Intervention de Patricia Schillinger

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 novembre 2014 : 1ère réunion
Agriculture et pêche — Propositions de règlement relatives aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux : proposition de résolution européenne de mme patricia schillinger

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Nous sommes saisis de deux propositions de règlement relatives aux médicaments vétérinaires et aux aliments médicamenteux pour animaux. Ces deux règlements révisent ou abrogent des directives anciennes. Ce saut dans l'ordre institutionnel impose une vigilance accrue.

En l'espèce, cette vigilance n'est pas superflue puisque si l'orientation d'ensemble des textes n'appelle pas d'observations, certaines dispositions méritent d'être éclaircies, voire modifiées.

La réglementation des médicaments vétérinaires a cinquante ans. Un médicament vétérinaire est tout à fait comparable à un médicament pour la santé humaine. Dans le cas des aliments médicamenteux, le médicament est mélangé à l'alimentation animale, ce qui convient aux élevages hors sol, notamment les porcs et les volailles, lorsqu'il est matériellement impossible de faire absorber un médicament par voie orale à des milliers d'animaux. Tous ceux qui ont des chiens et des chats savent de quoi je parle !

Jusqu'à présent, la réglementation des médicaments vétérinaires est calée sur celle des médicaments humains. L'acte décisif est l'autorisation de mise sur le marché, qui est préparée par une analyse des effets et des résidus, avec des conditions d'utilisation, notamment le délai entre l'administration d'un médicament et le moment où l'animal est utilisé en denrée alimentaire. Cette autorisation est menée par les autorités sanitaires nationales.

Quels sont les objectifs de la réforme ?

Tout d'abord, plusieurs limites et inconvénients de la règlementation actuelle sont apparus.

Le « marché unique », premier objectif de toute réglementation européenne, s'est avéré plutôt fragmenté. Cette segmentation est liée à la diversité des procédures d'autorisation de mise sur le marché menées par les autorités nationales.

À 28 États, cette segmentation du marché devenait de plus en plus problématique. Il y avait même une certaine incohérence à imposer la libre circulation des animaux à l'intérieur de l'Union, tout en conservant des régimes sanitaires différents.

Ensuite, la révision des textes permet également de traiter des questions nouvelles, absentes des directives actuelles.

C'est le cas de la résistance aux antibiotiques qui est une préoccupation croissante des milieux sanitaires, qu'il s'agisse de santé humaine ou animale.

Au début des années 2000, les autorités sanitaires ont fait le constat d'une perte d'efficacité des antibiotiques, voire d'une véritable résistance. Ce phénomène est bien connu dans le milieu hospitalier mais le même phénomène se produit en médecine vétérinaire.

La proposition de règlement est le volet juridique de ce nouveau défi sanitaire.

L'autre adaptation concerne l'évolution des modes de commercialisation. Le texte évoque ainsi les médicaments génériques, ainsi que la vente par internet, mode de commercialisation encore mal appréhendé par les autorités sanitaires (et budgétaires) nationales.

Les deux textes sont liés. La proposition de règlement sur les médicaments vétérinaires rompt le lien entre médicament pour la santé humaine et médicament vétérinaire. Il y aura désormais une base légale autonome pour la médecine vétérinaire.

La proposition de règlement vise une simplification des procédures. La période de protection juridique des données des médicaments est allongée. L'idée générale est d'alléger la charge administrative.

Plusieurs articles dans les deux textes renvoient également à la pharmacovigilance afin de surveiller les effets indésirables des médicaments vétérinaires notamment l'antibiorésistance. Les opérateurs devront alimenter une base de données européenne sur les effets indésirables auprès de l'agence européenne du médicament.

Concernant l'agenda législatif, et même si la présidence italienne s'est montrée très motivée par ces textes, nous sommes au tout début de la procédure. Le rapporteur au Parlement européen n'a pas encore été nommé, par exemple. Une adoption des textes ne peut être envisagée avant au moins un an, soit vraisemblablement début 2016.

Notre commission intervient donc très en amont. Ce qui est une bonne chose.

Malgré son orientation générale satisfaisante, ces textes suscitent néanmoins quelques observations critiques.

Sur le plan technique, le texte comporte des incohérences sur la résistance aux antimicrobiens et des imprécisions sur la vente par Internet.

Sur le plan des principes, le texte présente des insuffisances concernant le régime des importations et même des dangers sur la place du contrôle des États membres.

Je vais reprendre chacun de ces points.

- En premier lieu, l'incohérence concernant les dispositifs sur la résistance aux antimicrobiens. Cet objectif de lutte contre la résistance aux médicaments est clairement rappelé, à juste titre, dans les deux textes, mais le dispositif retenu est très différent.

Tandis que le texte sur les aliments médicamenteux fixe le principe d'une interdiction d'utilisation préventive, le dispositif prévu par la proposition de règlement sur les médicaments est considérablement plus léger.

Ainsi, le premier texte dispose - je cite - : « les aliments médicamenteux contenant des médicaments vétérinaires antimicrobiens ne doivent pas être utilisés pour prévenir des maladies chez les animaux producteurs de denrées alimentaires ou pour améliorer leurs performances ». En revanche, l'accoutumance n'est traitée que de façon très vague et indirecte lorsque le texte aborde les informations associées à l'autorisation de mise sur le marché ou la publicité.

Je conviens que la rédaction est difficile car il ne s'agit pas d'interdire tout usage préventif mais l'administration d'antibiotiques peut être réservée aux troupeaux dans lesquels on peut avoir des doutes d'une infection, et non de façon systématique.

Ce décalage entre les deux textes est excessif et injustifié. Il conviendrait d'harmoniser les deux rédactions.

En deuxième lieu, il y a une grande imprécision sur les dispositions relatives aux ventes par Internet.

Il n'y a aujourd'hui aucune réglementation. La vente par Internet n'est ni autorisée, ni interdite. Le texte proposé jette quelques bases.

Le dispositif paraît néanmoins insuffisant. En effet, bien que l'objectif général du texte soit de favoriser le bon fonctionnement du marché unique, s'agissant des ventes par Internet, la Commission renvoie curieusement aux applications nationales en prévoyant que « Les États membres peuvent imposer des conditions (...) pour le commerce par Internet ». Les spécificités nationales vont évidemment jouer à fond, notamment entre les États qui imposent de délivrer des médicaments sur ordonnance et ceux qui ont des ventes libres.

Ainsi, par cette proposition de règlement, la Commission fait un pas en avant vers l'harmonisation des pratiques entre États membres. Mais en proposant cette rédaction sur la vente par Internet, elle fait un pas en arrière en autorisant des différences entre États membres.

En troisième lieu, on peut s'inquiéter de l'absence de cohérence entre la rigueur du régime vétérinaire et un certain laxisme concernant le contrôle des importations de produits animaux.

C'est un reproche couramment entendu à l'encontre de la réglementation européenne et des initiatives de la Commission. L'Union européenne se dote d'un dispositif sécurisé, multiplie les exigences à l'égard de ses producteurs et éleveurs, mais ouvre largement ses frontières à des pays qui n'ont pas les mêmes exigences.

Cette interrogation, rituelle, trouve là encore une occasion de s'exprimer.

Certains pays tiers font un usage très large des médicaments et additifs alimentaires.

Le cas le plus connu et le plus emblématique est celui des hormones de croissance, destinées à accroître le poids des animaux. Cette pratique est interdite en Europe et les importations de ces viandes sont également interdites. Mais s'agissant des médicaments proprement dits et en particulier des antibiotiques, il existe aussi de grandes différences dans les pratiques mondiales. Certains pays ne se privent pas d'utiliser les antibiotiques à grande échelle, à des fins préventives.

Ce décalage entre pratiques nationales est de nature à entraîner des distorsions de concurrence.

Car lorsqu'un animal sera importé, aucun contrôle ne permettra de déterminer s'il aura été élevé avec des aliments médicamenteux comportant des antibiotiques utilisés en traitement préventif, alors que la pratique sera prohibée dans l'Union européenne.

Le décalage, patent, entre le régime interne imposé aux éleveurs notamment concernant les médicaments vétérinaires et le régime appliqué aux importations des denrées alimentaires est très embarrassant.

Enfin, il faut aussi s'inquiéter du recul du contrôle des États membres.

La procédure d'autorisation de mise sur le marché des médicaments suit un parcours complexe d'expertises et d'évaluations. Mais les procédures actuelles laissent une large place aux États membres, à la fois dans l'évaluation des médicaments et dans leur faculté d'opposition. Ces facultés seraient singulièrement réduites dans le cas de la proposition de règlement sur les médicaments vétérinaires qui ne parait pas satisfaisante et apparaît même inacceptable.

- Le « réexamen par le groupe de coordination » des États membres - composé des vétérinaires désignés par les États - intervient lors de la phase d'élaboration du rapport d'évaluation, préalable à l'autorisation de mise sur le marché.

La proposition prévoit que, lorsque qu'un État n'est pas d'accord avec le rapport d'évaluation, le réexamen est possible mais serait adopté à la majorité simple. Un choix à la fois contraire à une tradition constante et contestable puisque tous les États auraient le même poids, qu'il s'agisse de grands pays d'élevage ou de pays sans élevage.

Cette disposition n'est pas acceptable.

- Le « réexamen scientifique » intervient cette fois, après l'adoption du rapport d'évaluation.

La proposition de règlement prévoit que cette demande de réexamen par l'Agence européenne est seulement ouverte au « demandeur », c'est-à-dire à l'industriel fabricant, et non à l'État membre.

Cette disposition n'est pas acceptable.

Compte tenu de ces observations, j'ai été amenée à vous proposer une proposition de résolution européenne.

J'ajoute que sur les recommandations de notre président, je vous propose une résolution sous une forme un peu inhabituelle puisqu'elle ne se contente pas d'un positionnement politique mais, va jusqu'à suggérer des modifications rédactionnelles de certains articles. C'est, sans doute, une voie à explorer.

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