Intervention de Christos Stylianides

Commission des affaires européennes — Réunion du 28 avril 2016 à 8h35
Justice et affaires intérieures — Audition en commun avec la commission des affaires étrangères et la commission des lois de M. Christos Stylianides commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises

Christos Stylianides, commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises :

Un grand nombre de vos questions ne relèvent pas de mon périmètre, mais de ceux des commissaires européens à la migration et à la politique de voisinage. Je m'efforcerai toutefois d'y répondre.

Il est vrai que je suis de nationalité chypriote ; et cependant, je soutiens l'accord entre l'Union européenne et la Turquie parce que je suis fermement convaincu qu'aucune solution ne sera trouvée sans la Turquie. C'est une position pragmatique. Il existe bien sûr des désaccords au sein des institutions européennes ; mais ma principale préoccupation, en tant que personnalité politique, est d'obtenir des résultats concrets. C'est ce qui me sépare des militants : eux recherchent des solutions sans nécessairement réfléchir à leur concrétisation. Cet accord n'est pas la panacée, mais c'est une réponse à ce défi immense.

Les négociations ont été très difficiles ; bien entendu, nous n'avons aucunement abaissé nos exigences en matière de droits de l'Homme pour la libéralisation des visas. Les autorités turques ont déjà amendé leurs textes pour répondre à plus de la moitié de nos 72 critères. Le chemin est encore long. Jean-Claude Juncker a réaffirmé notre volonté de maintenir les mêmes critères pour tous.

Depuis l'entrée en vigueur de l'accord, nous constatons des signes positifs. Le 20 mars, 1 667 réfugiés sont passés de Turquie en Grèce. Le 30 mars, ils étaient 30 ; le 13 avril, 100 ; le 17, 66 ; le 20, 200 ; le 22, une vingtaine... Une nette tendance à la baisse se dessine.

Malheureusement, le président Erdogan a déclaré que l'accord serait caduc si l'Union européenne refusait la libéralisation des visas. Nous devons rester fermes sur ce point. Quelques accords importants ont d'ores et déjà été signés : mon collègue chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage, Johannes Hahn, a obtenu des autorités turques que l'aide humanitaire de l'Union européenne aux migrants soit gérée par les organisations, et non par l'État et le gouvernement. La politique de voisinage reste du ressort de l'Union européenne et de nos propres règlements. C'est pourquoi j'ai insisté sur le fait que ce financement est destiné non à la Turquie mais aux réfugiés qui se trouvent sur son sol. Nous ne pouvons accepter le moindre assouplissement de nos critères sur la gestion des financements, que ce soit pour l'aide humanitaire ou la politique de voisinage.

L'un des principaux objectifs de l'accord est de combattre les passeurs. Je suis conscient des nouvelles routes qui pourraient s'ouvrir à partir des pays voisins de la Syrie vers Lampedusa, par exemple ; mais nous n'avons pas d'évaluations chiffrées. Nous sommes très préoccupés par la situation en Libye, où les signaux sont très négatifs. Malheureusement, nous ne pouvons mettre en place une aide humanitaire faute d'un partenaire gouvernemental crédible sur place, comme en Turquie. Cela dit, les tout derniers développements laissent entrevoir des progrès.

J'ai été impressionné par la maturité et la générosité du peuple grec face à la crise migratoire. J'ai rencontré à deux reprises le Premier ministre Alexis Tsipras et son ministre de l'immigration, Ioannis Mouzalas. Aux termes de notre accord, 80 millions d'euros seront alloués à la Grèce, première tranche des 300 millions d'aide urgence prévus pour cette année. De nombreux partenaires - le HCR, l'ONU, etc. - sont impliqués. Le gouvernement grec a accepté que l'aide ne passe pas par des canaux gouvernementaux. À la différence des non membres, en Grèce, la planification est assurée par les autorités nationales.

La situation s'est améliorée sur les hotspots grâce aux financements supplémentaires. Comme l'a souligné mon collègue Frans Timmermans, nous pourrons bientôt, sur cette base, distinguer les réfugiés des migrants économiques en conformité avec la convention de Genève. Voici trois ou quatre mois, nous n'étions pas en mesure de le faire.

Concernant le Liban et la Jordanie, le trust fund Madad pour l'aide humanitaire et au développement a été créé par la Commission. Nous ne sous-estimons aucunement la générosité dont ces pays font preuve dans leur gestion de la crise. Nous nous sommes déjà rendus en Jordanie et au Liban à de nombreuses reprises ; au Liban, des établissements éducatifs ont été mis en place dans la vallée de la Bekaa. Ce pays fragile - que je connais bien pour venir d'un pays tout proche - fait face à un afflux de réfugiés qui représente 40 % de sa population ; c'est une situation unique au monde. Nous devons poursuivre la coopération, qui repose sur de bonnes bases.

À travers Madad, nous travaillons étape par étape à la mise en place d'un plan d'investissement pour la Jordanie. Ce n'est pas facile : les investisseurs souhaitent avant tout un environnement stabilisé, ce que la Jordanie et le Liban ne peuvent leur offrir. Nous assistons le gouvernement jordanien dans l'élaboration de son plan stratégique de développement.

Voici une dizaine de jours, une délégation de sept commissaires européens dirigée par Federica Mogherini s'est rendue en Iran. Nous n'étions pas en position d'exprimer des exigences à propos des droits de l'Homme. Toutefois, il vaut mieux discuter avec ces pays que les isoler. Après l'accord avec l'Iran, un cessez-le-feu a été conclu au Yémen, ouvrant des voies d'accès à l'aide humanitaire. Nous avons aussi pu accéder à certaines zones en Syrie. Enfin, à travers le Hezbollah, la situation au Liban est stabilisée. Voilà trois développements positifs concrets. Tout en coopérant pour obtenir des résultats sur le terrain, nous insistons sur nos propres règles. Nous avons évoqué la question des droits de l'Homme avec les Iraniens ; ces derniers ont accepté d'assouplir l'octroi de permis de travail aux réfugiés afghans et de faciliter la scolarisation de leurs enfants.

Je vous remercie pour votre invitation. La franchise dans les échanges de vue est le point de départ de tout débat politique, et la politique consiste à trouver un terrain commun en surmontant les divergences. Après le sommet mondial d'Istanbul, j'espère que nous aurons l'occasion de faire un nouveau point sur la crise des migrants : nous disposerons alors de davantage de données chiffrées.

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