Intervention de Harlem Désir

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 octobre 2015 à 17h05
Institutions européennes — Audition de M. Harlem Désir secrétaire d'état aux affaires européennes sur les conclusions du conseil européen des 15 et 16 octobre

Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes :

Je vous remercie de votre invitation, qui est l'occasion de faire le point sur ce qui est ressorti du dernier Conseil européen. Ainsi que vous l'avez rappelé, l'essentiel des débats a porté sur la crise des réfugiés, même si d'autres sujets, que vous me permettrez de mentionner rapidement, ont aussi été abordés. Sur la Syrie, en lien avec la crise des réfugiés, les éléments de conclusion du Conseil, qui reprennent les préconisations du Conseil « affaires étrangères », confirment nos attentes. Le Conseil s'est également penché sur les suites à donner au rapport des cinq présidents sur l'Union économique et monétaire, et la Commission a rendu publique ce matin une série de décisions correspondant à la phase 1 de mise en oeuvre de ce rapport, qui comportent un certain nombre d'amélioration du fonctionnement du semestre européen, et de la représentation extérieure de l'Union économique et monétaire - seul le président de l'Eurogroupe, par exemple, s'exprimerait au FMI au nom de la zone euro. C'est un début ; il faudra aller au-delà. M. David Cameron, enfin, a fait un point d'information sur quatre grands sujets sur lesquels la Grande-Bretagne souhaite voir s'ouvrir la négociation, dans la perspective du référendum sur l'appartenance à l'Union. Ce point n'a pas donné lieu à débat, le Premier ministre britannique ayant indiqué qu'il adresserait ses demandes par courrier au président Juncker : ce document servira de base de discussion sur l'Union économique et monétaire au Conseil européen de décembre, qui doit étudier davantage dans le détail la réforme du fonctionnement de l'Union économique et monétaire.

La crise des réfugiés, ainsi que vous l'avez rappelé en évoquant la Hongrie, n'en est pas à son dénouement. Les flux se poursuivent, même s'ils ne suivent pas, du fait de la fermeture par la Hongrie de sa frontière avec la Serbie, les mêmes routes. Mais dans plusieurs pays des Balkans, que ce soit dans des États membres comme la Slovénie et la Croatie, ou en Macédoine et en Serbie, les réfugiés continuent d'affluer. On n'observe pas non plus de ralentissement en Allemagne : c'est dans ce pays que souhaitent se rendre presque tous ceux qui passent par les Balkans. L'Allemagne a déjà reçu 500 000 réfugiés depuis le début de l'année, et ce chiffre devrait atteindre 800 000, voire un million, d'ici à la fin de l'année. Mêmes difficultés en Suède, dont le Premier ministre, après avoir rappelé l'attachement de son pays à sa forte tradition d'accueil, a indiqué que le rythme n'était plus soutenable. La Finlande, les Pays-Bas, ainsi qu'en témoignent les chiffres, sont confrontés à des rythmes identiques, qui n'ont pas ralenti.

Pour que le système de l'asile demeure soutenable, les décisions annoncées doivent s'appliquer : le contrôle aux frontières, et la mise en place de centres d'enregistrement et d'accueil dans les pays de première arrivée, l'Italie et la Grèce, où seront distingués ceux qui relèvent de la protection internationale et les autres ; la lutte contre l'immigration illégale et les passeurs, via l'opération Sophia, qui a reçu l'aval du conseil de sécurité de l'ONU ; les accords de réadmission, et leur indispensable corollaire, l'aide au développement ; la coopération, enfin, avec les pays tiers de transit comme la Turquie, le Liban, la Jordanie, pays qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés - d'où la nécessité d'assortir de décisions financières les négociations engagées avec la Turquie pour l'aider à accueillir les réfugiés qui se trouvent sur son territoire et lutter contre l'immigration illégale par la route des Balkans, dont je rappelle qu'elle débute par le passage, par mer, de la Turquie à la Grèce ; sans oublier qu'il est aussi d'autres routes, liées à l'effondrement de l'État en Libye.

Nous avons eu des discussions sur la mise en place, dans les États membres, des décisions de l'Union. Les relocalisations, qui ne sont plus remises en cause, doivent être mises en oeuvre conformément à la décision prise quelques jours auparavant par le Conseil « justice et affaires intérieures ». C'est la condition pour que la Grèce et l'Italie, qui ont souffert de l'application du règlement de Dublin, acceptent le dispositif des hotspots. Et c'est bien pourquoi nous insistons sur la nécessité de mettre en place toutes ces décisions concomitamment, au rebours des tentations de certains, qui jugent que l'on devrait relever le plafond des relocalisations au risque de s'acheminer vers un mécanisme permanent, à terme sans plafond et qui pourrait concerner également les réfugiés déjà présents dans un État membre. Nous devons, au contraire, nous en tenir au chiffre de 160 000, selon une répartition que tous les pays acceptent désormais, à l'exception de la Slovaquie, qui a dit son intention de déposer un recours, sans la mettre, cependant, à exécution.

Il a fallu préciser la nature des hotspots et s'engager à donner aux États membres et aux agences de l'Union européenne les moyens de les rendre opérationnels. Ces centres ont vocation à identifier ceux qui peuvent bénéficier d'une protection internationale, mais aussi, car il n'est pas question de se contenter de renvoyer purement et simplement les autres en les laissant tomber, à nouveau, aux mains des passeurs, d'organiser les retours, ce qui suppose d'élargir les moyens et le mandat de Frontex, pour appuyer les pays concernés et organiser les centres en conséquence. Il y faudra des moyens considérables, et le Premier ministre grec, en particulier, y a insisté - sans lier nullement la question à celle du programme d'assistance à la Grèce, comme on a pu le lire dans certains articles de presse. Ce pays, comme l'Italie, a annoncé qu'il mettrait en place six centres, ce qui exige des moyens non seulement financiers mais aussi en expertise et en personnel. La France s'est engagée à mettre 60 personnes à disposition de Frontex, et 18 au service du bureau européen d'appui à l'asile, l'EASO. Des agents de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, de la police de l'air et des frontières viendront ainsi épauler les agents locaux dans l'examen des dossiers, s'assurer que les bénéficiaires de l'asile sont bien accueillis et les autres renvoyés dans des conditions juridiquement et humainement satisfaisantes. Il faut s'assurer que tous les États membres mettent des moyens à l'avenant.

J'ajoute qu'un rectificatif au budget européen pour 2015 a été voté par le Parlement, avec l'appui du Conseil, qui permettra d'augmenter les moyens de Frontex, d'Europol, du bureau européen d'appui à l'asile mais aussi notre contribution au fonds ad hoc lancé par l'ONU, au Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et au Programme alimentaire mondial (PAM).

Un Conseil « justice et affaires intérieures » réunira, le 9 novembre, les ministres de l'Intérieur des États membres pour faire le point sur les mouvements secondaires, à l'intérieur de l'Union européenne. L'efficacité des hotspots est la condition de préservation des acquis de Schengen, mais l'urgence, dont témoignent assez les images marquantes de réfugiés, qui affluent depuis 24 heures, frappe aussi d'autres pays de l'Union européenne, qu'ils soient ou non partie à l'accord Schengen.

J'en viens à la coopération avec les pays tiers. Le Conseil est entré dans le détail du plan d'action discuté lors de la visite à Bruxelles de M. Erdogan, après celle du vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, en Turquie. Ce plan, qui comporte un important volet financier et de soutien opérationnel, poursuit deux objectifs. Aider la Turquie, en premier lieu, à mieux accueillir les réfugiés syriens, au nombre de deux millions sur son sol, répartis pour partie dans des camps et pour partie dans des villages ou dans les banlieues des grandes villes. L'exode massif auquel on a assisté cet été est largement dû, en effet, à la dégradation de la situation dans les camps, du fait du manque de moyens du HCR et du Programme alimentaire mondial, même si la modification intervenue dans la législation turque, qui a pour effet d'interdire désormais aux réfugiés syriens de travailler, a pu aussi jouer un rôle. Tout l'enjeu est bien d'aider la Turquie à accueillir ces réfugiés, afin d'éviter qu'ils n'aient d'autre alternative que se tourner vers l'Europe.

Il s'agit, en second lieu, d'assurer un vrai contrôle aux frontières, de lutter contre les passeurs et de procéder à des réadmissions. Les réfugiés sont majoritairement syriens, mais ils ne le sont pas tous. Car d'autres empruntent la route ainsi ouverte. La Turquie doit contribuer à sécuriser sa frontière avec la Grèce. C'est dans ce cadre qu'elle a présenté les demandes que vous rappeliez tout à l'heure : libéralisation des visas de court séjour, réouverture de chapitres de négociation dans le processus d'adhésion, inscription sur la liste des pays d'origine sûre - la demande d'une zone d'exclusion aérienne au nord de la Syrie, outre qu'elle ne recevait pas d'appui, étant tombée de fait, compte tenu de l'intervention russe.

Sur la libéralisation des visas de court séjour, la Conseil européen avait adopté, en novembre 2012, une feuille de route qui comporte 72 critères à remplir dans quatre domaines principaux : sécurité des documents, migrations et gestion des frontières, ordre public et sécurité, droits fondamentaux. Est aussi prévu l'alignement progressif sur les règles européennes en matière de politique des visas. Il est également demandé à la Turquie le respect de l'accord de réadmission de décembre 2013, qui conduira chaque partie à réadmettre ses ressortissants entrés illégalement sur le territoire de l'autre partie et, à compter d'octobre 2017, toute personne passée illégalement de l'un à l'autre territoire. Le Président de la République estime normal de répondre à cette demande de la Turquie sur les visas, mais sous condition que la Turquie progresse dans ses engagements sur le contrôle aux frontières et en précisant bien que cette facilitation ne saurait en aucun cas s'apparenter à une ouverture sans contrôle.

J'en arrive à l'ouverture de nouveaux chapitres dans les négociations d'adhésion. Vous savez que la Turquie s'est vu accorder le statut de candidat en 1999, et que 14 chapitres de négociation sur 35 ont été ouverts à partir de 2005, dont un seul depuis 2012. La discussion porte ici sur trois chapitres : le chapitre 17, relatif à la politique économique et monétaire, et les chapitres 23 et 24, qui touchent à la justice, à la sécurité, aux droits de l'Homme et à l'État de droit. Étant entendu que le déblocage de ces chapitres ne préjugera en rien de l'issue du processus. La France a toujours dit que si la question était posée d'une adhésion de la Turquie, elle serait soumise à referendum, comme le prévoit la Constitution. Quant aux positions des autres États membres, les uns favorables, les autres défavorables à l'adhésion, elles sont connues. Cependant il n'est ici question de rien d'autre que de poursuivre le processus de discussion et de rapprochement avec la Turquie sur ces volets. Je rappelle que la Turquie est déjà entrée dans une multitude d'accords de partenariat avec l'Union européenne, dont un accord d'union douanière. Nous sommes favorables à un rapprochement avec un pays qui est un partenaire incontournable dans la région, non seulement dans cette crise des réfugiés mais en matière stratégique, comme en témoigne la crise syrienne, mais cela ne préjuge nullement de l'adhésion. Vous avez fait état, monsieur le président, du fait que certains voyaient là un « chantage ». Je crois plutôt que la Turquie demande à être davantage traitée comme un partenaire, un acteur régional important, un interlocuteur dans la résolution des crises. Mais cela ne réouvre pas une question qui n'est pas posée aujourd'hui.

Les pays des Balkans hors Union européenne, comme la Serbie ou la Macédoine, doivent également être aidés. Ils ont besoin de notre appui pour faire face à l'afflux de migrants et mieux contrôler leurs frontières.

Les pays d'Afrique, enfin, sont eux aussi concernés, et ce sera l'objet du sommet de La Valette. Le principe qui veut que l'on donne plus pour recevoir plus doit trouver ici à s'appliquer, comme d'ailleurs il s'applique plus largement en matière de droits de l'Homme, l'Europe étant prête à appuyer davantage les pays qui vont dans ce sens.

L'Union européenne souhaite que les pays d'Afrique s'impliquent davantage dans la lutte contre l'immigration illégale, que des accords de réadmission soient signés et que ceux qui existent soient réellement mis en oeuvre. Mais l'Afrique demande, en retour, à être traitée elle aussi comme un partenaire. De fait, on ne peut se contenter de lui demander de faire barrage aux jeunes qui souhaitent partir vers l'Europe. Il faut engager avec ces pays de vrais projets de coopération économique, apporter de l'aide aux pays de transit, comme le Niger, vers lequel convergent à la fois les routes de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique de l'Est dans leur remontée vers le Sahel, et appuyer la lutte contre les trafiquants d'êtres humains. Une feuille de route a ainsi été fixée pour la préparation de ce sommet, qui aura lieu le 11 novembre.

Autre volet abordé au Conseil européen, le renforcement des frontières extérieures de l'Union : marche vers un système plus intégré, renforcement du mandat de Frontex, mais aussi projet de gardes-frontières européen, qui serait une extension, en quelque sorte, du système de contrôle en mer existant en Méditerranée avec les opérations Triton et Poseidon. Nous défendons l'idée, reprise par le Conseil européen et qui sera débattue lors du Conseil « justice et affaires intérieures », d'une réserve de personnels mis à disposition par chaque État membre, mobilisable en renfort au service des pays soumis à une pression migratoire exceptionnelle.

Quant à la politique des retours, avec l'élargissement du mandat de Frontex et la négociation d'accords de réadmission, j'ai eu l'occasion d'en parler devant vous la semaine dernière.

Au total, ce Conseil européen a visé à s'assurer de la mise en oeuvre des décisions qui ont été prises, des moyens nécessaires aux États de première arrivée et aux agences de l'Union européenne ; à faire en sorte que dans le cadre de la coopération que nous souhaitons engager avec les pays tiers, qui sont des pays de transit, des partenariats assortis de moyens financiers soient noués, afin d'éviter de ne laisser pour seule alternative aux réfugiés que la tentative d'entrer en Europe ; à renforcer les moyens de la lutte contre les trafiquants et les filières de l'immigration illégale. Cela était essentiel, car si les décisions prises au mois de septembre ne sont pas mises en oeuvre, la réponse apportée par l'Europe ne sera pas jugée crédible. La fermeture des frontières nationales pourrait alors devenir une tentation forte, et l'on pourrait voir fleurir les populismes, au détriment de nos valeurs communes, avec leur cortège de violences, comme celles dont a été victime en Allemagne une candidate à la mairie de Cologne. C'est pourquoi toutes ces décisions doivent être pleinement mises en oeuvre, et appuyées par des moyens massifs. Si l'unité franco-allemande doit rester très marquée dans la réponse à cette crise, il nous appartient aussi d'envoyer un signal clair : n'allons pas faire croire que tous les réfugiés de la guerre de Syrie pourront venir en Europe. Cette crise appelle une réponse internationale et exige de l'Europe qu'elle apporte toute son aide pour faire en sorte que les réfugiés restent dans les pays où ils ont été accueillis.

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