Intervention de Margrethe Vestager

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er décembre 2016 à 13h30
Politique commerciale — Audition de Mme Margrethe Vestager commissaire européenne à la concurrence

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence :

J'espère que la mise en oeuvre des règles de la concurrence pourra faire l'objet d'un consensus. Les défis auxquels l'Europe doit faire face sont de telle ampleur que tous les instruments nécessaires doivent pouvoir être utilisés. Notre motivation première est aussi la plus simple : il s'agit de répondre à tous les citoyens européens qui veulent avoir un emploi, afin de subvenir à leurs besoins et de fonder une famille en sachant que leurs enfants aussi pourront s'en sortir. Notre société est en danger si les citoyens perdent cette confiance fondamentale et ne croient plus qu'ils ont une chance véritablement équitable de réussir.

C'est pourquoi la mise en oeuvre des règles de la concurrence, si elle est faite de la bonne manière, garantit la solidité du tissu social. Tout citoyen, dans ce cas, peut constater que chacun a une chance et que personne n'est au-dessus de la loi. Nous appliquons les règles de manière identique à toutes les entreprises, quels que soient leur drapeau, leur propriétaire et leur taille ; l'état de droit sur lequel se fonde l'Union européenne l'impose.

Il est bien sûr important de s'assurer que nous le faisons d'une manière qui soutienne la croissance et la création d'emplois. Le fonctionnement correct et équitable de la concurrence soutient l'innovation et permet le développement de produits nouveaux de qualité à des prix abordables. Cela est particulièrement important pour les ménages aux revenus les plus bas : une baisse des prix pour la nourriture, le transport, les médicaments, bref toutes les dépenses quotidiennes, représente déjà pour eux une amélioration substantielle.

Aucun acteur économique ne devrait pouvoir bénéficier d'un avantage qui lui serait réservé. C'est pourquoi les politiques fiscales qui offrent des avantages sélectifs à des entreprises spécifiques font l'objet, en priorité, de notre attention : je peux citer en exemple l'affaire Starbucks aux Pays-Bas, l'affaire Fiat au Luxembourg, le régime fiscal belge dit des « profits excédentaires », ainsi que l'affaire Apple en Irlande. Les aspects techniques de ces affaires sont différents, mais le fond est le même : certaines entreprises ont bénéficié d'avantages qui ne sont pas proposés à tous.

Vous savez mieux que moi que l'épine dorsale des économies européennes, ce sont les petites et moyennes entreprises. Elles payent leurs impôts, créent des emplois et accueillent des apprentis ; or elles sont en concurrence avec des entreprises qui se sont vu octroyer des traitements spéciaux. C'est pourquoi il est extrêmement important à nos yeux d'exiger le remboursement de ces aides d'État illicites : c'est la seule façon de compenser le préjudice causé dans le passé et de restaurer une concurrence équitable. Pour l'avenir, il appartient aux législateurs nationaux de changer les législations fiscales en cause.

Vous m'avez demandé comment les entreprises européennes peuvent se développer sur le marché mondial. Nous disposons déjà d'un grand marché unique de 500 millions de clients, qui permet aux entreprises de se développer suffisamment pour être compétitives à l'échelle mondiale. Ce marché ne peut néanmoins fonctionner sans être encadré par des règles communes. Les pères fondateurs de l'Europe avaient perçu, dès les années cinquante, que la mise en oeuvre des règles de concurrence doit être commune, faute de quoi les entreprises des États membres les plus pauvres, les plus petits, ou les moins disposés à aider leurs entreprises n'auraient aucune chance. Ce cadre commun rend les entreprises européennes beaucoup plus compétitives. Il nous permet également de les protéger quand elles font face à une concurrence déloyale depuis l'extérieur. En effet, si ces règles représentent parfois un défi pour les entreprises européennes, elles s'appliquent également aux entreprises étrangères.

C'est pourquoi nous avons engagé trois procédures contre Google. Nous analysons si cette entreprise s'est à tel point développée qu'elle peut se permettre ce qui est impossible pour d'autres entreprises, si elle abuse de sa position dominante en matière de recherche sur internet et dans des marchés connexes à l'Union européenne, en fournissant à la fois de la publicité connectée aux résultats de recherche et des systèmes d'exploitation de téléphones mobiles. La nature mondiale de ces affaires est illustrée par le fait que bien des plaignants sont des entreprises américaines.

L'affaire Amazon est, elle aussi, très prioritaire à nos yeux. Nous analysons les contrats que cette entreprise conclut avec les éditeurs pour déterminer si elle les empêche d'aider d'autres acteurs à s'implanter sur le marché des livres électroniques, marché très important pour l'avenir.

Ces deux affaires doivent être menées à terme au plus vite. En effet, tant qu'elles durent, certaines de nos entreprises sont en souffrance ; cela est très douloureux pour nous. Par conséquent, nous faisons tout ce qui est possible pour rendre la procédure plus rapide. Nous ne faisons en revanche aucun compromis sur la qualité du traitement de l'affaire ni sur les droits de la défense. Nous n'avons en effet aucune légitimité en dehors de l'état de droit. Il nous faut donc préserver cet équilibre.

Cela dit, une fois que nous soulevons le voile des techniques développées par les juristes et les économistes, nous constatons que les motivations des acteurs sont vieilles comme le monde : c'est avant tout l'avidité et la peur, celle d'être exclu du marché. Oui, nous devons aiguiser nos outils et en développer de nouveaux, mais nous devons également rester proches de ces éléments fondamentaux, quel que soit le domaine de nos enquêtes.

Il nous faut également pouvoir prendre des décisions de manière indépendante. Cela s'impose aussi aux autorités nationales de la concurrence. J'apprécie travailler avec elles. Leur travail est très difficile. Elles disent parfois des choses que les gens ne veulent pas entendre, elles essuient des revers, mais elles mènent aussi de bonnes actions. Certaines ne sont pas suffisamment indépendantes mais la plupart le sont. Elles assurent 80 % de l'application de notre législation commune sur la concurrence. En effet, elles connaissent bien leurs marchés nationaux, qu'il s'agisse de l'alimentation ou des matériaux de construction ; c'est pourquoi nous restons toujours en lien étroit avec elles.

En revanche, lorsqu'il s'agit d'affaires transfrontalières, nous sommes là pour prendre le relais et nous assurer que les entreprises reçoivent toutes le même traitement, où qu'elles se trouvent en Europe. Pour renforcer les pouvoirs nationaux, nous devons offrir aux citoyens les mêmes protections par rapport aux abus de position dominante et aux cartels, partout en Europe.

Là est le fondement de notre travail. Nous sommes tous d'accord sur un point : un marché équitable mène à une société équitable. Or c'est cela dont nous avons vraiment besoin.

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