Intervention de Phil Hogan

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 octobre 2015 à 10h10
Agriculture et pêche — Audition conjointe avec la commission des affaires économiques de M. Phil Hogan commissaire européen à l'agriculture

Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural :

Merci infiniment de votre invitation. Les problèmes que vous avez évoqués sont au coeur des dernières discussions : aucun commissaire n'allouerait 500 millions d'euros d'argent du contribuable s'il n'avait pas compris l'importance de la crise. J'ai eu un échange franc, sain, utile avec le ministre Le Foll, avec qui je ne suis pas d'accord sur tout. La France a eu un rôle essentiel dans la définition de la PAC. Je partage son idée que les exploitations familiales sont la pierre angulaire de l'agriculture, et que cette dernière apporte une contribution importante au bien-être des pays, ainsi qu'à la reprise économique de l'Union européenne.

L'aide de 500 millions d'euros, dans une période où les crédits sont des ressources rares, montre bien que conformément à sa tradition, la Commission européenne, selon les mots de M. Juncker, est un « défenseur résolu de la PAC ». Lors de mon entrée en fonction il y a douze mois, lorsque nous avons discuté des manières de limiter l'impact de l'embargo russe, je me suis opposé à la tentation d'utiliser la réserve de crise, soit l'argent des agriculteurs eux-mêmes, ce qui leur a économisé 433 millions d'euros. J'ai introduit des aides au stockage privé pour la viande porcine pour 150 millions. Nous avons dégagé 500 millions d'aides dès les premiers signes de difficultés sur les marchés émergents, et 420 millions d'euros supplémentaires pourront être mobilisés en mesures ciblées, soit près d'1 milliard d'euros en tout, en plus des 42 milliards d'aides directes. À ces grands défis économiques et sociaux, il faut des réponses robustes.

Nous avons consacré 420 millions à des aides au soutien de la trésorerie des exploitations et nous avons confié la distribution de cette aide aux États membres, plus à même de connaître la situation particulière de leurs agriculteurs. La France bénéficiera ainsi de 63 millions, qu'elle pourra compléter du même montant sur ses crédits propres.

Face à une crise internationale, où le ralentissement du marché chinois touche aussi la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Amérique du Nord (et pas seulement leurs productions laitières) nous avons proposé une aide au stockage privé plus que doublée, avec une période de stockage d'un an. Cela retire des produits du marché et contribue à améliorer la trésorerie des agriculteurs. La tendance à la hausse des prix à l'international en fait une mesure profitable pour tous.

Il faut expliquer aux agriculteurs que la majorité des États membres n'a pas opté pour une hausse du prix d'intervention, qui crée un débouché artificiel. Pour la viande porcine, les prix ont baissé depuis le début de l'embargo russe ; nous voulons élargir au lard le système de stockage privé. Des quantités importantes de fromage bénéficieront du système. Je suis aussi engagé en faveur de la haute qualité des produits européens : le 1er décembre, une nouvelle politique promotionnelle sera mise en place, avec un budget qui passe de 80 à 110 millions d'euros.

Je comprends vos préoccupations. La Commission a réagi très vite en 2014 avec son aide sur les fruits et légumes, que j'ai décidé de renouveler. Je m'attache aussi à ouvrir des possibilités sur les marchés tiers et recevrai ainsi différentes délégations. J'agis conformément à la politique fixée en 2014 par le Conseil des ministres et le Parlement européen. J'utiliserai tous les instruments à ma disposition.

Selon les dernières statistiques, les exportations agricoles sont en hausse. La France a exporté 21 milliards d'euros de produits agro-alimentaires vers les pays tiers, soit un tiers de ses exportations agricoles. L'agroalimentaire a produit un excédent commercial de 12 milliards. Il est préoccupant que les agriculteurs aient à subir un embargo injuste. Mon collègue Vytenis Andriukaitis fait tout son possible pour y remédier. Nous espérons cependant un changement d'attitude côté russe dans les mois qui viennent.

Nous préparons actuellement un instrument permettant de distribuer des produits laitiers aux réfugiés pour un coût de 30 millions d'euros, mesure exceptionnelle plus que justifiée.

Des propos que la presse m'a attribués ont fait planer le doute sur mon engagement. Ce que j'ai dit, c'est que si vous vendez en dessous de votre coût de production, vous aurez des problèmes sur le marché. Nous travaillons bien sûr sur les prix, mais aussi sur le coût des produits entrants, qui varient d'un pays à l'autre mais aussi d'une région à l'autre. Depuis 2014, le taux de marge de la production laitière a diminué à cause de la baisse des prix, mais devrait augmenter en 2015.

La PAC est orientée vers les marchés, mais aussi vers l'environnement, les aspects sociaux et le patrimoine culturel européen. C'est pourquoi le contribuable européen consacre à cette politique 42 milliards d'euros par an sous la forme d'aides directes, sur lesquels 7,5 milliards ont été reçus par les agriculteurs français. Pour que les agriculteurs ne vendent pas en dessous du coût de production, nous devons renforcer leur position dans la chaîne alimentaire, renforcer le dialogue entre tous les acteurs, comme c'est déjà le cas en Espagne et au Royaume-Uni, où certains supermarchés ont d'ores et déjà augmenté le prix du lait. Le ministre français est dans cette optique ; le président Juncker a reconnu dans son discours sur l'état de l'Union qu'il s'agissait d'une priorité, sur laquelle je travaille avec les commissaires à la concurrence et au marché intérieur, Mmes Vestager et Bienkowska. Le président Juncker a demandé aux États membres de regarder de plus près les structures du marché, en particulier le commerce de détail. La Commission étudiera avec attention leurs propositions qui pourront se traduire dans la législation. Je me félicite que la France travaille sur les relations contractuelles et j'attends les résultats de ces réflexions.

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques ou Fonds Juncker a pour but de soutenir les investissements de petites entreprises et pourra relancer des activités de tourisme rural et d'agriculture biologique. Il faudra attirer des investisseurs privés par un système financier adéquat. Le comité de pilotage du fonds compte parmi ses membres le vice-président de la Banque européenne d'investissement qui est très attentif aux questions agricoles.

Nous exportons pour 122 milliards d'euros de produits agro-alimentaires, et importons pour 104 milliards, belle performance en dépit de l'embargo russe. La France est le leader pour l'exportation de beurre, de poudre de lait écrémé et de poudre de lactosérum. Elle contribue aussi à l'excédent grâce à ses produits de qualité. L'agroalimentaire représente beaucoup d'emplois en Europe. Les produits français sont très connus et pourraient l'être davantage. Des négociations sont en cours avec le Japon, le Vietnam et le Mexique. Je serai proactif dans les négociations avec les États-Unis pour protéger les produits de grande qualité, en particulier ceux dont l'origine est protégée. Je crois en un accord bénéfique pour les agriculteurs et la société dans son ensemble ; je n'accepterai l'accord final que s'il est équilibré.

La PAC est trop compliquée ; c'est pourquoi j'ai mis la simplification au coeur de mon action, pour que les agriculteurs puissent développer tout leur potentiel sans le fardeau de procédures trop lourdes. Je souhaite travailler sur le verdissement et le développement rural, la flexibilité et les objectifs écologiques. J'espère vous présenter bientôt des mesures applicables dès 2016.

Je veux que les jeunes européens considèrent l'agriculture comme une carrière convenable. Les jeunes agriculteurs rencontrent des problèmes dans l'accès aux terres et au crédit, à quoi s'ajoute le frein que représente l'attrait de la vie citadine. Seuls 6 % des agriculteurs ont moins de 35 ans en Europe. La France fait beaucoup dans ce domaine, au profit de 7,5 % des agriculteurs. Nous travaillons sur des instruments financiers dans un domaine où les régions françaises sont à la pointe, comme le Languedoc-Roussillon. La Banque européenne d'investissement (BEI) travaille ainsi avec des banques comme le Crédit agricole, qui finance les installations pour 200 millions d'euros.

Les Français ont joué un rôle très important dans la création et le développement de la PAC. N'oublions pas sa mission historique : assurer aux citoyens européens une alimentation de qualité sûre, produite de manière durable, tout en garantissant un niveau de vie suffisant pour les agriculteurs. Ces principes ne doivent pas être balayés. La fourniture d'une nourriture de haute qualité et traçable est un bien commun dont dépendent les 47 millions d'emplois liés à l'agriculture dans l'Union européenne. L'agriculture nourrit le monde ; nous devons faire en sorte qu'elle prospère au XXIème siècle.

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