Intervention de Jean-François Humbert

Commission des affaires européennes — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
Examen de la proposition de résolution n° 648 de mme nicole bricq et des membres du groupe socialiste apparentés et rattachés sur le projet de « paquet gouvernance économique » présentation de la proposition de résolution par m. françois marc rapport de m. jean-françois humbert

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

La proposition de résolution présentée par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste porte sur le paquet « gouvernance économique », composé de six textes, qui a été présenté par la Commission européenne en septembre 2010.

Cette proposition de résolution me paraît poser un problème de « timing ». Elle vient beaucoup trop tard.

Comme je le rappelais, la Commission européenne a présenté ce paquet « gouvernance » il y a neuf mois. Notre commission l'a d'ailleurs examiné à ce moment-là : nous avons eu deux réunions à ce sujet, l'une le 29 septembre et l'autre le 19 octobre, avec un rapport conjoint de Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung.

Depuis lors, naturellement, les discussions à l'échelon européen ont eu lieu. Le Conseil est parvenu à un accord le 15 mars. Quant au Parlement européen, il s'est prononcé le 23 juin. Nous en sommes maintenant au stade des négociations entre le Conseil et le Parlement. Ces négociations ne portent plus que sur un petit nombre de points.

En réalité, c'est seulement le caractère plus ou moins « automatique » des sanctions qui est en débat. Le Parlement européen veut les sanctions les plus automatiques possibles en cas de non respect du pacte de stabilité. Le Conseil, au contraire, veut conserver une marge d'appréciation politique.

Sur le plan technique, cela se traduit par deux schémas différents. Selon le Parlement européen, c'est la Commission européenne qui doit complètement diriger la procédure, et le Conseil doit statuer à la « majorité qualifiée inversée » : autrement dit, ce que propose la Commission européenne sera adopté sauf si le Conseil s'y oppose à la majorité qualifiée. Comme il sera très difficile de trouver une majorité qualifiée pour s'y opposer, les sanctions seront quasi automatiques.

Pour le Conseil, qui s'est rallié au compromis franco-allemand de Deauville, il faut que le Conseil décide à la majorité qualifiée « normale » pour dire si la situation d'un pays justifie que des sanctions soient prises. Ensuite, et ensuite seulement, les sanctions elles-mêmes seraient prises à la « majorité qualifiée inversée ». Le Conseil garderait donc un pouvoir d'appréciation : la procédure ne serait pas complètement entre les mains de la Commission européenne.

C'est essentiellement sur ce point que portent les discussions. Les autres aspects ne sont plus en débat. On en est donc au stade qui serait, chez nous, celui de la préparation d'une commission mixte paritaire.

Soyons clairs : si quelqu'un vient nous voir pour nous suggérer des amendements à un projet de loi alors qu'on en est au stade de la CMP, nous lui répondons : « Cher collègue, vous venez trop tard, nous n'en sommes plus au stade des amendements ».

Donc, cette proposition de résolution arrive trop tard dans le calendrier européen.

Elle arrive aussi trop tard dans le calendrier du Sénat. Elle a été déposée le 20 juin, et distribuée le 23 juin. Nous l'examinons aujourd'hui, 15 jours après son dépôt. On peut difficilement faire plus vite ! Mais nous devons songer à la suite de la procédure. La commission compétente au fond, qui est la commission des finances, doit pouvoir se prononcer. Si nous adoptons aujourd'hui une proposition de résolution, la commission des finances disposera d'à peine une semaine pour désigner un rapporteur et se prononcer, alors qu'elle n'a pas prévu de réunion en cette fin de session. Sur un sujet de cette importance, ce ne serait pas une méthode de travail convenable. Nous devons respecter les droits de la commission compétente au fond.

Les problèmes de « timing » que je viens de détailler, à la fois sur le plan européen et sur le plan national, devaient nous conduire, me semble-t-il, au rejet de cette proposition de résolution.

Mais cette proposition de résolution mériterait un débat de fond, avec le temps nécessaire. Elle aborde d'ailleurs certains sujets qui dépassent le paquet « gouvernance ».

Sur plusieurs points, je pourrais pour ma part approuver les orientations proposées par nos collègues.

Tout d'abord, je me félicite que la proposition de résolution soutienne la stratégie « UE 2020 » qu'elle se prononce pour la coordination des politiques économiques, et qu'elle soutienne la procédure du « semestre européen » qui va renforcer cette coordination à la fois sur le plan économique et sur le plan budgétaire.

Ensuite, je crois que la proposition de résolution met en garde à juste titre contre une approche purement comptable, qui ne prenne pas en compte la qualité de la dépense publique. Nous avons à réduire les déficits et la dette, mais nous avons aussi à préparer l'avenir. C'est d'ailleurs ce que nous essayons de faire à l'échelon national avec le « grand emprunt ».

C'est pourquoi la « règle d'or » que propose le groupe socialiste est séduisante : il s'agirait de soustraire aux restrictions budgétaires les dépenses d'avenir. C'est un débat qui a déjà eu lieu au Conseil ces dernières années, pour épargner les dépenses productives. Certains avaient proposé de sanctuariser les dépenses de défense, bien public par excellence, d'autres les dépenses relatives au nucléaire, d'autres encore celles d'éducation... Vous le voyez, la frontière serait difficile à tracer, et pourrait susciter des débats sans fin, mettant en cause des modèles de société : par exemple l'éducation, qui relève largement du niveau local au Royaume-Uni, représente un poste important du budget de l'État pour notre pays. C'est pour ces raisons que le Conseil a jusqu'à présent écarté cette piste.

Enfin, je suis pour ma part d'accord avec la proposition de résolution lorsqu'elle s'oppose aux sanctions quasi automatiques préconisées par le Parlement européen. Lorsqu'un pays est en déficit, il faut examiner de près les causes de ce déficit et les perspectives dans lesquelles il se situe. Il est donc souhaitable que le Conseil garde un pouvoir d'appréciation, et c'est bien la position que défend le Gouvernement dans la lignée de l'accord franco-allemand de Deauville.

D'ailleurs, lors de nos débats de l'automne dernier sur ce sujet, la plupart d'entre nous avaient jugé que c'était l'aspect préventif du pacte de stabilité et le renforcement de la coordination des politiques qui étaient les points importants, alors que les sanctions financières pour déficit excessif paraissaient un remède peu crédible. Il faut bien constater qu'aujourd'hui, personne ne parle d'infliger à la Grèce des sanctions financières, alors que s'il y a un pays qui ne respecte pas le pacte de stabilité, c'est bien la Grèce.

En revanche, sur d'autres points, je ne peux pas souscrire à la proposition de résolution.

Je pense notamment au paragraphe 16, qui juge que le paquet « gouvernance économique » ne « présente qu'un durcissement du Pacte de stabilité et de croissance qui aura pour conséquence d'imposer à toute l'Europe une politique d'austérité généralisée qui ne permettra pas de relancer la croissance et l'emploi en Europe ». En réalité, il n'y a pas à proprement parler de « durcissement » du pacte de stabilité, puisque les seuils de 3 % pour le déficit et 60 % pour la dette restent les mêmes. Ce qui change, c'est le nouveau volet préventif, c'est la coordination renforcée des politiques, c'est la définition d'une trajectoire pour réduire la dette globale et ce sont les règles d'adoption des sanctions. Mais il n'y a pas d'exigences d'austérité plus grandes qu'auparavant.

Ensuite, il n'est pas exact que l'assainissement des finances publiques détournerait l'Union de la croissance. Regardons autour de nous : les pays avec les finances publiques les plus saines, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas, sont ceux qui ont la plus forte croissance.

En réalité, il y a urgence pour l'Europe à stopper l'emballement de la dette publique.

Dans le cas de la France, on peut renvoyer au rapport qu'a présenté, le 23 juin dernier, le président de la Cour des comptes, Didier Migaud. Ce rapport souligne fortement que la France doit réduire son déficit structurel, c'est-à-dire non imputable à la conjoncture défavorable. Ce déficit structurel représente 5 % du PIB, et son existence ne date pas d'aujourd'hui. C'est un mal chronique ! Et je m'étonne que la proposition de résolution, dans son exposé des motifs, vante la gestion des finances publiques entre 1997 et 2002, alors que la dette publique n'a cessé de gonfler pendant ces 5 années, dans une conjoncture pourtant exceptionnellement favorable, avec un dollar fort et un baril de pétrole bon marché ! La France a continué, comme elle le faisait depuis 1980, à vivre au-dessus de ses moyens pendant ces années fastes : la fameuse cagnotte mécaniquement dégagée par la croissance en 2000 n'a même pas servi à désendetter notre pays... Si les keynésiens admettent l'utilité d'une relance budgétaire en tant de crise, ils reconnaissent aussi la nécessité de dégager un excédent budgétaire lorsque la conjoncture est favorable. Or, depuis 30 ans, la facture des baisses d'impôts et des hausses de dépenses a été systématiquement reportée sur les générations futures, quelle que soit la situation économique.

La crise financière a fait augmenter les déficits, et la dette publique va dépasser 85 % du PIB cette année. Nous ne pouvons pas continuer à consacrer l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu au paiement de la dette ! Didier Migaud préconise un effort de réduction de 20 milliards de notre déficit annuel ; je relève que c'est précisément le chiffre qui résulterait de l'application à la France du «paquet gouvernance» en ce qui concerne la réduction de la dette.

Je ne peux non plus souscrire au paragraphe 19 de la proposition de résolution, qui « demande que soit pris en compte l'aspect des recettes dans le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance qui, en l'état actuel, ne se penche que sur l'aspect des dépenses, introduisant dès lors des propositions de réformes dites structurelles qui visent surtout à mettre à mal les systèmes de solidarité ».

D'abord, il ne me paraît pas exact de dire que le volet préventif du pacte ne se penche que sur l'aspect des dépenses. Il prévoit certes que la croissance annuelle des dépenses ne doit pas dépasser le taux de croissance prévisible du PIB sur le moyen terme (ce qui paraît d'ailleurs raisonnable), mais il précise qu'un dépassement est possible s'il est contrebalancé par des mesures supplémentaires du côté des recettes.

Surtout, il ne me paraît pas justifié de s'opposer de cette manière aux « réformes structurelles ». J'observe que tous les États membres de la zone euro en ont reconnu la nécessité dans le « pacte pour l'euro plus » qui a été signé par tous les gouvernements, de gauche comme de droite. J'observe également que les pays qui, comme l'Allemagne, ont engagé ces réformes structurelles sont ceux qui ont, aujourd'hui, une croissance plus forte et des finances publiques en meilleur état. Et je crois que plus ces réformes seront différées dans certains pays, plus grand sera le risque d'une Europe coupée en deux, entre une « zone Nord » plus dynamique et une « zone Sud » engluée dans l'endettement.

Pour terminer sur une note plus positive, je voudrais dire que j'approuve la proposition de résolution lorsqu'elle défend l'idée qu'il faut soutenir la croissance au niveau européen en développant des projets d'avenir pour le continent.

A cet égard, l'idée des «project bonds», qui permettraient de mobiliser des fonds privés grâce à une garantie publique pour des projets européens, mérite d'être explorée et il est heureux que la Commission l'ait retenue dans sa proposition de cadre financier pluriannuel présentée le 29 juin. Mais ce sujet déborde celui de la gouvernance économique. Ne demandons pas au « paquet gouvernance » plus qu'il ne peut apporter et qui serait déjà essentiel : une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires.

Le « paquet gouvernance » ne peut pas non plus, à lui seul, apporter la stabilité financière que nous appelons tous de nos voeux. La proposition de résolution regrette que le projet de mécanisme européen de stabilité passe sous silence la régulation des marchés. Mais ce n'est pas l'objet du « paquet gouvernance » : d'autres textes sont en cours ou à venir pour faire progresser la régulation financière en Europe.

Enfin, je rappelle que l'introduction d'une taxe sur les transactions financières, que demande la proposition de résolution, est désormais sur la table, puisque la Commission européenne l'a proposée le 29 juin lors de la présentation du prochain cadre financier pluriannuel. La France s'était d'ailleurs prononcée en faveur d'une telle taxe à l'automne dernier.

En conclusion, je dirais que cette proposition de résolution comprend des aspects qui me paraissent pertinents, d'autres beaucoup plus discutables. Elle mériterait un débat approfondi, non seulement devant notre commission, mais aussi devant la commission compétente au fond, voire en séance plénière.

Mais, pour des raisons que j'ai exposées en commençant, elle vient trop tard dans le calendrier européen, comme dans celui du Sénat, pour qu'un tel débat soit possible. Il ne me paraît pas concevable de statuer à la va-vite sur des sujets aussi centraux. Les aspects de la proposition de résolution qui ne concernent pas strictement le paquet gouvernance, et ils sont nombreux, pourraient être débattus à l'automne.

Dans ces conditions, je souhaite que la proposition de résolution soit retirée, et qu'à défaut, elle soit rejetée.

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