Intervention de François Marc

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
Examen de la proposition de résolution n° 648 de mme nicole bricq et des membres du groupe socialiste apparentés et rattachés sur le projet de « paquet gouvernance économique » présentation de la proposition de résolution par m. françois marc rapport de m. jean-françois humbert

Photo de François MarcFrançois Marc :

La crise économique et financière est loin d'être terminée. La dégradation de la note de la dette du Portugal, la situation de la Grèce (le rapport de Simon Sutour et Jean-François Humbert l'a démontré), mais aussi d'autres économies de notre Union (l'Irlande ou l'Espagne, par exemple) demeurent particulièrement inquiétantes et exigent que l'Europe fasse preuve de solidarité mais aussi de clairvoyance.

Aujourd'hui, l'urgence est à la solidarité financière avec les États en difficulté. Mais il ne saurait s'agir que de cela ! La crise a démontré que nous avons besoin d'une gouvernance économique plus européenne. Nous devons construire enfin le « pacte de coordination des politiques économiques » que Jacques Delors appelait de ses voeux, et ceci dans le but de faire pendant au Pacte de stabilité.

C'est une nécessité pour résorber les déséquilibres entre les économies des différents États. C'est aussi indispensable pour faire face aux marchés et aux acteurs économiques qui, trop souvent, font jouer une forme de concurrence européenne entre les États, nous affaiblissant tous.

Il est de l'intérêt de tous les Européens d'avoir une gouvernance plus collective.

C'est là l'objet des six textes du « paquet gouvernance économique » que la Commission européenne a déposé le 29 septembre 2010 et qui présente un ensemble de réformes visant au renforcement de la coordination des politiques économiques et fiscales de l'Union européenne. Ce « paquet » a, ou en tout cas devrait avoir, pour cadre la stratégie « Europe 2020 » et pour objectif de renforcer le Pacte de stabilité et de croissance européen.

À nos yeux, ces propositions sont insuffisantes, voire dangereuses. Bien que les textes du « paquet gouvernance » aient vocation à permettre la mise en oeuvre de la stratégie « UE 2020 », le contenu des propositions est malheureusement en deçà des ambitions affichées.

Le « paquet gouvernance » a trois priorités principales :

- renforcer le pacte de stabilité et de croissance ainsi que la coordination des politiques budgétaires des États de l'Union ;

- élargir la surveillance économique pour éviter les dérives des comptes publics et restreindre les différences de compétitivité dans l'Union ;

- assurer la mise en oeuvre de ces dispositions en rendant quasi-automatiques les sanctions pour les États ne remplissant pas les objectifs fixés.

Dans cette perspective, le « paquet gouvernance » est composé de six textes, quatre sur les aspects budgétaires et deux pour détecter et sanctionner les déséquilibres macroéconomiques. Cette procédure concernant les déséquilibres excessifs est un élément nouveau du cadre de surveillance dont serait dotée l'Union européenne. Elle prévoit une évaluation régulière des risques de déséquilibres, fondées sur un tableau de bord d'indicateurs économiques.

À vrai dire, on peut se demander si les propositions avancées sont à la hauteur des défis qui attendent l'Union européenne. S'il est indispensable que les États de l'Union veillent à maîtriser leur dette et leurs déficits, il est tout aussi fondamental, pour préparer l'avenir, de mettre en oeuvre la stratégie « UE 2020 », ce qui ne sera pas réalisable dans un contexte de politiques d'austérité généralisée.

La situation en Grèce le démontre s'il le fallait : l'austérité imposée ne permet pas la réduction durable des déficits et de la dette. Seule une politique économiquement efficace et socialement juste sera à même de provoquer la réduction des déficits publics et la maîtrise de la dette par la réduction du chômage et le retour de la croissance. C'est la seule voie crédible pour maîtriser les déficits et la dette des États.

Les discussions entre le Parlement européen et le Conseil ne sont pas encore terminées. La présidence polonaise a d'ailleurs indiqué le 3 juillet dernier qu'il est peu probable que le paquet législatif soit accepté rapidement. Il est donc utile que les parlements nationaux, donc le Sénat, puissent faire entendre leur voix et puissent peser sur les négociations en cours pour améliorer ces textes. C'est bien l'objet de cette proposition de résolution européenne.

Cette proposition de résolution européenne met en avant 5 priorités :

- introduire une « règle d'or » en matière d'investissement : les emprunts publics dédiés à l'investissement dans les dépenses d'avenir doivent bénéficier d'un traitement spécifique ;

- intégrer la ressource publique, et non simplement la dépense, dans l'appréciation du déséquilibre budgétaire des États membres : en France, une politique énergique de réduction des dépenses fiscales qui grèvent le budget de l'État et de la Sécurité sociale est indispensable, comme l'a d'ailleurs recommandé la Commission européenne le 7 juin dernier ;

- réviser les rythmes de réduction des dépenses publiques : il faut éviter que les États, et notamment la France, ne soit asphyxiés par un plan d'austérité, l'exemple grec étant à cet égard édifiant ;

- réviser l'introduction du vote à la majorité qualifiée « inversée » des sanctions : un mécanisme qui entraînerait une quasi-automaticité des sanctions réduirait définitivement le champ de négociation entre États et mettrait en cause la souveraineté des parlements nationaux ;

- soutenir les améliorations du texte portées par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen quant à la définition des indicateurs macroéconomiques, avec notamment l'introduction d'indicateurs sociaux.

Au stade où en sont aujourd'hui les discussions entre le Conseil et le Parlement européen, je veux insister sur un élément qui me semble prioritaire : il me semble totalement inopportun de mettre en oeuvre la règle dite de « majorité qualifiée inversée ».

C'est le point de blocage principal entre le Conseil et le Parlement européen. Nous devons, je crois, soutenir les États qui ne veulent pas de ce mécanisme rendant les sanctions automatiques : ce serait fermer la porte à l'ajustement politique nécessaire pour ces mesures, ce serait rendre automatique l'austérité dans de nombreux États, et notamment en France. Il s'agit aussi de préserver une forme de souveraineté indispensable dans les États.

Pour être plus concret encore, dans l'état dans lesquelles se trouvent les finances publiques en France, notre pays devrait faire face, automatiquement, à ces sanctions. Il faut donc évaluer très précisément ce à quoi nous devrions faire face.

Selon nos estimations, en ajoutant l'effort de réduction des déficits publics et le paiement des sanctions exigibles, c'est près de 20 milliards d'euros que nous aurions à trouver annuellement (soit environ 1 point de PIB).

Il serait d'ailleurs particulièrement utile que nous puissions demander une étude sérieuse et chiffrée avec précision de ce à quoi la France s'engage par ces textes. Pour le moment, nous n'avons pas vu de projections réelles du ministère des finances... il serait donc utile que nous en ayons connaissance.

A minima, un débat doit être organisé sur les conséquences précises de ces engagements : le prochain gouvernement, quelle qu'en soit la couleur politique, ne saurait se retrouver sans aucune marge de manoeuvre, incapable de mener la politique pour laquelle il aura été élu.

Voilà pourquoi il me semble qu'une expression de la commission des affaires européennes est indispensable.

Au-delà, notre texte aborde deux dimensions plus spécifiques, tenant à la régulation du système financier, corollaire indispensable à la meilleure coordination des politiques économiques. Conformément au vote (quasi unanime) de l'Assemblée nationale, notre PPRE propose de mettre en oeuvre une taxe sur les transactions financières. En outre, il nous semble indispensable que le Sénat demande la révision des mécanismes de régulation du système financier en lien avec la mise en oeuvre du mécanisme européen de stabilité. Nous souhaitons, par exemple, exclure les États rentrant dans ce mécanisme de la notation par les agences dont on ne connaît que trop les défauts.

Le Sénat ne peut, aujourd'hui, se détourner de l'enjeu essentiel pour l'avenir que représente la coordination des politiques économiques en Europe. Nous devons dire que nous souhaitons mettre en oeuvre cette coordination, tout en permettant la mise en oeuvre de la stratégie européenne de croissance. Nous devons aussi veiller à ce que la France ne prenne pas d'engagement qu'elle ne saurait tenir.

C'est tout le sens de cette proposition de résolution européenne.

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