Intervention de Margrethe Vestager

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er décembre 2016 à 13h30
Politique commerciale — Audition de Mme Margrethe Vestager commissaire européenne à la concurrence

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence :

Concernant l'étiquetage de l'origine des aliments, il faut garder un équilibre. Certes, il est tout à fait compréhensible de vouloir connaître la provenance de ses aliments ; c'est donc un étiquetage qualitatif, qui promeut le choix du consommateur entre des goûts et des méthodes de production différents. Mais il en irait autrement s'il s'agissait de dissuader le consommateur d'acheter des produits d'autres pays : cela relèverait de pratiques anticoncurrentielles. La France s'apprête à expérimenter cet étiquetage. On verra ce qu'il adviendra. En tout cas, promouvoir la liberté de choix du consommateur est une bonne idée.

Concernant les entreprises américaines, je compte parmi les expériences positives que j'ai eues à mon poste la coopération très étroite menée avec les autorités américaines, notamment la Commission fédérale du commerce et le ministère de la justice. Les marchés sont différents, les procédures suivies aussi, mais cela n'empêche pas de travailler de concert. Les autorités américaines, tout comme nous, sont fières de l'État de droit auquel elles participent. Nous appliquons les réglementations européennes, quel que soit le drapeau de l'entreprise concernée ; je ne doute pas qu'ils en fassent de même.

Quant à l'image de la politique de la concurrence, il faut se souvenir que les bénéfices de cette politique profitent un peu à beaucoup de monde, tandis que les coûts en sont supportés très lourdement par peu d'acteurs. Par exemple, si une entreprise perd du terrain car d'autres sont plus performantes, alors, évidemment, c'est très compliqué pour les salariés et les actionnaires de cette entreprise. C'est pourquoi il importe de défendre les bénéfices de la concurrence au quotidien, et non pas seulement lors des moments les plus compliqués.

Nous exerçons ainsi un contrôle sur les fusions d'entreprises. Nous ne nous intéressons pas à la logique interne de ces fusions, notre seul intérêt est le maintien des avantages dont le consommateur bénéficiait. Par exemple, dans le pharmaceutique, on observe parfois une fusion entre deux entreprises produisant chacune un médicament différent pour une même maladie. Il existe alors un risque que l'un des médicaments soit retiré du marché. Cela peut conduire à une augmentation du prix du seul médicament restant ; par ailleurs, certains patients peuvent ne tolérer que celui qui a été retiré. Dès lors, nous intervenons pour demander à l'une des entreprises de céder l'un de ces deux produits afin de garantir sa production et sa disponibilité.

Il importe aussi de montrer que nous ne craignons pas d'appliquer les règles aux grandes entreprises si elles ne jouent pas le jeu. Les affaires Google et Amazon montrent ainsi l'importance de la concurrence dans le domaine numérique.

Un autre exemple concerne la mise en place de l'accord de Paris sur le climat. Nous souhaitons le développement des biocarburants, mais pas à n'importe quel prix. Nous menons actuellement une enquête sur trois producteurs de bioéthanol dont nous pensons qu'ils se sont mis d'accord pour renchérir les prix. Si de tels comportements persistent et que les gens doivent payer toujours plus, personne ne voudra plus de la transition vers les énergies renouvelables !

J'en viens au Brexit. Le Royaume-Uni, avant même le référendum, avait donné un signal fort, à la suite d'une enquête sur Google, en faveur d'une taxation réelle sur les bénéfices. Il soutient également notre démarche en faveur de la taxation des profits là où ils sont générés. Nous sommes en train de mettre en place une « communauté fiscale globale », afin de cibler les domaines dans lesquels l'imposition est, non pas simplement basse, mais inexistante ; le Royaume-Uni y jouera un rôle. Dès lors, un éventuel dumping fiscal britannique n'est pas ma préoccupation principale ; cela leur causerait trop de problèmes. En revanche, on assiste à une compétition globale quant au taux d'imposition des sociétés. Il serait bon, dans ce domaine, de parvenir à nous débarrasser des paradis fiscaux qui continuent d'exister dans le monde.

Quant à l'affaire Apple, nous ne mettons pas en cause le système fiscal irlandais ni l'organisation fiscale de cette entreprise. En revanche, deux rulings fiscaux irlandais ont permis à Apple de localiser une énorme majorité de ses bénéfices dans une société « boîte aux lettres ». Toutes les ventes en Europe, au Moyen-Orient, ainsi que dans certaines parties de l'Afrique et de l'Inde sont concernées, soit un volume considérable au total. Lorsque nous achetons un iPhone, le contrat situe la transaction à Cork, en Irlande, où les bénéfices devraient être localisés. Quand une grande majorité des bénéfices sont localisés dans un bureau sans employé, ni présence physique réelle, presque sans activité réelle et avec un statut fiscal avantageux, alors le montant des impôts acquittés devient très très faible. Nous affirmons dans la décision irlandaise que la situation présentée ne correspond pas à la situation réelle : on ne peut pas faire autant de bénéfices dans un lieu sans employé ni activité réelle.

Dès lors, puisqu'il s'agit d'une très grande entreprise et que ce mécanisme a été mis en oeuvre pendant de nombreuses années, le montant des taxes à récupérer est énorme. Nous travaillons à l'heure actuelle avec le Gouvernement irlandais pour l'aider à calculer précisément le montant des sommes devant être récupéré. Selon nos règles, la décision prend effet au jour où elle est prise, ce qui signifie que les sommes dues seront récupérées, qu'il y ait appel ou non. Dans les affaires Starbucks et Fiat, les impôts non payés ont été récupérés. Nous travaillons également avec les autorités fiscales irlandaises pour finaliser la version publique de la décision qui les concerne ; j'espère que cela interviendra rapidement, car notre point de vue est attendu par l'opinion publique. L'organisation fiscale d'Apple, mise en place il y a de nombreuses années, suscite également beaucoup d'intérêt de la part des autorités fiscales nationales des pays où les produits Apple sont, de fait, vendus. L'activité d'Apple dans ces États pourrait conduire les autorités concernées à procéder à un nouvel examen pour évaluer s'il existe des activités générant des profits sur leur territoire. Notre décision et les informations qu'elle contient seront peut-être utiles aux autorités nationales pour, le cas échéant, revoir leur position. Elles pourront se fonder sur notre décision définitive pour engager leurs propres procédures.

En ce qui concerne les territoires d'outre-mer, nous changeons les réglementations du bloc général, ce qui donne aux États membres le pouvoir de prendre des décisions eux-mêmes sans devoir en référer à la Commission à aucun moment. Nous en sommes maintenant au deuxième tour de la consultation publique. J'espère que nous pourrons finaliser ce nouveau système simplifié d'ici au mois de mars prochain. Nous entendons bien inclure tous les secteurs. Il importe seulement de s'assurer qu'aucune des entreprises recevant de l'aide n'atteigne le plafond fixé. Cela donnera à ces entreprises la visibilité nécessaire. Nous voulons à la fois reconnaître le caractère européen de ces territoires et permettre une compensation forte et réelle au titre de leur éloignement.

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