8. Vu la résolution européenne portant avis motivé n°99 adoptée par le Sénat le 16 avril 2014,
9. Soutient l'initiative de la Commission européenne de placer le secteur financier au service de l'agenda européen pour promouvoir la croissance et l'emploi ;
10. Prend acte de l'intention de la Commission de proposer des mesures concrètes de nature à promouvoir des canaux de financement complémentaires et accompagner au plus tôt une reprise économique ;
11. Rappelle que la mise en place d'un modèle de financement demeure un outil au service d'une stratégie de croissance et ne peut constituer une fin en soi ;
12. Estime en conséquence absolument essentiel que soit engagée une réflexion plus large sur les enjeux et objectifs des différents modèles de financement de l'économie européenne ;
13. Souhaite que le plan d'action issu de cette consultation guide le développement des marchés de capitaux tout en veillant à la diversité des sources de financement et en préservant la place des banques dans le financement de l'économie européenne ;
14. Souligne que le renforcement de l'intégration financière est un impératif pour la zone euro ;
15. Rappelle que la stabilité financière demeure un objectif prioritaire ;
16. Souhaite en conséquence la poursuite d'un agenda réglementaire européen exigeant au service de la croissance et invite la Commission à analyser les impacts cumulés des réglementations en place ou à venir ;
17. Insiste sur la nécessité d'allouer des moyens adéquats à l'Autorité européenne des marchés financiers afin que soient menées à bien ses missions existantes concernant notamment la convergence des pratiques de supervision et la mise en place d'une base consolidée d'informations sur les transactions de marché ;
18. Est favorable à ce que soit étudiée l'opportunité de confier à l'Autorité européenne des marchés financiers des missions complémentaires de supervision sur les indices de référence, la labellisation de la titrisation ou tout autre segment d'activité pertinent ;
19. Souhaite que, dans le cadre de l'union des marchés de capitaux, soient mises en place les conditions d'une concurrence équitable dans un souci de réciprocité d'accès aux marchés internationaux ;
20. Défend l'émergence d'acteurs financiers européens de premier plan et la préservation des grandes banques européennes qui sont des acteurs clés des marchés de capitaux ;
21. Est préoccupé par le compromis du Conseil Ecofin du 19 juin 2015 sur la proposition de règlement COM (2014) 43 relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne ;
22. Est d'avis que ce compromis est, en l'état, contraire aux objectifs d'harmonisation et d'intégration des marchés financiers et de nature à créer des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne ;
23. Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans le règlement définitif qui sera adopté au terme du trilogue institutionnel ;
24. Soutient les efforts engagés pour développer la place financière de Paris ;
25. Fait observer que le renouveau de la titrisation nécessite une instance de labellisation européenne et pose la question d'une éventuelle intervention publique ;
26. Estime indispensable d'établir un cadre réglementaire concernant le redressement et la résolution des chambres de compensation centrales ;
27. Estime justifiée la priorité accordée au financement des PME et appelle à la définition de seuils homogènes d'identification tenant compte de la diversité de la définition des PME dans les États membres, adaptés aux financements de marchés ;
Vu le livre vert de la Commission européenne du 18 février 2015 intitulé « Construire l'union des marchés de capitaux » (COM (2015) 63),
Vu le règlement (UE) n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit,
Vu le règlement (UE) n°1022/2013 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne des missions spécifiques confiées à la Banque centrale européenne en application du règlement (UE) n° 1024/2013,
Vu le règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d'investissement dans le cadre d'un mécanisme de résolution unique et d'un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010,
Vu la proposition de règlement COM (2014) 43 du Parlement européen et du Conseil relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne,
Vu la résolution européenne portant avis motivé n°99 adoptée par le Sénat le 16 avril 2014,
La Commission des affaires européennes :
Soutient l'initiative de la Commission de placer le secteur financier au service de l'agenda européen pour promouvoir la croissance et l'emploi ;
Prend acte de l'intention de la Commission de proposer des mesures concrètes de nature à promouvoir des canaux de financement complémentaires et accompagner au plus tôt une reprise économique ;
Rappelle que la mise en place d'un modèle de financement demeure un outil au service d'une stratégie de croissance et ne peut constituer une fin en soi ;
Estime en conséquence absolument essentiel que soit engagée une réflexion plus large sur les enjeux et objectifs des différents modèles de financement de l'économie européenne ;
Souhaite que le plan d'action issu de cette consultation guide le développement des marchés de capitaux tout en veillant à la diversité des sources de financement et en préservant la place des banques dans le financement de l'économie européenne ;
Souligne que le renforcement de l'intégration financière est un impératif pour la zone euro ;
Rappelle que la stabilité financière demeure un objectif prioritaire ;
Souhaite en conséquence la poursuite d'un agenda réglementaire européen exigeant au service de la croissance et invite la Commission à analyser les impacts cumulés des réglementations en place ou à venir ;
Insiste sur la nécessité d'allouer des moyens adéquats à l'Autorité européenne des marchés financiers afin que soient menées à bien ses missions existantes concernant notamment la convergence des pratiques de supervision et la mise en place d'une base consolidée d'informations sur les transactions de marché ;
Est favorable à ce que soit étudiée l'opportunité de confier à l'Autorité européenne des marchés financiers des missions complémentaires de supervision sur les indices de référence, la labellisation de la titrisation ou tout autre segment d'activité pertinent ;
Souhaite que, dans le cadre de l'union des marchés de capitaux, soient mises en place les conditions d'une concurrence équitable dans un souci de réciprocité d'accès aux marchés internationaux ;
Défend l'émergence d'acteurs financiers européens de premier plan et la préservation des grandes banques européennes qui sont des acteurs clés des marchés de capitaux ;
Est préoccupée par le compromis du Conseil Ecofin du 19 juin 2015 sur la proposition de règlement COM (2014) 43 relatif à des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne ;
Est d'avis que ce compromis est, en l'état, contraire aux objectifs d'harmonisation et d'intégration des marchés financiers et de nature à créer des distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne ;
Demande en conséquence que ces exigences soient dûment prises en compte dans le règlement définitif qui sera adopté au terme du trilogue institutionnel ;
Soutient les efforts engagés pour développer la place financière de Paris ;
Fait observer que le renouveau de la titrisation nécessite une instance de labellisation européenne et pose la question d'une éventuelle intervention publique ;
Estime indispensable d'établir un cadre réglementaire concernant le redressement et la résolution des chambres de compensation centrales ;
Nous allons maintenant entendre une communication de nos collègues Nicole Duranton et Yves Pozzo di Borgo sur les élections législatives qui se sont déroulées en Turquie le 7 juin dernier. Nos collègues ont effectué une mission d'observation électorale sur place dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il est donc intéressant de recueillir leur témoignage et leur analyse sur la situation politique en Turquie à la suite de ces élections. Leur communication répond aussi à notre souci de développer des synergies entre la commission et les délégations auprès des assemblées parlementaires internationales, en tout premier lieu celle du Conseil de l'Europe.
Je leur donne la parole.
Je vous remercie. Monsieur le Président, mes chers collègues. Avec Josette Durrieu et Maryvonne Blondin, nous avons en effet observé le déroulement de ces élections au titre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a par ailleurs débattu des conclusions de cette mission d'observation lors de sa troisième partie de session 2015, du 22 au 26 juin derniers, à Strasbourg.
Quel est le contexte de ces élections ? Les députés turcs sont élus pour un mandat de quatre ans selon un système proportionnel sur des listes bloquées dans 85 circonscriptions, ou en tant que candidats indépendants. Les précédentes élections législatives de 2011 avaient été remportées par le Parti de la justice et du développement (AKP), qualifié d'islamo-conservateur, pour la troisième fois consécutive depuis 2002. Avant le scrutin, l'AKP disposait de 311 sièges sur les 550 que compte la Grande Assemblée nationale, soit 56,5 %.
Je rappelle que le chef historique du parti, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, avait remporté dès le premier tour, avec 51,8 % des suffrages exprimés, l'élection présidentielle du 10 août 2014, qui avait eu lieu pour la première fois au suffrage universel depuis un référendum constitutionnel de 2007. Vous le savez, ces élections présentaient un enjeu politique particulièrement important. En effet, le Président Erdogan, en annonçant son intention de demander à son parti de modifier la Constitution en vue de renforcer considérablement ses pouvoirs, aujourd'hui essentiellement représentatifs, avait fait de ce scrutin un référendum pour ou contre la présidentialisation des institutions turques.
Le cadre juridique des élections reste perfectible sur plusieurs points tels que la répartition démographique des sièges ou les conditions rigoureuses exigées des partis politiques pour participer aux élections. Parmi celles-ci, la plus connue, et celle qui pose aussi le plus de difficultés, est le seuil de 10 % des suffrages exprimés au niveau national que doivent franchir les partis politiques pour pouvoir bénéficier d'une représentation parlementaire. Ce seuil, hérité du coup d'État de 1980, est particulièrement élevé. Il avait été instauré pour empêcher les représentants des Kurdes d'entrer au Parlement. Cela contraignait leurs candidats à se présenter en indépendants et limitait donc leur audience. Or, il faut savoir que la communauté kurde représente 20 % de la population turque. Ce seuil a fait l'objet d'un débat nourri et de recours en justice, et il est régulièrement critiqué par l'OSCE, le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme car il limite le pluralisme politique.
Nous avons pu constater que, dans l'ensemble, les élections ont été organisées de manière professionnelle, sous la supervision de la commission électorale suprême, qu'il s'agisse du système d'inscription des électeurs, de la possibilité pour les citoyens turcs de voter à l'étranger ou encore de l'assistance apportée aux électeurs handicapés.
Toutefois, deux difficultés doivent être mentionnées. La première tient à la privation des droits électoraux des détenus condamnés, que la Cour européenne des droits de l'Homme a jugée à deux reprises trop étendue et disproportionnée aux infractions commises. Ces décisions ne sont toutefois pas encore complétement mises en oeuvre. La seconde difficulté est relative aux nombreuses conditions posées pour être candidats, au-delà de 25 ans, qui paraissent incompatibles avec le droit fondamental de se présenter aux élections. Au total, 20 partis politiques ont présenté des candidats aux élections législatives, dont 28 % étaient des femmes. Il faut y ajouter 165 candidats indépendants. Les électeurs avaient ainsi le choix au sein d'un large éventail d'options politiques.
Pour ce qui concerne la campagne électorale, nous avons déploré une insuffisante réglementation qui a rendu perfectible l'égalité des chances entre les candidats. Ceci dit, la campagne a été globalement libre, en dépit de quelques cas d'annulation ou de restrictions de manifestations de partis d'opposition ou de recours contre des candidats qui avaient critiqué le Président Erdogan, au motif que le code pénal sanctionne les injures envers le chef de l'État.
La campagne a été particulièrement dynamique, voire animée, tant dans les rassemblements publics que sur les réseaux sociaux. Les sujets de fond qui traversent la société turque ont fait l'objet de vrais débats, qu'il s'agisse de l'évolution des institutions, on l'a dit, mais aussi des questions économiques et sociales, de la place des Kurdes ou de la situation géopolitique, ce qui traduit la vitalité de la société civile turque. Ces débats ont généralement révélé une forte polarisation entre le parti au pouvoir et l'opposition. L'engagement électoral soutenu du président de la République en faveur des candidats de l'AKP a été critiqué, la Constitution lui imposant la neutralité. En effet, le Président Erdogan a fait campagne pendant des semaines en réclamant 400 députés pour changer le système parlementaire actuel. Pendant cette campagne, l'opposition a vigoureusement critiqué ses projets qualifiés de « dictature constitutionnelle ». L'AKP a, en effet, utilisé sans discrétion les moyens de l'État, en transformant les commémorations officielles en meetings politiques.
Ont également été déplorés quelques agressions contre des candidats et des locaux de partis politiques, ainsi que des blessés lors de rassemblements. Mais l'événement le plus grave s'est produit le 5 juin lorsque deux bombes ont tué trois personnes et blessé plus d'une centaine d'autres à Diyarbakir, lors d'un meeting du Parti démocratique des peuples (HDP) kurde.
Le financement de la campagne a pâti d'une législation lacunaire qui ne permet pas d'assurer sa transparence. Les principales critiques ont toutefois porté sur l'environnement médiatique de la campagne. Certes, le paysage médiatique turc est riche et varié, mais les médias verraient leur liberté d'expression limitée. Ils seraient soumis à des considérations économiques, des dispositions juridiques restrictives et, surtout, des pressions, voire des intimidations émanant des autorités, en particulier lorsque ces médias se montraient critiques envers elles. Actuellement, une trentaine de journalistes sont emprisonnés. En outre, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision ne serait pas suffisamment impartial et son action a été contestée. Aussi la couverture médiatique des élections, à la télévision en particulier, a-t-elle nettement favorisé les candidats de l'AKP. Je laisse maintenant la parole à mon collègue Yves Pozzo di Borgo pour vous parler du déroulement des élections et de leurs conséquences. Je vous remercie.
Monsieur le Président, mes chers collègues, regardez la carte ! Les pays limitrophes de la Turquie, comme la Syrie et l'Irak, connaissent de réelles tensions et les élections s'y sont déroulées dans un contexte marqué par l'accueil de nombreux réfugiés dans des conditions qui ne peuvent qu'être saluées. J'aurai une autre remarque s'agissant du contexte général dans lequel se déroulent les missions d'observation électorale organisées par l'APCE ou l'AP-OSCE. Notre système politique et institutionnel est ainsi proclamé comme le parangon de tout système possible. À cet égard, le seuil de représentation politique fixé à 10 % des suffrages est l'un des principes ardemment défendus par le Conseil de l'Europe. Or, que dire de la France où le Front national, qui représente près de 25 % de l'électorat, n'a que deux députés ? Nous souhaitons ainsi imposer une vision de la démocratie et donner, de manière parfois éhontée, des leçons dans ce domaine !
S'agissant du déroulement du scrutin et des résultats, le jour de l'élection, nous avons pu observer que le scrutin était organisé de manière professionnelle et efficace et qu'il se déroulait dans le calme, y compris au Sud-Est du pays. Le dépouillement des bulletins et le décompte des voix ont été rapides et transparents et les résultats ont été annoncés dès le début de soirée. Le taux de participation s'est établi à 83,92 %, sans tricherie aucune, étant rappelé que le vote est obligatoire pour les élections législatives en Turquie.
Les résultats officiels, publiés le 18 juin, sont les suivants : 40,87 % des suffrages exprimés pour l'AKP, 24,95 % pour le Parti républicain du peuple (CHP) kémaliste, 16,29 % pour le Parti d'action nationaliste (MHP) et 13,12 % pour le HDP qui parvient donc, pour la première fois, à franchir le seuil des 10 %. Un tel résultat est à mettre au compte de l'émergence d'un jeune leader kurde qui n'a eu de cesse de rappeler que les Kurdes étaient avant tout des Turcs et de proposer un programme politique intéressant le pays dans sa totalité. Le maintien de ce seuil a amplifié les résultats du HDP, alors que le refus de le baisser visait précisément à l'empêcher d'entrer au Parlement. L'AKP obtient 258 sièges (47 %) sur 550, le CHP 132 (24 %) et le MHP et le HDP 80 chacun (14,5 %). Le nombre de femmes élues a augmenté, passant de 79 à 98, soit 17,8 % des sièges.
Quels enseignements peut-on tirer de ces élections ? Celles-ci ont démontré la maturité de la démocratie turque. Le rapport d'observation d'élection de l'APCE note ainsi que « ces élections ont montré la force démocratique de la Turquie, comprenant un taux de participation élevé, des partis politiques solides et des observateurs citoyens actifs. Néanmoins, les conclusions mentionnées ci-dessus montrent également qu'il y a une marge de progression considérable pour effectuer les améliorations nécessaires pour que les élections en Turquie se déroulent dans des conditions véritablement équitables ».
Ainsi, sur la principale chaîne de télévision turque, le parti de M. Erdogan totalisait 50 heures de programme, contre 5 minutes pour les autres partis et 3 minutes pour les Kurdes durant toute la campagne.
Les électeurs ont clairement rejeté la présidentialisation des institutions et d'aucuns ont considéré qu'il s'agissait d'un revers personnel pour le Président Erdogan, mais aussi pour l'AKP. Certes, cette présidentialisation des institutions est analogue à ce que nous connaissons en France, sauf que le Président Erdogan est entré dans un processus d'autoritarisme ouvertement assumé. Mais son argument politique est qu'une telle évolution des institutions demeure le meilleur rempart contre d'éventuels coups d'État. Le parti de M. Erdogan reste, certes, le premier parti du pays, mais il a perdu 2,7 millions de voix en quatre ans ainsi que la majorité absolue qu'il détenait au Parlement, ce qui rend impossible la révision constitutionnelle envisagée.
Les résultats bouleversent aussi les équilibres politiques turcs et ouvrent une page d'incertitudes. La Turquie pourrait renouer avec l'instabilité gouvernementale qui la caractérisait dans les années 1990. La baisse de la livre turque et le recul de la bourse d'Istanbul au lendemain de l'annonce des résultats montrent que cette perspective inquiète.
Aucune solution évidente ne s'impose pour la formation d'un gouvernement, même si le Président Erdogan, le 11 juin, a appelé les partis politiques à s'entendre rapidement pour constituer un gouvernement de coalition.
Quel gouvernement désormais pour la Turquie ? Il semble que l'AKP souhaite diriger un tel gouvernement. Son partenaire le plus naturel serait le MHP, mais des difficultés existent de part et d'autre. L'AKP serait notamment soucieux de préserver la stabilité économique du pays et de respecter la légitimité du Président Erdogan. Le MHP, quant à lui, souhaite ériger en priorité la lutte contre la corruption. Mais cela requiert la mise en jugement de quatre ministres AKP impliqués dans une vaste opération anti-corruption engagée en décembre 2013 par les juges, dont beaucoup ont été depuis déplacés, qui avait touché de hauts responsables du parti au pouvoir. Par ailleurs, une coalition AKP/MHP se traduirait probablement par une mise en sommeil du processus de paix engagé avec les Kurdes.
Au CHP, on a longtemps envisagé la constitution d'une grande coalition excluant l'AKP. L'objectif serait de sortir de la séquence politique ouverte en 2002 en abrogeant certaines des lois les plus controversées votées par l'AKP, sur la justice et la sécurité intérieure notamment, et en privant cette formation politique des ressources qu'elle tient de ses liens étroits avec l'appareil d'État. Il est toutefois permis de s'interroger sur la viabilité d'une telle formule en raison des contradictions fortes qu'elle recèle, ne serait-ce qu'entre le MHP et le HDP.
Le jeu reste donc très ouvert, mais l'AKP paraît difficilement contournable, d'autant plus que les exigences des uns et des autres le replacent en première ligne.
Le 1er juillet dernier, M. Ismet Yilmaz, alors ministre de la défense et candidat de l'AKP, a été élu président de la Grande Assemblée nationale. Certains observateurs ont considéré cette élection comme le prélude à la formation d'un gouvernement de coalition. En effet, quatre tours de scrutin ont été nécessaires. Faute pour un candidat de rassembler sur son nom une majorité absolue, le quatrième tour a eu lieu à la majorité simple et a donc permis d'élire le candidat de l'AKP face à celui du CHP. Cette élection a été rendue possible grâce au soutien indirect du MHP dont les députés ont refusé de voter pour le candidat du CHP, au motif que celui-ci avait le soutien du HDP. Faut-il y voir les prémices d'une future coalition rassemblant l'AKP et le MHP ? Rien n'est moins sûr d'après les déclarations d'Ahmet Davutoglu, président de l'AKP et Premier ministre sortant qui expédie les affaires courantes depuis les élections. En outre, les milieux d'affaires pousseraient à une coalition AKP-CHP qui leur paraît un meilleur gage de stabilité. Le 9 juillet dernier, le président de la République a chargé Ahmet Davutoglu de former le nouveau gouvernement. Celui-ci dispose d'un délai de 45 jours pour aboutir et obtenir la confiance du Parlement. S'il échoue, le chef de l'État peut dissoudre le parlement et convoquer de nouvelles élections. Un nombre croissant d'observateurs considèrent ce scénario crédible, voire plausible ne serait-ce que parce qu'il permettrait à l'AKP de repartir à la conquête de ses électeurs perdus.
La Turquie est une grande puissance économique, avec un taux de croissance de l'ordre de 3% cette année après avoir connu les années précédentes des taux supérieurs à 6 %. C'est un pays tenu dont la localisation géographique présente un certain nombre de défis.
Je tiens à insister sur votre évocation des réfugiés qui sont plus d'un million et demi, pour une population de quatre-vingts millions d'habitants. Or, leur présence n'a pas constitué l'une des thématiques de la campagne électorale, à l'inverse de la France où la présence de quelques milliers de réfugiés alimente tout un débat. Il est vrai que parmi les ressortissants turcs que j'ai pu rencontrer, certains ont souligné l'apport intellectuel et technique que représentait globalement pour la Turquie l'arrivée de ces réfugiés. Certes, la situation économique est aussi l'un des facteurs expliquant cette réalité. En outre, on assiste à la fin d'une époque marquée par le triomphe sans partage de l'AKP et l'ancrage du pays dans l'Europe, quand bien même les négociations relatives à l'adhésion sont interrompues, est bien réel. L'AKP demeure un parti essentiel car nombre d'électeurs lui sont reconnaissants de la politique économique conduite dans la durée. On a ainsi vraiment de quoi apprendre de ce pays en matière d'acceptation des réfugiés ! La démocratie est en cours de consolidation, comme en témoignent les actuelles négociations qui accompagnent la formation d'un éventuel gouvernement de coalition qui devrait ainsi contribuer à la transparence des institutions du pays.
Vos témoignages étaient riches d'enseignements et de prospective sur la situation particulière, du point de vue géographique et géopolitique, de la Turquie. Je vous en remercie.
La réunion est levée à 14 h 55.