Commission des affaires européennes

Réunion du 8 octobre 2015 à 10h10

Résumé de la réunion

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  • PAC

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je suis très heureux de vous recevoir, monsieur le Commissaire. Votre venue s'inscrit dans le prolongement des travaux lancés par le président Larcher avant l'été, pour faire face à la crise qui suscite une forte mobilisation du monde agricole. Nous avons écrit à Jean-Claude Juncker, tenu plusieurs réunions élargies aux producteurs, aux transformateurs et aux distributeurs, afin de préparer des solutions y compris législatives. Nous souhaitons porter à votre connaissance des questions que les agriculteurs se posent, et recueillir vos observations. Ce matin, lors de l'entretien que vous avez eu avec Gérard Larcher, vous avez tenu des propos qui laissent à penser que ces rencontres sont non seulement utiles, mais peuvent être extrêmement fructueuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Dans cette conjoncture très difficile, où les agriculteurs se plaignent d'être soumis à toujours plus de contingences environnementales ou sanitaires, nous sommes heureux de vous recevoir afin de savoir si Bruxelles a bien pris la mesure du problème. Nous avons pourtant des motifs de satisfaction : après la manifestation du 3 septembre, les Français ont montré qu'ils étaient derrière les agriculteurs ; nous savons que l'Europe ne les abandonnera pas, dans cette période de mutation comme il y en a eu auparavant.

Comme nous l'avions déjà fait remarquer à votre prédécesseur, M. Ciolo°, des distorsions de concurrence peuvent résulter d'un respect variable de la réglementation. En France, nous avons malheureusement l'habitude de sur-transposer. Les autorités russes semblent prêtes à lever leur embargo sanitaire sur le porc dans les pays indemnes, France, Espagne, Danemark, comme l'ambassadeur M. Orlov et son conseiller agricole nous l'ont indiqué. Même si votre logique est de raisonner à 28, ne serait-il pas pertinent d'accepter cette levée partielle, afin d'assouplir le marché ? Le plan d'aide de 500 millions d'euros a constitué sans conteste une bouffée d'oxygène, avec une quote-part nationale de 63 millions : quelle ventilation allez-vous recommander ?

Le secteur agricole est-il éligible au plan Juncker ? Le texte du règlement ne contient aucune mention de l'agriculture. Selon le président du syndicat agricole majoritaire, 3 milliards d'euros seraient pourtant nécessaires à la modernisation de l'ensemble des filières agricoles. Le Conseil agriculture du 7 septembre a prévu une distribution de lait aux réfugiés ; la Commission montrerait ainsi au grand jour son humanisme dans une approche à l'américaine - je pense au Food stamp program - qui a une autre vertu, assouplir les marchés, comme une restitution du XXIème siècle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Les mots ont leur importance. La France est persuadée de connaître une crise profonde qui va au-delà d'une crise conjoncturelle, et qui nécessite une politique énergique. Mais pour ce faire nous avons besoin d'aide. Cette crise survient dans une conjoncture particulière, celle des négociations transatlantiques, qui se déroulent dans de très mauvaises conditions, marquées par une grande opacité côté américain. Nous risquons d'être perdants en raison de notre fragilité. Jusqu'où l'Union européenne peut-elle aller dans la flexibilité ? Est-il possible de tenir compte des particularités locales, des modèles spécifiques hérités de l'histoire, qui ne doivent pas pour autant être figés ? Quid du droit de la concurrence devant les oligopoles ? Quels mécanismes financiers l'Union européenne est-elle prête à mettre en oeuvre pour moderniser et améliorer la compétitivité du système français ?

Debut de section - Permalien
Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

Merci infiniment de votre invitation. Les problèmes que vous avez évoqués sont au coeur des dernières discussions : aucun commissaire n'allouerait 500 millions d'euros d'argent du contribuable s'il n'avait pas compris l'importance de la crise. J'ai eu un échange franc, sain, utile avec le ministre Le Foll, avec qui je ne suis pas d'accord sur tout. La France a eu un rôle essentiel dans la définition de la PAC. Je partage son idée que les exploitations familiales sont la pierre angulaire de l'agriculture, et que cette dernière apporte une contribution importante au bien-être des pays, ainsi qu'à la reprise économique de l'Union européenne.

L'aide de 500 millions d'euros, dans une période où les crédits sont des ressources rares, montre bien que conformément à sa tradition, la Commission européenne, selon les mots de M. Juncker, est un « défenseur résolu de la PAC ». Lors de mon entrée en fonction il y a douze mois, lorsque nous avons discuté des manières de limiter l'impact de l'embargo russe, je me suis opposé à la tentation d'utiliser la réserve de crise, soit l'argent des agriculteurs eux-mêmes, ce qui leur a économisé 433 millions d'euros. J'ai introduit des aides au stockage privé pour la viande porcine pour 150 millions. Nous avons dégagé 500 millions d'aides dès les premiers signes de difficultés sur les marchés émergents, et 420 millions d'euros supplémentaires pourront être mobilisés en mesures ciblées, soit près d'1 milliard d'euros en tout, en plus des 42 milliards d'aides directes. À ces grands défis économiques et sociaux, il faut des réponses robustes.

Nous avons consacré 420 millions à des aides au soutien de la trésorerie des exploitations et nous avons confié la distribution de cette aide aux États membres, plus à même de connaître la situation particulière de leurs agriculteurs. La France bénéficiera ainsi de 63 millions, qu'elle pourra compléter du même montant sur ses crédits propres.

Face à une crise internationale, où le ralentissement du marché chinois touche aussi la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Amérique du Nord (et pas seulement leurs productions laitières) nous avons proposé une aide au stockage privé plus que doublée, avec une période de stockage d'un an. Cela retire des produits du marché et contribue à améliorer la trésorerie des agriculteurs. La tendance à la hausse des prix à l'international en fait une mesure profitable pour tous.

Il faut expliquer aux agriculteurs que la majorité des États membres n'a pas opté pour une hausse du prix d'intervention, qui crée un débouché artificiel. Pour la viande porcine, les prix ont baissé depuis le début de l'embargo russe ; nous voulons élargir au lard le système de stockage privé. Des quantités importantes de fromage bénéficieront du système. Je suis aussi engagé en faveur de la haute qualité des produits européens : le 1er décembre, une nouvelle politique promotionnelle sera mise en place, avec un budget qui passe de 80 à 110 millions d'euros.

Je comprends vos préoccupations. La Commission a réagi très vite en 2014 avec son aide sur les fruits et légumes, que j'ai décidé de renouveler. Je m'attache aussi à ouvrir des possibilités sur les marchés tiers et recevrai ainsi différentes délégations. J'agis conformément à la politique fixée en 2014 par le Conseil des ministres et le Parlement européen. J'utiliserai tous les instruments à ma disposition.

Selon les dernières statistiques, les exportations agricoles sont en hausse. La France a exporté 21 milliards d'euros de produits agro-alimentaires vers les pays tiers, soit un tiers de ses exportations agricoles. L'agroalimentaire a produit un excédent commercial de 12 milliards. Il est préoccupant que les agriculteurs aient à subir un embargo injuste. Mon collègue Vytenis Andriukaitis fait tout son possible pour y remédier. Nous espérons cependant un changement d'attitude côté russe dans les mois qui viennent.

Nous préparons actuellement un instrument permettant de distribuer des produits laitiers aux réfugiés pour un coût de 30 millions d'euros, mesure exceptionnelle plus que justifiée.

Des propos que la presse m'a attribués ont fait planer le doute sur mon engagement. Ce que j'ai dit, c'est que si vous vendez en dessous de votre coût de production, vous aurez des problèmes sur le marché. Nous travaillons bien sûr sur les prix, mais aussi sur le coût des produits entrants, qui varient d'un pays à l'autre mais aussi d'une région à l'autre. Depuis 2014, le taux de marge de la production laitière a diminué à cause de la baisse des prix, mais devrait augmenter en 2015.

La PAC est orientée vers les marchés, mais aussi vers l'environnement, les aspects sociaux et le patrimoine culturel européen. C'est pourquoi le contribuable européen consacre à cette politique 42 milliards d'euros par an sous la forme d'aides directes, sur lesquels 7,5 milliards ont été reçus par les agriculteurs français. Pour que les agriculteurs ne vendent pas en dessous du coût de production, nous devons renforcer leur position dans la chaîne alimentaire, renforcer le dialogue entre tous les acteurs, comme c'est déjà le cas en Espagne et au Royaume-Uni, où certains supermarchés ont d'ores et déjà augmenté le prix du lait. Le ministre français est dans cette optique ; le président Juncker a reconnu dans son discours sur l'état de l'Union qu'il s'agissait d'une priorité, sur laquelle je travaille avec les commissaires à la concurrence et au marché intérieur, Mmes Vestager et Bienkowska. Le président Juncker a demandé aux États membres de regarder de plus près les structures du marché, en particulier le commerce de détail. La Commission étudiera avec attention leurs propositions qui pourront se traduire dans la législation. Je me félicite que la France travaille sur les relations contractuelles et j'attends les résultats de ces réflexions.

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques ou Fonds Juncker a pour but de soutenir les investissements de petites entreprises et pourra relancer des activités de tourisme rural et d'agriculture biologique. Il faudra attirer des investisseurs privés par un système financier adéquat. Le comité de pilotage du fonds compte parmi ses membres le vice-président de la Banque européenne d'investissement qui est très attentif aux questions agricoles.

Nous exportons pour 122 milliards d'euros de produits agro-alimentaires, et importons pour 104 milliards, belle performance en dépit de l'embargo russe. La France est le leader pour l'exportation de beurre, de poudre de lait écrémé et de poudre de lactosérum. Elle contribue aussi à l'excédent grâce à ses produits de qualité. L'agroalimentaire représente beaucoup d'emplois en Europe. Les produits français sont très connus et pourraient l'être davantage. Des négociations sont en cours avec le Japon, le Vietnam et le Mexique. Je serai proactif dans les négociations avec les États-Unis pour protéger les produits de grande qualité, en particulier ceux dont l'origine est protégée. Je crois en un accord bénéfique pour les agriculteurs et la société dans son ensemble ; je n'accepterai l'accord final que s'il est équilibré.

La PAC est trop compliquée ; c'est pourquoi j'ai mis la simplification au coeur de mon action, pour que les agriculteurs puissent développer tout leur potentiel sans le fardeau de procédures trop lourdes. Je souhaite travailler sur le verdissement et le développement rural, la flexibilité et les objectifs écologiques. J'espère vous présenter bientôt des mesures applicables dès 2016.

Je veux que les jeunes européens considèrent l'agriculture comme une carrière convenable. Les jeunes agriculteurs rencontrent des problèmes dans l'accès aux terres et au crédit, à quoi s'ajoute le frein que représente l'attrait de la vie citadine. Seuls 6 % des agriculteurs ont moins de 35 ans en Europe. La France fait beaucoup dans ce domaine, au profit de 7,5 % des agriculteurs. Nous travaillons sur des instruments financiers dans un domaine où les régions françaises sont à la pointe, comme le Languedoc-Roussillon. La Banque européenne d'investissement (BEI) travaille ainsi avec des banques comme le Crédit agricole, qui finance les installations pour 200 millions d'euros.

Les Français ont joué un rôle très important dans la création et le développement de la PAC. N'oublions pas sa mission historique : assurer aux citoyens européens une alimentation de qualité sûre, produite de manière durable, tout en garantissant un niveau de vie suffisant pour les agriculteurs. Ces principes ne doivent pas être balayés. La fourniture d'une nourriture de haute qualité et traçable est un bien commun dont dépendent les 47 millions d'emplois liés à l'agriculture dans l'Union européenne. L'agriculture nourrit le monde ; nous devons faire en sorte qu'elle prospère au XXIème siècle.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Merci d'accepter d'échanger avec nous. Les agriculteurs sont un peu perdus dans la dérive de l'Union européenne vers une gestion administrative tatillonne. Sur les surfaces d'intérêt écologique, demander le détail des parcelles est excessif. L'identification des animaux pour la traçabilité des bovins ou ovins aussi. Si nous en croyons les interprétations des juristes, un bovin non bouclé n'a plus à être sur la chaîne alimentaire ! Il me semble préférable d'appliquer une obligation de résultat : l'agriculteur doit être capable de déterminer le père et la mère de l'animal, et non l'envoyer à l'équarrissage s'il a arraché sa boucle. La France a des surfaces de prairie importantes. Considérer qu'il s'agit d'une prairie naturelle si elle existe depuis plus de cinq ans est excessif : la luzerne, le dactyle peuvent perdurer pendant dix ans, c'est bon pour l'agriculture et c'est bon pour la planète !

Je ne pleure pas sur la fin des quotas laitiers ; mais nous devons reconnaître que cette régulation des cours a été abandonnée sans anticipation de la suite... Vous ne voulez pas augmenter le prix d'intervention ; mais aujourd'hui, le prix de marché du lait ne permet pas à un homme ou à une femme de vivre de son travail. Or l'article 34 du traité de Rome grave dans le marbre l'objectif de « garantir un revenu équitable aux agriculteurs ». Sans vouloir revenir aux anciens schémas - produire pour stocker - je constate une absence d'anticipation.

Je ne suis pas d'accord avec vous sur l'embargo russe. Les agriculteurs ont été piégés par une situation qui dure, et que vous ne pouvez pas gérer de manière provisoire.

Les quotas betteraviers seront abandonnés en 2017 ; que pensez-vous du régime dérogatoire envisagé ? La France a su jusqu'à présent garder sa performance économique en même temps qu'une grande diversité de races animales. Pourrons-nous y parvenir longtemps ? Prendrez-vous des initiatives à ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Quid du refus d'apurement des comptes de la PAC ? La Commission a jugé insuffisante la précision géographique appliquée par la France, qui devra ainsi payer 1 milliard d'euros au titre du refus d'apurement. N'est-ce pas exagéré de demander une précision militaire à 50 centimètres près, pour une Commission qui s'engage pour la simplification ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

La confiance du consommateur est fondamentale ; il serait donc utile de renforcer les exigences de traçabilité des produits, aussi pour résoudre des problèmes de concurrence déloyale. Je note votre volonté de simplification de la PAC et des normes : les agriculteurs croulent sous la paperasse. L'Europe souffre d'une technocratie pointilleuse et les citoyens européens ne savent pas toujours que la Commission a un rôle de proposition, non de décision.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Dans un rapport du 30 septembre dernier, l'ONG Genetic Ressources Action International (Grain) dénonce la mainmise de l'agro-business et des producteurs d'engrais dans la promotion de « l'agriculture intelligente », que vous défendez, alors qu'elle représente un défi, voire un facteur potentiel d'aggravation du changement climatique. Le méthane et l'oxyde d'azote issus des engrais et de l'élevage produisent un effet de serre bien plus grave que le CO2. Une lettre ouverte de 355 ONG du 21 septembre dernier a exprimé cette préoccupation. Le semencier controversé Monsanto prône lui aussi une agriculture intelligente, mais quels sont les contours de ce concept ? Quelle est sa cohérence avec les objectifs européens pour la COP21 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Nous avons entendu votre conception d'une PAC idéale. Nous pouvons constater une détresse profonde des paysans, des producteurs, qui se traduit par un taux de suicide important. Ils sont très investis dans leurs exploitations et doivent vendre à perte. Nous sénateurs, parlementaires de terrain, devons vous dire ce qu'ils vivent. Dans les jours, les mois qui viennent, nous pourrions perdre des milliers d'exploitations. C'est l'indépendance alimentaire qui est en jeu. La PAC doit prendre en compte ses objectifs, mais aussi la situation actuelle. La hausse des prix du lait serait un secours immédiat. Laisser faire le marché est-il possible ?

Les distorsions de concurrence provoquées à nos frontières par des travailleurs détachés qui ne sont pas régis par les mêmes conditions fiscales et sociales que les Français posent un problème à l'agriculture. L'Europe compte-elle agir pour une concurrence plus loyale, voire une harmonisation ? Le traité transatlantique porte en germe des dangers pour l'agriculture européenne ; êtes-vous prêts à défendre l'intérêt européen ? Le droit européen l'emportera-t-il sur l'arbitrage, qui a déjà prévalu dans d'autres traités ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Merci de votre clarté, monsieur le Commissaire, ainsi que pour vos engagements en faveur de la défense de l'agriculture familiale et des jeunes agriculteurs. Les revenus des producteurs laitiers sont un sujet majeur en France. De nombreux agriculteurs en Bretagne me disent que leur courant de pensée n'était pas très favorable aux quotas il y a quelques années, mais que leur point de vue a changé devant les effets pervers de leur suppression, qui les ont rendus partisans de la régulation. Les mesures prises - je songe au stockage - sont conjoncturelles. La hausse des prix d'intervention n'a pas été retenue : est-ce parce qu'elle aurait coûté trop cher ? Certains producteurs pensent que les raisons de principe l'ont emporté, le modèle libéral s'accommodant difficilement d'une telle option.

Stéphane Le Foll est à Moscou aujourd'hui. Depuis février 2014, l'embargo semble avoir suscité chez les Russes une ambition d'installer une production porcine menant à l'autosuffisance. Recherchez-vous des débouchés alternatifs ? Cela serait indispensable pour préserver un prix suffisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je suis sans doute minoritaire ici, mais je défends, comme une partie de l'opinion publique, une agriculture familiale et paysanne, qui représente 50 % des emplois dans le monde. La fuite en avant de l'agriculture industrielle met à mal les économies du Sud. Les accords de partenariat avec l'Afrique de l'Ouest provoquent une concurrence déloyale entre nos produits subventionnés et la production des éleveurs locaux, sans compter les barrière non tarifaires que représentent nos normes. Nous mettons en péril l'agriculture africaine ! Quant au traité transatlantique, il permettra aussi un gigantesque dumping.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Vous comprenez les agriculteurs dans leur diversité, tant mieux. Je ne regrette pas les quotas, ni les systèmes d'intervention antérieurs, qui étaient excessifs ; mais le peu qui reste de régulation n'est-il pas, à l'inverse, notoirement insuffisant ? Vous parlez de mesures sur le fromage et le gras. Ne pourrait-on pas imaginer un système intermédiaire de régulation, en particulier sur le lait ? Les discussions avec les transformateurs et les distributeurs sont utiles, mais ne suffisent pas, car ils ne font pas le prix international. Vous dites qu'il aurait été mauvais d'augmenter le prix d'intervention ; or, dans le règlement OCM, il est écrit que ce prix est déterminé en tenant compte de critères objectifs, coûts de production, prix de marché,... Dès lors que le prix actuel est en dessous du coût de production, la Commission est-elle susceptible de changer d'avis ? Ou bien s'agit-il d'une position de principe - auquel cas, autant dire tout de suite que le règlement ne sert à rien !

Vous avez souligné l'importance du développement rural. Avez-vous des précisions sur le calendrier des mesures que vous annoncez : arriveront-elles avant la fin de l'année ?

Le monde de l'élevage doit faire face à une maladie, la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou maladie de la langue bleue, jadis exotique, aujourd'hui, hélas, banale. Or elle est classée parmi les maladies réglementées, ce qui implique des procédures très rigoureuses et des conséquences très négatives. Compte tenu des risques sanitaires limités - la viande est parfaitement consommable et la maladie ne se transmet pas à l'homme -, ne pourrait-on pas la déclasser en simple maladie animale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Concernant les quotas betteraviers, deux directions de la Commission semblent avoir des interprétations différentes et gagneraient à s'entendre : l'une considère que la négociation doit avoir lieu au niveau de petits groupes de planteurs de betteraves et d'une sucrerie, quand l'autre considère qu'elle doit être faite entre des représentants globaux des deux acteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Les agriculteurs et les éleveurs sont des entrepreneurs soumis aux aléas climatiques, au risque d'épizooties animales... Peut-on envisager des cofinancements entre l'Union européenne et les États membres ? Une assurance récolte, une assurance revenus, une assurance épizootie animale seraient fort utiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Vous avez évoqué la révision de la PAC à mi-parcours en 2016, ainsi que la simplification. Est-ce à dire que vous comptez aller plus loin dans la simplification à l'occasion du rendez-vous de l'an prochain ? Peut-on espérer que la PAC intègre bientôt une connotation assurantielle, plus que redistributive ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Les programmes européens de développement rural dépassent la simple problématique agricole. Que pouvez-vous nous dire des intentions de la Commission européenne pour soutenir les stratégies de nos territoires ruraux ?

Debut de section - Permalien
Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

Selon vous, les agriculteurs seraient un peu perdus. Je ne le crois pas ! Ils ont des problèmes, oui, et ils les gèrent intelligemment. Il y a eu dans la période récente pour les producteurs de lait deux bonnes années durant lesquelles on ne les a pas entendus. Aujourd'hui ils s'expriment, je les comprends. La cause des difficultés, cependant, n'est pas à chercher dans la politique mise en place au 1er janvier 2015. Les exploitants ont produit 5 % de lait en plus en 2014 - pas la France, qui a bien tenu son marché, mais d'autres pays...

Debut de section - Permalien
Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

La décision de supprimer les quotas a été prise en 1998, confirmée en 2003, comme en 2008 sous présidence française, puis à nouveau lors de la réforme de la PAC en 2013. Je mets en oeuvre les politiques décidées par le Conseil et le Parlement...

Le filet de sécurité, ce sont les 42 milliards d'euros versés chaque année aux agriculteurs en aides directes ; et les 3 centimes par litre en compensation de l'abandon du recours au prix d'intervention, ainsi que décidé il y a cinq ans. Ne faudrait-il pas rendre les 3 centimes, si l'on décidait de relever le prix d'intervention ? À cela s'ajoutent les 820 millions d'euros attribués aux États membres - charge à eux de les répartir comme ils le souhaitent - via le fonds de gestion rurale.

Cela ne m'empêche pas de négocier avec la BEI pour modifier les programmes de développement rural, dégager des crédits supplémentaires à des taux plus intéressants, restructurer les marchés laitiers, améliorer le marketing et le verdissement. J'espère parvenir à des accords d'ici le printemps 2016, afin de donner aux agriculteurs plus de visibilité sur la durée et le coût des prêts ainsi que sur la volatilité des prix.

L'embargo est une décision politique. Qui a décidé d'entrer en Ukraine ? Pas moi, mais M. Poutine ! Nous, Européens, avons choisi la solidarité avec l'Ukraine. Je soutiens depuis le premier jour l'idée d'aides pour les fruits et légumes et j'ai organisé les conditions du stockage privé pour la viande porcine, je l'ai dit. Cela ne s'est hélas pas encore traduit par une augmentation des prix, mais un nouveau programme est prêt. Une telle mesure a l'avantage de l'immédiateté, contrairement aux décisions du Conseil des ministres. J'ai travaillé aussi sur les aides à la trésorerie, l'abondement des aides ciblées.

Un groupe de travail sur la betterave a été constitué, réunissant des représentants des États membres concernés, pour anticiper les problèmes qui apparaîtront lorsque les quotas seront supprimés : nous visons un atterrissage en douceur.

M. Bizet me pose une question technique sur la viande bovine : j'étudierai comment pourraient être modifiés les textes pour prendre en compte sa préoccupation.

Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : jamais je n'ai prétendu que le mécanisme du prix d'intervention était plus coûteux que d'autres mesures. J'affirme, en revanche, que ses conséquences économiques sont lourdes pour les fermiers eux-mêmes. L'aide au stockage privé, qui allègera le marché de 200 000 tonnes l'an prochain, me paraît plus utile.

S'il n'y a pas de soutien, au sein du conseil des ministres, aux mesures que vous proposez, je n'y peux rien ! Je suis bien obligé de prendre en compte le rapport des forces qui s'y dégage.

Il m'est difficile d'entendre que la situation actuelle menace 20 % des producteurs de lait : pour la France, 63 millions d'euros ont été débloqués, que votre gouvernement peut abonder à concurrence du même montant. En 2009-2010, nous avons connu une crise du lait : le prix de revient au litre était alors de 28,7 centimes en France, et le nombre de producteurs a reculé de 5,9 %, pas de 20 %. En 2013-2014, malgré un prix record de 36,4 centimes, vous avez perdu 3,7 % de vos producteurs. D'autres facteurs sont en jeu, par exemple les départs à la retraite. Du reste, c'est moins le prix moyen pour la France qu'il faut considérer, que le prix dans chaque région, car il varie entre 20 et 30 centimes. En Normandie, il est de 22 centimes. C'est pourquoi nous avons voulu plus de flexibilité, afin que les États membres tiennent compte de la diversité des situations.

S'agissant des pénalités de 1,1 milliard d'euros au titre du refus d'apurement, la seule marge de manoeuvre dont je disposais était le rééchelonnement, pour la France comme pour les autres pays sanctionnés.

La simplification est ma grande priorité, car tout le monde se plaint de la bureaucratie et je partage ces critiques. Il me tient à coeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l'argent des contribuables. Je ferai une annonce à ce sujet prochainement.

Je ne crois pas être naïf sur le traité transatlantique. Je remarque que l'Union européenne n'est pas toujours considérée comme un partenaire égal par les États-Unis, or, l'Europe n'est pas l'un de leurs territoires périphériques... Nous entendons être respectés. Je participe aux négociations puisque l'agriculture en est une partie importante. Des avancées ont été marquées ces derniers jours. Toute notre attention vise à protéger les standards alimentaires, environnementaux, etc.

Quant à la sécurité alimentaire, l'important est de décider quels sont nos objectifs, sachant que la population mondiale va augmenter de 30 % en quarante ans. Pour nourrir tout le monde durablement, il faut se préoccuper dès aujourd'hui des ressources en eau, de la fertilité des sols, des manières de produire plus avec moins. J'ai été ministre de l'environnement, je suis bien au fait de ces enjeux.

L'agriculture intelligente exigera une pratique génomique dans l'élevage bovin, pour réduire les émissions de CO2 des animaux. Le marché l'exigera, que cela plaise ou non aux éleveurs.

La forêt est-elle partie intégrante de l'agriculture, ou en est-elle séparée ? Ce point n'a pas encore été réglé au sein de la Commission, il faut l'avouer.

Je veux dire également à M. Bourquin que nous mettons à disposition des régions qui souffrent tous les outils dont nous disposons, et que nous leur portons une grande attention. Tout programme de développement rural peut être modifié rapidement - chaque année. Ceux concernant la France seront terminés fin novembre, ils prennent en compte la biodiversité, la bioéconomie, et je précise que 50 % des fonds seront consacrés aux investissements hors exploitations : les sommes iront donc aux communautés rurales.

Vous dites que les paysans que vous rencontrez sont inquiets ; je les rencontre moi aussi ! Je ne peux laisser dire que nous perdons des millions d'exploitations, quand l'Union européenne verse 300 euros par vache aux éleveurs. « Faire plus » demandent certains : mais que faire de plus ?

Sur la main d'oeuvre et la mobilité, nous travaillons avec les Allemands, et Marianne Thyssen, la Commissaire européenne en charge de l'emploi, aura des choses à vous dire prochainement.

La France était hostile aux quotas laitiers il y a trente ans. Aujourd'hui elle est pour. Je relève une certaine incohérence. Certes, tout le monde a le droit de changer d'avis... En ce qui me concerne, je défends un modèle d'exploitation familiale et mes efforts visent à trouver des marchés de substitution, car tout million d'euros d'exportations supplémentaires se traduit par des emplois supplémentaires dans les fermes.

Enfin, un groupe de travail a été constitué pour étudier les aspects financiers des marchés agricoles. Il formulera ses propositions d'ici un an.

La fièvre catarrhale ovine n'entre pas dans mes attributions. Je ne puis donc guère vous apporter de réponse...

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Nous vous demandons une réponse, mais surtout, une réponse satisfaisante !

Debut de section - Permalien
Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural

Je transmettrai à qui de droit votre question. De même les plafonds d'émissions relèvent du Commissaire à l'environnement. Un dernier mot pour vous assurer que je n'attends pas la révision à mi-parcours de la PAC pour m'atteler à la simplification.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Vous souhaitiez rencontrer des parlementaires lors de votre déplacement en France ; à cause d'un problème d'agenda, vous n'avez pas vu les députés. Mais les sénateurs vous remercient de toutes les informations données. Je retiens que vous avez deux chantiers prioritaires, la simplification et le financement des investissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Vous avez décidé de créer une task force composée de six hauts fonctionnaires, dont un français, pour étudier les produits financiers innovants, les instruments à terme, qui pourraient aider à gérer la volatilité. Elle réfléchira aussi à une meilleure répartition de la valeur ajoutée dans la filière. Elle rendra ses conclusions fin 2016. Nos deux commissions mettent la dernière main à une proposition de loi qui comprendra des propositions financières allant dans le même sens. Il est temps de donner aux agriculteurs une garantie de revenus, quels que soient les aléas climatiques, sanitaires, géopolitiques. Quant à la simplification, elle est indissociable de la rationalisation d'une PAC dont le modèle a fini par s'épuiser. Il est dommage, quand on verse 45 milliards d'euros par an, de susciter autant de mécontentements. Raison de plus pour revoir notre approche...

Nos deux commissions ont aussi créé un groupe de suivi des négociations transatlantiques. Le Sénat français n'a pas une position de refus, il est très ouvert et surtout, il souhaite que l'Union européenne soit très offensive. Il serait temps que l'agriculture cesse d'être la variable d'ajustement des négociations multilatérales ! Le temps économique est plus rapide que le temps politique, la PAC n'est plus suffisamment réactive. Il faut y réfléchir.

Monsieur le Commissaire, nous vous ferons parvenir par écrit les questions techniques auxquelles nous attendons réponse, et vous remercions de ces échanges.

La réunion est levée à 11 h 50.