Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 octobre 2015 à 8h35
Politique commerciale — Négociations du traité transatlantique ttip : communication de mm. philippe bonnecarrère et daniel raoul

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Plus encore que les droits de douanes, ce sont les mesures non tarifaires qui limitent en grande partie les échanges commerciaux agro-alimentaires.

Les mesures sanitaires et phytosanitaires sont indispensables mais sont aussi emblématiques des obstacles non tarifaires entre les deux parties à cause de procédures d'agrément longues, coûteuses et opaques. Le système américain de sécurité sanitaire des aliments repose sur un maquis de 30 lois et mobilise pas moins de 15 agences fédérales relevant de plusieurs ministères différents.

Des démarches « culturelles » qui sont divergentes aussi : côté européen, le « principe de précaution » ; côté États-Unis, le principe de prévention fondé sur les seules données factuelles de la science. Aux États-Unis, si aucune donnée ne prouve un impact négatif, il n'y aura pas de régulation du produit ; en Europe, c'est l'inverse : sans données, le produit n'entre pas sur le marché. En réalité, c'est là que se concentre l'essentiel des « préférences collectives » que nous entendons préserver (OGM, poulet chloré, etc.)

Par ailleurs, des embargos interdisent actuellement complètement l'exportation européenne des viandes bovine, ovine et caprine à cause de l'épidémie d'ESB. Les États-Unis n'ont que récemment levé cet embargo mais pour la seule viande bovine provenant d'Irlande.

Il en est de même pour les produits laitiers du fait de l'absence de procédure simple permettant aux établissements d'obtenir l'agrément exigé par le dispositif américain.

Sur les normes sanitaires et phyto sanitaires, l'Union européenne et la France ont défini leurs lignes rouges : ne rien céder sur l'exigence de haut niveau de protection de la santé et de l'environnement, sur le maintien du droit à réguler et sur les préférences collectives, y compris la possibilité de normes plus strictes justifiées par l'intérêt public. De même, sur le droit de chacun à gérer le risque à sa manière, en l'occurrence pour nous le principe de précaution. Enfin les préférences collectives et l'acquis communautaire sont exclus de la négociation.

Le règlement des différends investisseur-État : l'ISDS. Ce problème est devenu un sujet majeur. Même si dans le monde quelque 3 000 accords commerciaux comportent un dispositif d'arbitrage privé entre une entreprise étrangère et un État, il est clair que, dans sa configuration actuelle, il ne correspond pas aux exigences de justice, d'intérêt général et de souveraineté dans la conduite des politiques publiques.

L'opposition à ce dispositif a pris une ampleur telle que la France a soumis des propositions ambitieuses, reprises pour l'essentiel par la Commission européenne. Je m'en réjouis car elles rejoignent celles que j'avais moi-même présentées au Sénat. Les grandes lignes figurent dans le document qui vous est distribué : Cour permanente, professionnalisation des juges, mécanisme d'appel, droit inaliénable des États à réguler.

On peut soulever une autre question. Pourquoi ne pas se passer complètement de tout ISDS puisque nos systèmes judiciaires respectifs sont parfaitement fiables ?

La réponse n'est pas si simple. Les États-Unis conviennent qu'un accord bilatéral d'investissement avec la France, l'Allemagne ou la plupart des États membres pourrait aisément se passer d'ISDS. Mais ils considèrent que tous les États membres n'ont pas les mêmes standards judiciaires. Symétriquement, il n'est pas inutile côté français et européen de rappeler que si les juridictions fédérales américaines sont au-dessus de tout soupçon, il n'en est pas nécessairement de même de tribunaux de certains États fédérés qui, compte tenu de leur propre législation, prononcent souvent des sentences lourdes à l'égard d'entreprises étrangères. On avait le même problème avec le Canada où le pouvoir des Provinces est très important !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion