Intervention de Patricia Schillinger

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 mai 2015 à 8h35
Travail — Initiative pour l'emploi des jeunes : communication de mmes pascale gruny et patricia schillinger

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Nous avons été frappés de constater avec Pascale Gruny que l'Union européenne ne proposait finalement que de financer des réponses nationales au problème du chômage des jeunes, via l'Initiative pour l'Emploi des jeunes. Il existe clairement un manque d'ambition européenne en faveur d'un renforcement de la mobilité des jeunes sans emploi au sein de l'Union européenne. Alors même que certains pays, je pense à l'Allemagne, sont confrontés à des défis démographiques importants. Un chiffre l'illustre : d'ici à 2030, 3 millions de postes seront vacants Outre-Rhin. Si le programme Erasmus a permis une vraie mobilité des étudiants européens, force est de constater que celle-ci n'a pas débouché sur une véritable mobilité des jeunes demandeurs d'emploi. Et cela en dépit de la mise en place dès 1997 d'un réseau européen de l'emploi, le réseau Eures, qui a été réformé début 2014.

Pour l'heure, nous assistons plus à une forme de saupoudrage de crédits européens qu'à la mise en place d'un dispositif cohérent, à l'image de l'initiative sur les perspectives d'emploi des jeunes, adoptée par la Commission européenne en décembre 2011. Celle-ci multiplie les financements limités en direction de l'apprentissage, de l'aide aux jeunes entrepreneurs ou du service volontaire européen. Toutes ces mesures répondaient à une ambition : voir au moins 6 % des 18-34 ans diplômés de l'enseignement ou issus de la formation professionnelle initiale effectuer une période de formation d'une durée au moins égale à deux semaines au sein d'un autre État membre. Cet objectif ambitieux ne semble pas atteint. En France, moins de 1 % des jeunes apprentis et des jeunes en formation professionnelle initiale connaissent une mobilité transfrontalière.

Une telle mobilité transfrontalière implique notamment une harmonisation des parcours de formation professionnelle. Ce qui semble, à l'heure actuelle, une ambition trop haute pour l'Union européenne. Je prendrai, à ce titre, deux exemples : les stages et l'apprentissage.

La Commission européenne a présenté en décembre 2013 une « Charte de qualité pour les stages ». Celle-ci a débouché sur l'adoption par le Conseil d'une recommandation relative à un cadre de qualité pour les stages le 10 mars 2014. Il convient de rappeler que ni la Charte ni la recommandation n'ont de valeur contraignante pour les États membres.

La recommandation incite les États membres à veiller à ce que les législations ou pratiques nationales respectent plusieurs principes : conclusion d'une convention de stage, reconnaissance du stage et participation des partenaires sociaux. Les stages transnationaux sont encouragés, via l'utilisation des fonds européens. La convention de stage doit préciser tout particulièrement les droits et les obligations des parties et déterminer l'étendue de la couverture sociale. La durée du stage ne peut excéder six mois. La question de la rémunération minimale n'est, par contre, pas abordée.

La question de la rémunération est pourtant cruciale, tant les situations divergent d'un État membre à l'autre. Une enquête Eurobaromètre, publiée en 2013, soulignait que 59 % des stagiaires interrogés ne sont pas rémunérés pour le travail qu'ils produisent. Plus de la moitié de ceux qui sont rémunérés affirment que leur salaire ne suffit pas pour couvrir leurs frais de subsistance. Quelque 40 % des stagiaires travaillent également sans avoir signé de contrat écrit leur garantissant des droits sociaux.

La recommandation ne vise, par ailleurs, que les stages effectués au sortir des études et dans le contexte d'une recherche d'emploi, soit ce que la Commission européenne qualifie de « marché libre ». Ce type de stage n'est pas autorisé en France.

En ce qui concerne l'apprentissage, la Commission européenne a lancé le 2 juillet 2013 à Leipzig une Alliance européenne pour l'apprentissage. L'ambition affichée est d'améliorer l'offre et la qualité des apprentissages disponibles. Elle réunit représentants des pouvoirs publics, des entreprises, des partenaires sociaux et des jeunes. Le Conseil des ministres a appuyé cette démarche le 15 octobre 2013, en soulignant que l'apprentissage de qualité constituait un moyen de favoriser une transition entre l'école et milieu professionnel tout en participant à l'amélioration de l'adéquation entre la formation et les besoins du marché du travail. Reste que cette démarche semble se résumer pour l'instant à un forum d'échanges de bonnes pratiques. Elle n'a pas abouti à l'élaboration de cursus communs de formation en alternance et converger vers un véritable statut européen de l'apprenti.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la coopération dans le domaine de la formation en alternance soit le fait d'initiatives bilatérales. On peut notamment citer les accords entre l'Allemagne et l'Espagne, l'Italie et le Portugal. Suite à cet accord, le nombre des apprentis a doublé en Espagne et celui des entreprises recrutant des apprentis a triplé. Plus largement, et compte-tenu de son succès en Allemagne et en Autriche qui disposent des meilleurs taux d'emploi des jeunes au sein de l'Union européenne, il est possible de s'interroger sur la transposition à l'échelle européenne du modèle dual. La spécificité du tissu économique allemand ou du système de négociations sociales, clés du succès de ce système, rend illusoire une adaptation à l'identique dans l'ensemble des pays membres et notamment en France. Il pourrait être opportun de lancer une vaste réflexion sur la convergence des modèles éducatifs en Europe via l'Alliance européenne pour l'apprentissage, à l'image de ce qui a pu être fait dans le domaine universitaire via le processus de Bologne. D'autant que des crédits sont déjà prêts pour appuyer une telle ambition. 17 % du budget d'Erasmus +, qui s'élève à 14,5 milliards d'euros, est aujourd'hui dédié à la formation en alternance.

Comme l'a indiqué Pascale Gruny en préambule, ces réflexions seront intégrées et étayées dans notre rapport sur la convergence sociale au sein de l'Union européenne. Nous allons désormais travailler sur un des aspects pervers de l'absence de convergence sociale avec la question du tourisme social, au travers notamment de la position de la Cour de justice de l'Union européenne.

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