Lors des deux dernières réunions de la COSAC, j'ai été frappé par la place prise dans les débats par l'accord-cadre entre le Parlement européen et la Commission. De nombreux parlements nationaux ont exprimé leur inquiétude et demandé le respect de l'équilibre institutionnel prévu par les traités. Afin de préparer notre réunion, je me suis permis de vous adresser une note d'information sur cet accord-cadre, de sorte que chacun puisse se faire son opinion. Mais, au-delà de cet accord-cadre, on l'a vu avec les débats relatifs au service européen d'action extérieure et on le voit à nouveau aujourd'hui avec le différend sur le budget de l'Union pour 2011, c'est le problème plus général de l'équilibre entre les institutions européennes qui est posé.
C'est une tendance très ancienne du Parlement européen que de chercher à accroître ses pouvoirs par le biais d'accords entre les institutions européennes. Pendant longtemps, cette tendance n'a pas suscité d'opposition, et même plutôt de la sympathie, car les pouvoirs du Parlement européen restaient limités, bien qu'en progression régulière. La situation a commencé à changer à la fin des années 1990, quand chacun a pu constater que la montée en puissance du Parlement européen affaiblissait la Commission européenne.
En 1995, le Parlement européen a obtenu le droit d'entendre individuellement les personnes désignées pour être membres de la Commission européenne, avant d'investir le Collège des commissaires dans son ensemble. Ces auditions, non prévues par les traités, ont renforcé fortement le poids du Parlement européen dans la formation du Collège, puisque, dans la pratique, le Parlement européen a désormais de fait la faculté de récuser un ou plusieurs commissaires désignés. Ensuite, en 1999, le Parlement européen a provoqué la démission de la Commission présidée par Jacques Santer. Là également, cette démission a été provoquée en dehors des formes prévues par les traités : le Parlement européen a obtenu la création d'un « comité des sages » chargé de se prononcer sur les accusations de mauvaise gestion, et, devant la tonalité négative du rapport de ce comité, la Commission a jugé que sa position devenait intenable et a démissionné. Depuis ces épisodes de la deuxième moitié des années 1990, la Commission européenne n'a pu retrouver la place centrale qu'elle occupait au moment de la présidence de Jacques Delors.
Depuis lors, la situation a encore évolué, car les traités successifs ont considérablement renforcé les pouvoirs du Parlement européen, et, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement européen dispose de très larges pouvoirs :
- il a un pouvoir de codécision sur la législation européenne, à quelques rares exceptions près ;
- il a également un pouvoir de codécision sur le budget européen ;
- il a un pouvoir de contrôle étendu (possibilité de créer des commissions d'enquête, droit de saisir la Cour de justice, possibilité de censurer la Commission alors qu'il ne peut lui-même être dissout).
Les seuls grands domaines où les traités ne donnent pas de véritables pouvoirs au Parlement européen sont la révision des traités, les ressources du budget de l'Union, et les questions de défense. Or, on constate que d'ores et déjà le Parlement européen cherche à développer son influence dans ces domaines, notamment les ressources propres et la défense. En particulier, le Parlement européen a exprimé sa volonté de lier son accord sur le budget 2011 à l'obtention d'un droit de regard sur les ressources du budget, alors que les traités ne lui donnent aucune compétence dans ce domaine.
Autrement dit, alors que le Parlement européen a désormais de larges pouvoirs, il continue à se comporter comme autrefois, lorsqu'il était une assemblée principalement consultative qui cherchait par tous les moyens à développer ses pouvoirs. C'est cette tendance qu'on retrouve dans l'« accord-cadre » conclu avec la Commission européenne.
Un autre exemple de ce phénomène nous est donné par le bras de fer actuel sur le budget 2011 de l'Union européenne. Le Parlement européen accepte de limiter l'augmentation du budget, mais il subordonne sa sagesse à l'adoption d'une déclaration politique du Conseil, qu'il veut contraignante, et qui lui permettrait d'accroître son influence sur les débats à venir sur le cadre financier pluriannuel - pour lequel il détient un pouvoir d'approbation - et sur les ressources propres de l'Union - pour lesquelles, en vertu du traité, il est simplement consulté. Les négociations se passent dans une certaine opacité - ce qui est d'ailleurs une caractéristique regrettable de la procédure de conciliation entre le Parlement européen et le Conseil - mais il apparaît que le Parlement européen aurait souhaité que trois de ses membres participent à toutes les discussions préliminaires sur le cadre pluriannuel et sur les ressources propres.
Là encore, nous sommes au-delà du traité et non pas seulement dans de simples modalités d'application de celui-ci et l'on peut comprendre que le Conseil veuille mettre un point d'arrêt. Il paraît quand même difficile que le Parlement européen ait tout à la fois les pouvoirs d'un parlement dans un régime parlementaire, comme la Chambre des communes au Royaume-Uni, et les pouvoirs d'un parlement dans un régime présidentiel, comme la Chambre des représentants aux États-Unis. Il y a une logique du régime parlementaire et une logique du régime présidentiel, mais il est peu souhaitable de confondre les deux.