Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 avril 2015 à 8h30
Institutions européennes — Compte rendu du déplacement à bruxelles des 23 et 24 mars 2015

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Dans cette communication, je voudrais dresser un rapide bilan des entretiens très riches que nous avons eus à Bruxelles lors du déplacement d'une délégation de notre commission les 23 et 24 mars derniers. Le choix de nos interlocuteurs a respecté, me semble-t-il, un bon équilibre entre les différentes institutions européennes puisque nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec :

- pour la Commission européenne : trois commissaires européens : le commissaire en charge de l'énergie, M. Maros efèoviè, le commissaire en charge de l'économie et de la société numérique, M. Günther Oettinger, et le commissaire chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, M. Pierre Moscovici ;

- pour le Parlement européen : la vice-présidente du Parlement européen, Mme Sylvie guillaume, le président de la commission Libé, M. Claude Moraes, le président de la commission des budgets, M. Jean Arthuis, le président de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux, M. Alain Lamassoure, ainsi qu'une députée européenne plus particulièrement investie sur le dossier du PNR européen, Mme Sophia int'Veld ;

- pour le Conseil : le Coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove, qui a approuvé notre résolution européenne, ainsi que la directrice « Affaires intérieures » au secrétariat général du Conseil, Mme Christine Roger ;

- pour le Service européen d'action extérieure : son secrétaire général exécutif, M. Alain Le Roy ;

- pour les agences européennes : le représentant français d'Eurojust, M. Frédéric Baab.

Je n'aurai garde d'oublier, dans ce rappel liminaire, le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, M. Pierre Sellal, qui a organisé un dîner en notre honneur.

Nous avons eu aussi des échanges très riches avec un certain nombre de fonctionnaires européens de nationalité française, qui occupent des postes de responsabilité dans les différentes institutions européennes. Ils ont été très sensibles à notre initiative. Enfin, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance des réflexions du think tank Brueghel sur l'idée d'un Eurosystème pour la politique budgétaire. Ces deux expériences sont à renouveler. C'est une bonne occasion d'échanger et de recueillir des informations.

Nous avons eu, tout d'abord, des échanges très fructueux avec M. Maros efèoviè, commissaire en charge de l'énergie.

La stratégie européenne pour l'union de l'énergie, présentée par la Commission européenne le 25 février dernier, réunit en un seul projet deux préoccupations nettement distinctes :

- empêcher d'éventuelles pressions russes liées aux livraisons de gaz avec la volonté de diversifier l'approvisionnement gazier et de revoir sa distribution ;

- contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre au plan mondial avec des objectifs climatiques.

L'objectif affiché par la Commission européenne, c'est une « énergie durable, sûre et abordable pour les Européens. »

À cet effet, elle estime notamment nécessaire de diversifier les sources de l'approvisionnement gazier, en s'adressant de façon fortement accrue à trois fournisseurs stratégiques émergents : la zone Caspienne et l'Irak ; les ressources disponibles à l'est de la Méditerranée ; le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de tous les pays qui en exportent.

Autre priorité : l'intégration de l'électricité d'origine renouvelable intermittente dans le marché général de l'électricité.

Nous nous sommes demandé, pour notre part, si le défi majeur rencontré par l'industrie européenne aujourd'hui ne consistait pas dans les délocalisations énergétiques vers l'Amérique du Nord, après celles en direction de l'Asie en raison des coûts de la main-d'oeuvre. Par ailleurs, l'accent mis sur la politique climatique est un pari sur l'effet d'entraînement que l'Union européenne pourrait avoir à l'échelle mondiale. Il ne faudrait pas que le « Vieux continent » ait l'impression trompeuse de combattre le réchauffement climatique alors que les gaz à effet de serre continueraient à progresser dans l'atmosphère depuis d'autres continents.

Le long entretien que nous a accordé M. Günther Oettinger sur l'agenda numérique européen a souligné l'évolution nécessaire vers une politique volontariste et réactive à l'échelle de l'Union européenne. Le commissaire a aussi mis l'accent sur la réaffirmation de la place du droit d'auteur dans le contexte du marché numérique unique ainsi que sur l'indispensable régulation des plates-formes au coeur de la stratégie numérique.

Les grands axes des nouvelles propositions de la Commission devraient être rendus publics le 6 mai prochain.

Sur le dossier économique et financier, le commissaire Pierre Moscovici a rappelé que le président Juncker avait souhaité conférer une orientation plus politique à l'action de la Commission européenne. Cette inflexion devrait se traduire au plan économique par l'accent mis sur la relance de l'investissement et la transparence en matière fiscale. La surveillance des situations budgétaires des États membres a également été effectuée au travers de ce prisme, comme en témoigne l'examen des déficits publics belge, français et italien.

L'ambition affichée par la Commission européenne demeure de consolider la croissance, notamment par une interprétation plus flexible du Pacte de stabilité et de croissance.

S'agissant de la gouvernance financière de l'Union européenne et de celle de la zone euro, l'accent a été mis sur l'inadaptation du budget aux missions de l'Union européenne. On le sait, la diminution des ressources de l'Union ne date pas d'hier. L'approfondissement de la zone euro continue cependant à faire figure de priorité.

Pour l'institut Brueghel, il pourrait être envisagé un « fédéralisme d'exception », expression de l'ancien président de la Banque centrale européenne, Jean Claude Trichet, reprise plus récemment par Wolfgang Schauble, ministre des finances allemand. Concrètement, il s'agirait de mettre en place un « Eurosystème » de la politique budgétaire. C'est assez séduisant. Ça peut aussi susciter certaines crispations.

Jean Arthuis et Alain Lamassoure, aujourd'hui respectivement président de la commission des budgets et de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux au Parlement européen, ont confirmé les difficultés financières de l'Union depuis que sa principale ressource, les droits de douane, a fondu comme « neige au soleil » depuis la multiplication des accords de libre-échange. À hauteur de 90 %, le budget de l'Union est aujourd'hui alimenté par des contributions étatiques, chaque État membre discutant âprement sur le point de savoir s'il est bénéficiaire ou contributeur net du budget de l'Union. Nous avons auditionné hier Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du commerce. On voit bien que les décisions qui seront prises sur les droits de douane dans le cadre du traité transatlantique auront un impact sur le budget européen.

Par ailleurs, le montant cumulé des impayés s'élèverait à quelque 25 milliards d'euros !

Cette question de la crise budgétaire que connaît l'Union européenne n'est pas - reconnaissons-le - souvent publiquement abordée. Notre déplacement a été l'occasion d'une nouvelle prise de conscience à cet égard.

Nous avons aussi entendu Frédéric Baab, représentant français à Eurojust, et Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.

Du premier entretien, nous avons retenu la nécessité de renforcer la coopération entre les agences européennes Europol et Eurojust. Eurojust a encore des difficultés à avoir accès aux fichiers d'analyse criminelle d'Europol. Cette situation ne doit pas perdurer.

Le parquet européen collégial et décentralisé est désormais attendu avec impatience. Il devrait disposer de beaucoup plus de pouvoirs, dans sa sphère de compétence, que l'actuel Eurojust.

Gilles de Kerchove nous a rappelé, quant à lui, quelles étaient les priorités européennes en matière de lutte contre le terrorisme.

Les grands défis ont été identifiés : la radicalisation d'un certain nombre de jeunes via Internet ou encore dans les prisons ; le phénomène des combattants étrangers ; le développement d'une concurrence entre les groupes terroristes.

Le coordinateur a relevé que la menace terroriste avait changé de nature. Elle a longtemps été le fait de vétérans aguerris par plusieurs années de combat sur des théâtres d'opérations comme l'Afghanistan. Elle peut émaner aujourd'hui de jeunes Européens inconnus ou peu connus des services de police et capables de mener des attaques meurtrières avec une simple arme blanche.

Pour Gilles de Kerchove, les solutions résident dans une politique extérieure plus active de l'Union européenne avec les pays méditerranéens, une coopération renforcée entre Europol et Frontex avec l'amélioration du contrôle aux frontières extérieures de l'Union, la mise en place rapide d'un PNR européen, ainsi qu'une meilleure utilisation par les États et leurs services de police et de renseignement des outils de l'Union européenne.

À l'évidence, le président de la commission Libé du Parlement européen, M. Claude Moraes, et surtout Mme Sophia in't Veld, membre de cette commission, ne sont pas convaincus de l'urgence du PNR européen que les sénateurs français, à l'unanimité, appellent de leurs voeux. Nous avons eu le sentiment qu'ils allaient, en définitive, donner leur accord d'ici la fin de l'année, mais « du bout des lèvres ». Leur argumentaire est parfaitement légitime mais si nous sommes véritablement, comme le disent beaucoup, « en guerre contre le terrorisme », faut-il faire prévaloir la protection des données personnelles sur la protection des vies humaines ? C'est un dilemme que j'ai déjà évoqué mais l'entretien de la délégation avec nos collègues eurodéputés me pousse à l'énoncer à nouveau.

Notre compatriote Alain Le Roy, secrétaire général exécutif du Service européen d'action extérieure, nous a indiqué que Mme Federica Mogherini, Haute représentante, avait bien pris la mesure de ses nouvelles fonctions. Nous sommes dans une période d'intensification de l'action extérieure et de la mobilisation de l'Union européenne dans les dossiers concernant le Moyen-Orient ou l'Est de l'Europe, et notamment l'Ukraine.

J'insisterai, en conclusion, sur le grand intérêt des échanges que nous avons eus avec des Français occupant des fonctions de direction dans toutes les institutions européennes : Commission européenne, Conseil, Parlement européen.

Le thème que nous avions choisi était « la place des Français à Bruxelles ». Lors des débats il a été élargi, plus généralement, à celui de « la place de la France, aujourd'hui, dans les institutions européennes ».

J'énoncerai les principaux enseignements que nous avons tirés de ces échanges :

- la France est sans doute pénalisée, dans les institutions européennes, par une moindre culture parlementaire que celle que partagent les Allemands ou les Britanniques, plus habitués à la logique de compromis ou de coalitions ; d'autre part, il semble que les Allemands et les Britanniques cultivent davantage l'esprit d'équipe ; leur présence est organisée et entretenue de façon plus structurée que la nôtre ;

- la France souffre de l'absence d'une position forte comme, par exemple, sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire mais aussi, plus généralement, sur un véritable projet politique européen ;

- la France reste un des pays « fondateurs » de l'Union européenne. Beaucoup de pays membres se demandent toujours « ce que pense la France » sur tel ou tel dossier. La France est un pays qui conserve toujours les moyens de convaincre ;

- la France « tiendra » en Europe tant que le pays bénéficiera de la garantie implicite de l'Allemagne. Toutefois, un « agacement » réel est désormais perceptible chez ceux qui s'étonnent du traitement de faveur qui est réservé à notre pays ;

- il serait peut être utile de créer un « lieu d'échanges » pour des rencontres régulières sur des thèmes précis entre élus et fonctionnaires européens français.

Telle est la synthèse que je fais, à titre personnel, des rencontres très utiles de la délégation de la commission des affaires européennes lors de son déplacement des 23 et 24 mars derniers à Bruxelles.

J'ai un peu le sentiment que nous avons changé d'époque. Désormais, les commissaires européens, les parlementaires européens, les hauts fonctionnaires européens sont, semble-t-il, plus que par le passé, désireux de communiquer et d'exposer leur vision des choses avec les parlementaires nationaux des États membres.

Je pense que nous devons saisir cette occasion et renforcer notre rôle de relais entre les préoccupations nationales et les enjeux européens.

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